Dollar, le billet vert-de-gris

Yves DIMICOLI

La hausse du dollar depuis plus d’un an et l’augmentation brutale des taux d’intérêt de la banque centrale américaine (Fed), le 16 juin dernier, sont des manifestations de la phase actuelle de forte aggravation de la crise systémique du capitalisme et de la façon dont l’hégémon américain, mis comme jamais sur la défensive, tente une nouvelle contre-offensive, financière et militaire, très dangereuse pour le monde entier[1]. (achevé de rédiger le 5 juillet 2022)

Le dollar américain s’est apprécié presque continument au long des douze mois écoulés. L’indice DXY, qui l’évalue par rapport à un panier de six devises internationales[2] est passé du niveau 91,84 le 21 juin 2021 à 104,12 le 24 juin 2022, atteignant même les 105,48 le 14 juin dernier, plus haut pic en cinq ans. Depuis janvier, il a progressé de 8,30 %.

Cette hausse est généralisée face à la quasi-totalité des devises dans le monde, en particulier celles des principaux partenaires commerciaux des États-Unis[3]. Y échappent cependant, grâce au boom des exportations de matières premières, énergétiques et alimentaires notamment, le Réal brésilien, mais aussi le Rouble, malgré les efforts sans précédent des dirigeants occidentaux pour précipiter son effondrement avec les sanctions contre la guerre entreprise par le Kremlin en Ukraine.

Une hausse paradoxale

Cette vive et tenace progression peut paraître paradoxale, tant se sont accumulés les facteurs de perte de confiance dans la stabilité du Dollar, seule monnaie nationale à être encore reconnue comme monnaie commune mondiale.

Le ratio de la dette fédérale brute au PIB américain s’est inscrit, en moyenne, à 109,07 % entre 2012 et 2021. Mais il a atteint, l’an dernier, le record de 137,20 %[4].

De même, la dette extérieure totale brute du pays (État et entreprises) s’élevait à 23730 milliards de dollars au 31 décembre 2021, en croissance de 9,2 % sur un an et de 22,9 % depuis la fin de 2017[5]. Ce n’est pas étonnant quand on sait qu’après une flambée à 816,2 milliards de dollars en 2008, le déficit commercial des États-Unis s’est maintenu autour d’une moyenne annuelle de 713,72 milliards de dollars de 2010 à 2016, pour plonger, entre 2017 et 2021, à la moyenne de 897,53 milliards de dollars. Pour les seuls quatre premiers mois de l’année 2022, le déficit cumulé se chiffre à 445, 5 milliards de dollars[6]

Enfin, le total des crédits accordés, outre-Atlantique, au secteur privé non financier a atteint 158,6 % du PIB au dernier trimestre 2021, deuxième sommet historique depuis 1950[7].

La confiance dans le Dollar avait été déjà rudement mise à l’épreuve par la crise financière de 2008 partie des États-Unis. Les dirigeants des pays occidentaux, sortis de la récession grâce, pour partie, à un vaste plan de relance de la Chine, décidèrent d’éteindre l’incendie financier sur leurs marchés par une création monétaire sans équivalent en temps de paix : taux d’intérêt négatifs, politiques monétaire d’assouplissement quantitatif (Q.E.). Les bilans de leurs banques centrales se sont démesurément gonflés. L’argent ainsi créé a surtout servi à relancer les opérations financières au lieu de servir à répondre aux besoins de développement des facteurs humains de la croissance. Cette injection d’argent s’est donc traduite par un accroissement très insuffisant des richesses réelles potentiellement très inflationniste sur les marchés de produits et de services.

Pourtant, ce soutien de la croissance financière des capitaux a eu pour contrepoint une déflation salariale et sociale telle qu’elle fit plonger les indices de prix à la consommation en zone négative, tandis que des « bulles » prenaient forme sur les marchés d’actifs, immobiliers compris.

C’est dans ces conditions que la conjoncture économique des pays de l’OCDE a commencé à freiner fortement dès le printemps 2019 sous le poids de la suraccumulation mondiale de capitaux matériels et financiers, faisant se profiler la perspective d’une nouvelle récession.

Plusieurs chocs se produisirent alors successivement, laissant penser que le dollar risquait de flancher et, avec lui, le système monétaro-financier international : affrontement commercial États-Unis – Chine ; pandémie Covid-19 précipitant la récession attendue (hormis en Chine), en l’aggravant ; goulots d’étranglement dans les chaines mondiales d’approvisionnement et d’activité des multinationales ; redoublement des politiques de Q.E. accélérant l’inflation financière ; lancement, dans les pays riches, de méga-plans de soutien budgétaire poussant les risques de « surchauffe » ; multiplication de pénuries d’emplois et de qualifications ; guerre en Ukraine et sanctions contre la Russie entrainant plus d’inflation et plus d’endettements publics avec les dépenses militaires. Et cela sans compter le choc, pour une part immédiat (envolée des cours de nombreuses matières premières comme le lithium), mais largement latent des défis non relevés de la « transition écologique ».

