La course aux armements repart de plus belle

Noura Mebtouche

Dès avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les dépenses d’armement étaient en vive augmentation en France, en Allemagne et dans le monde entier.

Le 20 mai 2022, le journal Le Monde titrait : « L’Union Européenne entend se réarmer ». Les 21 États membres de l’OTAN s’étaient fixé l’objectif de porter à 2 % du produit intérieur brut de chaque pays de l’Union la production d’armement. Dix d’entre eux – dont la France, la Grèce, la Pologne, les États baltes et le Portugal – l’ont atteint.

Entre 1999 et 2021, les dépenses européennes dans le domaine de l’armement auraient crû de 20 %, de 66 % aux États-Unis, de 292  % en Russie et de 592  % en Chine. Ces chiffres doivent être mis en perspective : le budget global des États européens atteint celui de Pékin et est quatre fois supérieur à celui de Moscou mais il est bien inférieur à celui de Washington.

Avant même l’invasion russe de l’Ukraine, cette relance de la course aux armements pouvait chercher une justification dans le développement de nouvelles formes d’armement, comme l’armement chimique, ou dans les nouvelles menaces d’attentats terroristes contre les populations civiles, contre lesquelles la  seule dissuasion nucléaire peut sembler inopérante.

La question de l’efficacité des armées européennes est posée. Les 27 ont programmé 200 milliards d’euros de dépenses pour les prochaines années. Il s’agirait, selon un rapport de l’Agence européenne de Défense (AED), de reconstituer des stocks de munitions, de remplacer des équipements de l’ère soviétique (dont une grande partie aurait été expédiée en Ukraine), et de renforcer les systèmes de défense antimissiles et antiaérienne. Les autres enjeux concernent la production de drones de moyenne altitude, de capacités de ravitaillement en vol, de systèmes de défense de l’espace, de nouveaux moyens de surveillance maritime et côtière, et d’équipements destinés à contrer les attaques cyber. Dans le domaine terrestre, l’idée est surtout de développer la production de blindés et de chars. Reste que dans tous les pays, les dépenses militaires par habitant en 2021 sont bien supérieures à celles de 1999.

Les dirigeants de l’Union européenne tirent argument de la guerre russo-ukrainienne pour annoncer l’intention de renforcer l’effort de défense des pays de l’UE et de produire davantage d’armements. Mais dans quelle mesure le développement d’une industrie de l’armement avec sa logique de rentabilité et de parts de marché incite-t-elle au développement des conflits armés, ou bien est-elle préparée volontairement dans ce sens ? On sait que peu avant l’invasion russe en Ukraine, le 24 février 2022 à l’aube, les forces de l’OTAN étaient très présentes non loin des frontières russes, et que, malheureusement, les niveaux de la production et de la vente d’armes conditionnent ce genre de comportement. Qu’en sera-t-il si Finlande et Suède entrent dans l’OTAN en cette période troublée ?

La France a publié en juin 2021 son rapport sur les exportations d’armements destiné au Parlement.

Les exportations ont marqué le pas en 2020, avec un montant de 4,9 milliards d’euros. Cependant, la vitalité à l’exportation de la base industrielle et technologique de défense (BITD) est demeurée remarquable. Le nombre total de licences délivrées ainsi que leurs montants sont restés globalement équivalents à ceux de 2019. La France maintient d’ailleurs sa place de troisième exportateur mondial. Trois principaux objectifs sont rappelés par le rapport (1) : renforcer les partenariats de défense, préserver la stabilité régionale, lutter contre le terrorisme…

La France cherche à établir des partenariats stratégiques avec les États qui doivent affronter un problème de sécurité régionale ou lutter contre le terrorisme. De tels partenariats se sont ainsi noués avec certains pays du Golfe, les États membres de l’Union européenne, l’Inde et l’Australie.

 L’Indo-Pacifique reste dans les priorités car la stabilité de cette région est jugée primordiale pour la prospérité et la sécurité internationales. Les défis sont notamment liés aux risques de prolifération nucléaire, d’affirmation militaire, de développement du terrorisme, de la criminalité organisée, du réchauffement climatique… les plus importants partenariats sont ceux noués avec l’Inde et l’Australie, mais reposent aussi sur le Japon, la Malaisie, Singapour, la Nouvelle-Zélande, l’Indonésie et le Vietnam. Cela a des conséquences importantes sur l’économie française, puisque le secteur de l’armement représente 200 000 emplois répartis sur toute la France, malgré l’échec lié au Traité AUKUS (2).

La dimension européenne est elle aussi importante. Les objectifs de cette dimension sont encadrés par plusieurs mesures à caractère réglementaire  : le Traité sur le commerce des armes (TCA), la décision (PESC) 2019/1560 modifiant la Position commune 2008/944/PESC (3) et les mesures d’embargo instaurées par le Conseil de sécurité des Nations unies, l’Union européenne (UE) et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) (maîtrise des armements, lutte contre la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs, protection de nos forces et lutte contre la dissémination des armes légères et de petit calibre).

Par ailleurs, des licences fixent le cadre exact de l’opération autorisée et encadrent les conditions de sa réalisation en termes de vérifications, de certificats ou d’engagements demandés auprès des différentes parties et soumises à l’aval du ministère des Armées, du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ainsi que du ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, coordonnées par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Puis suivent les contrats signés par les industriels. Le bilan 2020 des prises de commandes s’élevait à 4,9 milliards d’euros.

Si l’appréciation stratégique de la grande majorité des États reste très en faveur d’un regain d’intérêt pour l’armement, ce qui signifie davantage d’importations, pour la France, les prévisions d’exportations, malgré l’abandon par l’Australie des contrats avec la France au profit d’Aukus, restent importants. Ainsi, des contrats d’achat ont été signés le 25 janvier 2021 à Athènes, en présence de la ministre des Armées et de son homologue grec Nikos Panagiotopoulos, pour l’avion de combat Rafale.

Part des dépenses d’armement en 2021 par région

Source : SIPRI Military Expenditure Database 2021, https://www.sipri.org/databases/milex

(1) Rapport au Parlement sur les exportations d’armes de la France. juin 2021.https ://www.defense.gouv.fr/rapport-au-parlement-2021-exportations-darmement-france

(2). Vaste partenariat en matière de sécurité, de cyber-défense, d’intelligence artificielle et de technologies quantiques destiné à contrer l’influence de la Chine qui a conduit à l’abandon par l’Australie d’un contrat passé en 2016 entre Canberra et Paris pour la livraison de 12 sous-marins à propulsion conventionnels. Le partenariat a été conclu en septembre 2021. 

(3) Politique étrangère et de sécurité commune créé en 1992 avec le Traité de Maastricht et reconduite par le Traité de Lisbonne (Titre 5 du TUE et cinquième partie du TFUE).