Tout cela a confronté les autorités monétaires à un dilemme : augmenter les taux d’intérêt et mettre fin aux politiques monétaires non conventionnelles pour refroidir les économies en surchauffe (surtout outre-Atlantique) ou se garder, en opérant ainsi, de précipiter une récession mondiale et un nouvel effondrement financier encore plus dévastateur.

De dilemme en dilemme

Dans ces circonstances vient en tête l’implacable alternative, théorisée naguère par l’économiste belge enseignant aux États-Unis Robert Triffin[8] et dénommée « dilemme de Triffin », à laquelle se trouvait confronté, dans le système de Bretton-Woods, le dollar consacré monnaie de réserve internationale avec un lien fixe (accrochage institutionnel) à l’or.

Cela conférait aux États-Unis le « privilège exorbitant » de pouvoir s’endetter dans leur propre monnaie et de pouvoir dévaluer celle-ci sans en avoir à supporter le fardeau.

Dès le début des années 1970 et de la crise systémique, ils enregistrent continuellement un déficit des transactions courantes pour fournir les liquidités (dollars) nécessaires à la croissance du commerce et de l’activité économique mondiale.

Les déficits commerciaux cumulés et la demande étrangère croissante de dollars amenèrent les États-Unis à émettre une dette de plus en plus volumineuse. Le doute se mit alors à grandir sur leur capacité à en assurer le service, faisant reculer leur côté de crédit. Cela obligeait la Fed (système de banques centrales des États-Unis) à remonter les taux d’intérêt au détriment de la croissance.

Mais, paradoxalement, si, pour réduire la dette américaine, Washington décidait d’accroitre les exportations et de dégonfler les importations, cela diminuait la fourniture de liquidité sur le marché (pénurie de dollars) au risque d’étouffer l’activité mondiale.

Dès 1971, le système de Bretton Woods s’effondre. Sur un coup de force de Washington, le dollar a été, de fait, transformé en monnaie commune mondiale de domination par son décrochement de l’or.

Cela, loin de faire disparaitre le dilemme de Triffin, lui a donné de nouvelles dimensions éruptives.

Prit forme, en effet, un « système » monétaro-financier international, ancré au dollar, dans lequel les valeurs relatives des monnaies, décrochées de l’or, se sont mises à varier quotidiennement sur les marchés de change. De gigantesques capitaux se mirent à flotter à travers le monde avec une expansion-interconnexion de plus en plus considérable des marchés financiers, favorisée par la présence de dollars dans tous les pays capitalistes développés (euro-dollars et « xéno-dollars »). Sur ces marchés financiers vont ensuite être titrisées les dettes publiques offrant des « actifs sûrs » à leurs détenteurs.

Le décrochage des monnaies de l’or s’est accru quand, en 1979, la Fed (système de banques centrales des États-Unis), ripostant à une grave crise de confiance internationale dans le Billet vert, relève brutalement les taux d’intérêts américains pour attirer ces capitaux flottants.

La création monétaire du dollar a été ainsi rendue très extensible, favorisant l’essor d’un néo-impérialisme américain fondé beaucoup plus sur les importations de capitaux que sur les exportations de produits. C’est la fourniture d’actifs financiers « sûrs » par le pays émetteur de dollars, en l’espèce ceux représentatifs de dettes américaines titrisées, qui est devenue décisive, avec l’énorme gisement des obligations du Trésor des États-Unis (T-bonds) recherchées fébrilement par l’Europe, le Japon, les banques centrales asiatiques.

Ce faisant, Washington put accroître d’autant plus les dépenses publiques, sans avoir à effectuer de prélèvements correspondants sur les profits et les capitaux intérieurs, que les services publics et la protection sociale sont indigents outre-Atlantique. Cela permet aux États-Unis des taux d’accumulation, de croissance et d’emploi toujours supérieurs à ceux, en particulier, des pays de la zone euro où services publics et systèmes de protection sociale sont plus développés, leur financement requérant donc impôts et cotisations[9].

Cela a favorisé aussi l’expansion des multinationales US, jusqu’en Chine qu’elles ont transformée en atelier d’assemblage à bas coût au prix d’une « désindustrialisation » de leur propre base nationale. Les États-Unis se sont mis ainsi à importer de plus en plus de produits industriels de « l’Empire du milieu » faisant s’envoler leur déficit commercial bilatéral. En contrepoint, les filiales chinoises reversaient aux États-Unis paiements de brevets et dividendes, compensant ainsi, par des revenus du capital entrants aux États-Unis une partie du recul des revenus générés par la production industrielle disparue outre-Atlantique[10]. Cela a fourni à la Chine des réserves colossales en dollars replacées en T-Bonds, soutenant donc simultanément le dollar, son rôle et les privilèges qu’il confère au pays émetteur.

Chaque État, s’endettant toujours plus pour épauler ses capitaux à base nationale, a cherché à promouvoir sa propre place financière pour attirer des fonds, déflation sociale et salariale à l’appui.

Dans cette logique, les marges des « partenaires » des États-Unis en matière de politique économique se sont progressivement rétrécies, car l’offre de liquidité dépend, en dernier ressort, des seuls choix politiques de Washington, le pays émetteur de dollars et de titres représentatifs de dette publique américaine. Elle en dépend d’autant plus que le Fonds monétaire international (FMI), créé initialement pour fournir des liquidités mondiales en cas de pénuries, est dominé par Washington qui y dispose d’un droit de veto de fait et s’est presque toujours opposé à toute émission mondiale de liquidités nouvelles sauf à trois reprises (1982-83, 2009 et 2021). Aussi, le réglage de cette offre peut devenir contradictoire avec les besoins de liquidité des pays acceptant l’hégémonie américaine, et radicalement antinomique avec les besoins des pays qui, comme la Chine ou la Russie, la refusent.

Mais, au total, drogué au dollar, le monde entier financiarisé est devenu de plus en plus fébrile à l’idée d’en manquer[11] tout en étant strictement encadré dans la liberté d’opérer dans cette monnaie, ou avec quiconque portant ombrage aux intérêts de puissance de Washington, par la scandaleuse extra-territorialité du droit américain[12].

Dédollarisation

Cependant a grandi, dans les économies émergentes et en développement, le besoin de s’émanciper de cette monnaie nationale hégémonique et de la tutelle de ses institutions non onusiennes (FMI, Banque mondiale…). Cela d’autant plus que ces économies sont endettées en dollars, exposées aux sorties intempestives de capitaux et aux effets sur leurs propres prix des mouvements du taux de change du dollar, monnaie de facturation et souvent de paiement de nombre de produits et matières premières, à commencer par le pétrole et le gaz. Le besoin de s’arracher à la dictature du dollar s’est d’autant plus accru que le poids économique brut des États-Unis a tendu à se rétrécir : ils représentent désormais 25 % du PIB mondial (au taux de change du marché) contre 30 % en 2000[13].

La Chine, visée comme « ennemi principal » de Washington, est en pointe. Elle présente certes bien des fragilités tenant à l’immensité des besoins de ses 1,45 milliard d’habitants et à la difficulté, pour y répondre, de trouver une voie non capitaliste de développement. Mais, elle dispose aussi d’importants atouts, désormais, pour devenir une grande économie informationnelle, ce que lui refuse l’hégémon américain dont le leadership mondial est menacé.

D’ailleurs, la volonté affirmée ou latente de « dédollarisation » de nombre de pays émergents et en développement converge avec l’accord de principe de la Chine et de la Russie pour développer des échanges bilatéraux hors dollar et faire des droits de tirages spéciaux (DTS) [14] du FMI le principal avoir de réserve internationale[15].

Malgré les réticences américaines craignant pour leur domination monétaire, les allocations générales de DTS n’ont cessé d’augmenter. La dernière, en août 2021, est équivalente à 650 milliards de dollars, soit la plus importante depuis la date de création de cet instrument monétaire [16]. Elle fut présentée par le FMI lui-même, comme « une véritable injection dans le bras de l’économie mondiale et, si utilisée à bon escient, une occasion unique de surmonter cette crise sans précédent »[17]. Évidemment, bien que le FMI se soit laissé aller récemment à une petite esquisse d’autocritique de sa doctrine traditionnelle[18], on peut douter de l’efficacité sociale et environnementale de sa conception de ce « bon escient ».

Par ailleurs, le Conseil des gouverneurs du FMI a été amené à relever, en mai 2022, la part du yuan dans la composition du panier des DTS, la portant de 10,92 % à 12,26 %. Cela s’inscrit dans une tendance à un certain recul de la part de la devise américaine dans les réserves détenues par les banques centrales étrangères. Selon un document de travail du Fonds monétaire international (FMI)[19], elle a chuté de 12 points de pourcentage depuis le début de ce siècle, passant à 58,8 % en 2021 contre 71 % en 1999, l’avènement de l’euro ayant joué un rôle fondamental.

Précisément, malgré la sidération des populations face à la pandémie puis avec la guerre en Ukraine, le mécontentement social gronde dans les pays de la zone euro. Leurs dirigeants acceptent cette subordination au dollar tout en essayant de rivaliser avec lui dans l’attraction financière des capitaux mondiaux, via l’euro. Ils « vendent » cela aux populations comme une solution d’émancipation alors qu’elle ne fait qu’accentuer chômage, précarité, baisse des salaires réels, délitement des services publics, cancer financier, fragmentation de la zone et, finalement, addiction au dollar, car il faudrait utiliser tout autrement l’euro.

Washington use de tout son poids pour que cette tentative, si illusoire et contradictoire soit-elle de par son contenu, n’entend laisser aucune place à un espoir européen de s’arracher vraiment à son hégémonie, en utilisant autrement l’euro et en exigeant une refonte du système monétaro-financier actuel avec les DTS, contre le dollar. La Maison Blanche s’est saisie du conflit en Ukraine pour se lancer dans une véritable guerre par procuration avec le Kremlin intimant l’ordre aux dirigeants européens de mieux confondre Union européenne et OTAN, au nom de la défense des valeurs démocratiques, et pour une relance massive des dépenses militaires. De quoi faire encore plus de l’euro une béquille du dollar.

Le redémarrage en Europe de grands luttes sociales, tandis que vont continuer de se développer les luttes sociétales, peut contribuer à changer la donne en faisant jonction avec les idées novatrices de transformation de la BCE, de l’utilisation de l’euro et de monnaie commune mondiale telles celles avancées par le 38ème congrès du PCF. Après tout, même la Grande Bretagne vient de connaitre sa plus grande grève des transports depuis trente ans. Et la relance des dépenses militaires va se heurter, dans des budgets très contraints, aux aspirations sociales et culturelles des travailleurs et de leurs familles. De quoi aiguiser la nécessité de conjuguer luttes pour la paix et luttes pour de grands progrès sociaux et environnementaux.

Le piège du dollar

Mais, pour l’heure, il n’existe pas d’alternative construite au Dollar et à ses institutions tutélaires, tandis qu’émergent des monnaies numériques officielles prometteuses mais que prolifèrent, comme un cancer, des monnaies numériques privées (cryptomonnaies, Stablecoin…) exposant la finance internationale à des coups de grisou de plus en plus déstabilisateurs.

Les engagements financiers globaux des États-Unis envers le reste du monde s’élèvent à plus de 53 000 milliards de dollars. Ces passifs étant libellés en devise américaine, un dévissage du dollar ne changerait pas le montant de ce que doit Washington au reste du monde. En revanche, il réduirait, exprimée dans leur monnaie nationale respective, la valeur des créances détenues par des étrangers sur les États-Unis[20].

Parallèlement, les quelques 35 000 milliards de dollars d’avoirs des investisseurs américains en actifs étrangers sont libellés presqu’exclusivement en devises étrangères. Si la valeur de ces dernières par rapport au dollar augmente, elles vaudraient plus une fois convertie en billets verts[21].

C’est sur cette réalité, illustrant combien le dollar est un piège, que s’appuient les défenseurs de son imperium pour le proclamer éternel et faire que rien ne change de fondamental dans cet ordre. Contre tous les opposants à cette hégémonie, ils travestissent leur combat en croisade pour les « valeurs de la démocratie ».

Cela a été longtemps un argument de poids opposé à la Chine pour la dissuader de revendre ses T-Bonds, dont elle est la deuxième détentrice au monde derrière le Japon du fait des importants excédents qu’elle continue d’accumuler dans ses échanges commerciaux avec les États-Unis.

Mais il y a du nouveau : en avril dernier, les avoirs chinois ont chuté à 1 003 milliards de dollars, en diminution de 36,2 milliards sur un seul mois, ce qui a contribué à faire augmenter de 55 points de base les rendements servis sur ces actifs par Washington[22]. De quoi rappeler, face au bellicisme financier de la Maison Blanche, que la Chine détient aussi une arme nucléaire financière…

Pourquoi ce coup de menton de Pékin ?

À la fin de l’été 2021, tablant sur une fin de l’épidémie de Covid-19, les marchés étaient euphoriques interprétant ce qui n’était qu’un rattrapage de l’activité mondiale, à partir d’un niveau très bas, comme l’engagement d’un nouveau cycle conjoncturel de reprise forte et pérenne.

La confiance des investisseurs s’appuyait sur le fait que, grâce aux plans de soutien de l’activité contre la pandémie préservant les profits et munissant les grandes sociétés de trésoreries surnuméraires, les affaires allaient fortement rebondir dès le recul des contaminations.

C’est aux États-Unis que les plans de soutien de la demande, de Trump puis de Biden, furent, de loin, les plus massifs et les promesses de profits les plus fortes. Aussi c’est vers eux que se sont rapidement précipités les investisseurs étrangers.

Les flux mondiaux d’investissements directs étrangers (IDE) ont progressé de 88 % en 2021, les États-Unis étant leur première destination[23].

Surtout, la valeur des portefeuilles étrangers en titres américains a fait un bond de 124 % entre le 30 juin 2020 (21.954 milliards de dollars) et le 30 juin 2021 (27 190 milliards de dollars). On note la ruée sur les actions américaines (+ 49,5 % en un an), devant les titres de créance, obligations et assimilés (+30,2 %)[24].

Puis la guerre en Ukraine a été déclarée à l’initiative du Kremlin, suivie de « six paquets de sanctions » des États occidentaux. Or, le compte financier de la balance des paiements US (qui retrace les flux de capitaux) a enregistré, en février 2022, mois du déclenchement de cette guerre, l’excédent le plus important jamais réalisé ce même mois (162,6 milliards de dollars) après un déficit de 52,4 milliards de dollars en janvier. Il a été suivi, en mars, d’un nouvel excédent de 142,9 milliards de dollars. Celui-ci venait à point pour compenser un déficit commercial mensuel record de 109,8 milliards de dollars[25]. Le dollar est toujours une valeur refuge pour les investisseurs internationaux.

Or, une hausse de la demande pour les actifs américains provoque simultanément une augmentation de la demande de dollars nécessaires à l’achat de ces actifs. Elle constitue donc un puissant facteur d’appréciation et de soutien du Dollar.

Inflation et stagnation

Le tout a contribué à accentuer les goulets d’étranglement, les pénuries et la spéculation que celles-ci permettent avec, notamment, une envolée des prix des matières premières, énergétiques et alimentaires en particulier, facturées en dollars.

L’indice mondial des prix énergétiques se situait à 52,7 en 2020 pour passer à 95,4 en 2021. Il devrait atteindre un pic de 143,6 en 2022[26]. Selon la FAO les prix des denrées alimentaires sont passés, quant à eux, de l’indice 98,1 en 2020 à 125,7 en 2021. Encore à 128,1 en mai 2021, ils ont grimpé à 157,4 en mai 2022 après avoir atteint un pic à 159,7 en mars 2022, des niveaux sans précédent depuis soixante ans.

Pour la première fois, cours du dollar et prix des matières premières se sont mis à augmenter de conserve alors que, traditionnellement, ils évoluent en sens opposé. Du coup, c’est la double peine pour les pays pauvres importateurs de matières premières confrontés à des risques de famine et de révoltes de la faim, tandis que les États-Unis, eux, ne sont pénalisés que par la hausse des prix.

Les sanctions prises contre la Russie par les dirigeants américains et européens ont placé nombre de pays membres de l’UE, dont l’Allemagne très dépendante du gaz russe, au défi d’une rupture des approvisionnements et de la recherche d’alternatives à cette source. L’opération, très délicate, est risquée et l’hiver prochain peut s’annoncer difficile. Mais Washington a tout à y gagner : ces problèmes ne se posent pas en terre américaine et les approvisionnements de l’Europe en GNL et en hydrocarbures de schistes des États-Unis augmentent .

L’impact de l’ensemble de ces évolutions sur le taux d’inflation annuel mondial est considérable. Tel que mesuré par l’indice des prix à la consommation (IPC), il a atteint 9,2 % en mars 2022, contre 3,7 % un an plus tôt et 3,5 % en mars 2020[27].

C’est aux États-Unis que le phénomène est le plus marqué, les plans de soutien des Trump-Biden ayant fortement boosté la demande intérieure, ont mis le pays en surchauffe. Sur un an à fin mai, l’IPC a bondi de 8,6 %, après +8,3 % le mois précédent, selon le Département du Travail. Cette accélération de l’indice général est due, bien sûr, à celle des prix de l’essence à la pompe, mais elle a concerné, au-delà, « tous les produits pour lesquels les contraintes pesant sur les chaînes d’approvisionnement ont été les plus fortes » le rebond de la consommation s’étant davantage axé sur eux[28]. L’affaire est très sensible à l’approche des élections de mi-mandat outre-Atlantique car les Américains consomment énormément de carburants.

Cela s’est étendu dernièrement à la plupart des pays. L’inflation sous-jacente (hors énergie et alimentation) s’est accrue dans presque toutes les économies avancées, y compris dans celles où le rebond consécutif à la pandémie n’est pas achevé, le Japon notamment.

C’est là, au total, une mise en cause radicale de tous ceux qui assuraient, Fed et BCE en tête, que l’inflation n’était due qu’à un phénomène passager d’ajustement de l’offre à la demande, alors qu’il s’agit, fondamentalement, d’une inflation de suraccumulation du capital.

Dans de telles conditions, tous les tenants de la doxa néo-libérale gardent les yeux fixés sur l’évolution de l’emploi et des salaires, partant du principe traditionnel que tout excédent de la demande de travail des patrons sur l’offre de travail des salariés fait grimper les salaires et poussent à l’augmentation des prix pour la reconstitution des marges bénéficiaires. Leur pire crainte c’est que se forme une « boucle prix-salaires ».

Un conflit de classe inédit

Aux États-Unis, le taux de chômage avait atteint un pic de 14,8 % en avril 2020 avec la vague pandémique. Celle-ci refluant et l’activité étant propulsée par les méga-plans de soutien de Trump et Biden, il a reculé. Tombé à 5,9 % en juin 2021 il ne s’inscrit plus qu’à 3,6 % en mars, avril et mai 2022[29] successivement. C’est là une situation dite de « plein emploi » qui peut s’accompagner de pénuries de main d’œuvre et, donc, de hausses de salaires. Elle est renforcée par des éléments démographiques : une moindre immigration pesant, depuis 2015 (restrictions Trump) et surtout 2019 (pandémie), sur la base de population active disponible inférieure de 1,6 millions à ce qu’elle aurait été en poursuivant la tendance antérieure, d’après A. Phillips chef-économiste chez Goldman-Sachs[30].

Or, le taux d’activité, à 62,3 %, n’a guère changé depuis mars 2022, contre 61,6 % en mai 2021. Quant au taux d’emploi, il plafonne à quelque 60 % depuis mars 2022, contre 58 % en mai 2021. En fait, ce que les Américains ont appelé « la grande résignation », liée au désir de changement de vie de nombre d’Américains après le choc pandémique, a été de grande ampleur : près de 57 millions d’Américains auraient démissionné entre janvier 2021 et février 2022[31], soit nettement plus que les 43 millions enregistrés en 2019. Le taux d’emplois vacants, au quatrième trimestre 2021, était encore à l’indice 157,5 aux États-Unis (base 100 au quatrième trimestre)[32].

Tout cela pourrait indiquer un rejet grandissant des conditions de travail et de vie hors travail, imposées par la course effrénée à la rentabilité financière, par nombre de salariés outre-Atlantique, qualifiés notamment, d’autant plus que ceux-ci ont découvert des espaces de liberté dans le télétravail et sont très mobiles.

Alors, certes, les salaires nominaux ont sensiblement progressé depuis le choc pandémique : l’augmentation d’une année sur l’autre était de 5,1 % en mars 2022, contre 0,6 % en mars 2021. La tendance semble cependant au ralentissement : + 5,6 % en février et + 5,2 % en avril 2022[33].

En réalité, il s’agit plutôt d’un rattrapage insuffisant car, corrigée de l’inflation des prix à la consommation, le salaire horaire moyen réel de l’ensemble des salariés a diminué de 0,6 % d’avril à mai, en données corrigées des variations saisonnières[34]. Alors que le glissement annuel en pourcentage des salaires réels par tête était encore de +8,38 au 1er janvier 2020 et de +5,84 au 1er janvier 2021, il a ensuite chuté dès le 4 janvier 2022 (-1,37) jusqu’en décembre. Au 1er janvier 2022 le glissement était de -1,09[35].

Il semble donc qu’un bras de fer inédit latent soit en cours entre salariés et employeurs aux États-Unis. Cela tiendrait à une puissante aspiration nouvelle du monde salarial à changer de mode de vie, à obtenir une meilleure reconnaissance (plus de pouvoirs d’achat et de gestion) et trouver un autre sens au travail que la recherche effrénée de la « performance » pour les actionnaires, tandis que s’atténue la pression de l’immigration pour abaisser les exigences sur les conditions de travail.

Dans ce conflit de classe, nombre de salariés ont pu tenir jusqu’ici en piochant dans l’épargne constituée avec les aides massives des plans Trump et Biden. Mais, cela va atteindre ses limites.

Vers quoi pourrait-t-on aller ?

Sans doute la répression financière de l’inflation peut-elle conduire à une hausse du chômage et encourager, par le resserrement du crédit, les patrons a « maîtriser » plus fortement les rémunérations. Par ailleurs, beaucoup de salariés outre-Atlantique sont aussi détenteurs de portefeuilles de valeurs mobilières, et le système des retraites, par capitalisation, dépend aussi de la tenue de la Bourse. Les risques de baisse qui pourraient s’accentuer sur les cours et les rendements pourraient donc aussi peser sur certains revenus du monde du travail. De même, le déchainement de la classe capitaliste américaine contre la création de syndicats chez Amazon peut intimider, bien que l’une des deux tentatives ait réussi.

Les tensions montent aussi en zone euro où l’inflation progresse vite désormais, mais de façon retardée, les plans de soutien face à la pandémie ayant été beaucoup moins importants en termes de pouvoir d’achat qu’aux États-Unis. En mai 2022, l’IPCH (indice des prix à la consommation harmonisé en zone euro) est en hausse de 8,1 % sur un an, contre 1,98 % en 2021 et 0,086 % en 2020.

Les pertes de pouvoir d’achat salarial sont donc considérables. Mais là aussi la colère gronde désormais. Même en Grande-Bretagne où une grève des transports, la plus importante depuis trente ans, a fait dire à Boris Johnson, si empressé pour « l’aide» aux patriotes ukrainiens, qu’il sera « intraitable » avec ses compatriotes grévistes.

Aussi, c’est la croissance réelle qui, de partout, pique du nez[36], alors même que la poursuite de la politique zéro-COVID en Chine pèse sur l’évolution du PIB mondial. Elle ne saurait donc jouer, comme en 2008, le rôle de béquille de la croissance des pays dits riches, États-Unis en tête.

l’OCDE a été amenée à réviser à la baisse ses dernières perspectives macroéconomiques publiées le 8 juin, soit 6 jours avant le durcissement brutal de la politique monétaire de la Fed (voir ci-après). Selon elle, le PIB mondial n’augmenterait que de 3 % en 2022 et 2,8 % en 2023 contre 5,8 % en 2021 et une 3,3 % en moyenne entre 2013 et 2019. Pour les États-Unis, elle se montre assez pessimiste, quoi que n’anticipant pas, alors, une récession[37]. La croissance du PIB y passerait toutefois de 5,5 % en 2021 à 2,5 % en 2022 et 1,2 % en 2023[38], avec en outre beaucoup d’incertitudes, tenant notamment au resserrement des conditions financières.

Washington belliciste sur la défensive

C’est précisément sur ce terrain que la contre-offensive américaine cherche à se jouer sur le plan économique, l’enjeu étant de faire feu avant tout le monde contre l’inflation, pour pouvoir, mieux que tout le monde, attirer les capitaux et empêcher l’effondrement du dollar et de Wall-Street. Cela au risque d’une nouvelle récession mondiale dont les États-Unis souffriraient moins et moins longtemps que les autres grâce aux privilèges sauvegardés du dollar.

C’est ainsi que l’on peut comprendre le changement d’orientation de la politique monétaire américaine et le brutal changement de discours qui l’accompagne.

Pendant 29 mois, la Fed s’est montrée prudente en matière de politique monétaire. Le 28 avril dernier encore, Joe Biden affirmait qu’il n’était « pas inquiet », malgré la guerre en Ukraine, continuant de penser que l’inflation serait passagère. Et, le 9 juin, Janet Yellen, secrétaire d’État au Trésor, « ne pensait pas » encore qu’une récession « soit probable »[39].

Ce n’est que le 11 mars 2022 qu’elle a décidé de mettre fin à son Q.E. Son portefeuille de titres du Trésor et de titres adossés à des créances hypothécaires d’agences était en effet passé de moins de 4 000 milliards à 8 500 milliards de dollars entre mars 2020 et mars 2022[40]. Il s’agissait alors, face au choc pandémique, de soutenir les marchés obligataires, d’assouplir les conditions financières pour stimuler les attentes de profits et, ainsi, booster les cours des actions. Simultanément, le financement de mesures d’appui aux revenus et à la demande ont accru le déficit budgétaire.

Pendant ces 29 mois, la Fed a maintenu ses taux dans une fourchette de 0 % à 0,25 % favorisant la négativité des taux d’intérêt réels de marché et encourageant l’inflation financière.

Certes, la poursuite de cette politique de Q.E. et de taux bas pourrait être mise au compte de la prétendue erreur initiale de croire l’inflation purement conjoncturelle. Mais, surtout, cela tient au fait que le mandat de la Fed est double : assurer « le plein emploi » et mener la lutte contre l’inflation. De plus, l’opération de hausse des taux n’étant pas dénuée de risques, d’autant que l’enflure financière est considérable, le « camp des faucons » (partisans d’un durcissement) a pu être tenu en respect, un temps, par « le camp des colombes » (l’inverse)…et les discrètes pressions de la Maison blanche pensant aux élections de mi-mandat.

La hausse des taux peut, en effet, faire chuter la croissance et l’emploi, menacer la « soutenabilité » des dettes publiques et privées, déclencher une crise financière et immobilière. Cette dernière rétrécirait brutalement la valeur du patrimoine des ménages. Le dollar chuterait, emballant l’inflation importée…dans un processus cumulatif.

Pourtant, à l’annonce du chiffre d’inflation en mai dernier, la Fed a augmenté brutalement ses taux de 0,75 points, soit la hausse la plus forte en 22 ans. Ils se situent désormais dans une fourchette comprise entre 1,5 et 1, 75.

Commentant ce brutal retournement, le gouverneur de la Fed Jerome Powell déclarait en conférence de presse le 15 juin [41] : « le tableau actuel est clair : le marché du travail est extrêmement tendu et l’inflation est beaucoup trop élevée ». Il ajoutait : il y a « une chance de faire baisser les salaires et l’inflation sans avoir à ralentir l’économie, à avoir une récession et à faire augmenter le chômage ». Mais le lendemain en audition au Congrès, interrogé sur l’éventualité d’une récession, il ajoutait : « c’est certainement une possibilité », quoi que ce ne soit « pas du tout le résultat escompté (..) et franchement, les événements de ces derniers mois dans le monde ont rendu plus difficile pour nous d’atteindre ce que nous voulons, c’est-à-dire une inflation de 2 % et toujours un marché du travail fort»[42].

La Fed va continuer de forcer le train, prévoyant un taux d’intérêt cible dans une fourchette de 3,2-3,5 % d’ici la fin 2022, le plus élevé depuis 2008. Cela serait alors la plus forte hausse de taux annuelle depuis les années 1980. Et la cible serait portée à près de 4 % en 2023.

Ce retournement belliciste de la politique monétaire américaine a entrainé sur le coup un décrochage du dollar (-1 %) puis un retour à un niveau, en retrait sur le sommet du 14 juin, mais toujours bien au-dessus des niveaux de l’année écoulée.

Les indices boursiers S&P 500 et, surtout, le NASDAQ (valeurs technologiques), en tendance baissière depuis fin mars-début avril 2022, se sont redressés à partir du 17 juin. De même, à cette date, les rendements des obligations à 10 ans ont stoppé leur tendance ascensionnelle engagée depuis janvier 2022. En revanche, le marché des cryptomonnaies, dont le Stablecoin accroché au Dollar, s’est effondré.

Il n’est guère possible, à l’heure ou cet article est rédigé, d’anticiper de nouvelles tendances. Le choix annoncé par Jerome Powell de tenter de terrasser l’inflation par une récessions qui serait courte et maitrisée, sans explosion du chômage, est un pari très dangereux…pour le peuple américain lui-même et pour le monde entier.

Certes, il peut accentuer la polarisation des flux de capitaux mondiaux vers Wall Street, comme en 1980-1981, et le « dollar fort », s’il se maintient, continuera de protéger les États-Unis contre l’inflation importée. Mais elle continuera aussi d’handicaper les exportations américaines, gonflant le déficit commercial déjà si colossal de ce pays. Enfin, cela pourrait peser sur la croissance des bénéfices aux États-Unis alors que, désormais, nombre d’observateurs anticipent une récession et l’affirment « voulue » par Washington.

Mais la hausse du dollar a placé les « alliés » européens, dont les rangs ont été resserrés au sein de l’OTAN par la guerre en Ukraine, sous une tension grandissante avec la hausse de l’inflation importée et l’incitation à placer les capitaux aux États-Unis.

La BCE, très hésitante jusqu’ici compte tenu des fragilités et contradictions de la conjoncture européenne, a été obligée de précipiter l’annonce d’un relèvement de ses taux d’intérêt, tout en prévoyant de commencer à mettre fin à son Q.E.[43] Cela relance les risques de fragmentation de la zone, rappelant les mauvais jours de la crise des dettes publiques en 2011-2012.

De plus, la zone euro et toute l’Union européenne pourraient plonger dans une récession beaucoup plus dure, tant le niveau de chômage et l’extrême précarité de l’emploi rendent les marchés du travail européens plus vulnérables qu’outre-Atlantique. Et cela au moment même où, filant le train des États-Unis et du Royaume-Uni, les dirigeants européens flirtent de plus en plus avec une guerre par procuration contre Poutine[44]. Les sanctions prises contre la Russie auront des conséquences autrement plus dommageables sur les pays européens, rendant plus difficile un « atterrissage en douceur » que de l’autre côté de l’Atlantique. De quoi inciter nombre de détenteurs de liquidités à les faire migrer outre-Atlantique.

Les pays émergents eux aussi sont rendus très vulnérables par la hausse du dollar, l’inflation des prix pétroliers et alimentaires et la soudaine remontée des taux d’intérêt de la Fed. Le renchérissement du coût du service de la dette et l’envolée des prix agricoles leur font craindre une passe difficile et des fuites possibles de capitaux. Par ailleurs, tous ont noté avec malaise le gel des avoir en dollars détenus par la banque centrale russe à l’étranger et, singulièrement, aux États-Unis. Cette violente mesure ne rend-elle pas possible, en effet, son application envers n’importe lequel d’entre eux, alors qu’ils se sont acharnés à accumuler des réserves en dollar depuis la crise dite des « pays émergents » de la fin des années 1990 ?

D’ailleurs, on constate, entre octobre 2021 et avril 2022 une diminution de plus de 6 % des montants détenus par la Fed sous la rubrique « titres détenus en dépôt pour les comptes officiels étrangers et internationaux »[45]. Or comme le relève C. H. Monchau, « au cours des 50 dernière années, la plupart des crises financières se sont produites quand ces actifs détenus par la Fed étaient en baisse d’une année sur l’autre » [46].

Bref, la crainte d’une pénurie de dollars se fait à nouveau jour, qui pourrait avoir de telles conséquences que, comme en 2008, la Fed soit contrainte de rouvrir le robinet de la liquidité pour inonder les marchés.

Le bras de fer mondial va s’accentuer, mêlant étroitement guerre militaire et guerre économico-financière, dans un contexte où semble repartir la pandémie COVID-19 en Occident. Cela pourrait mener l’humanité tout entière au bord du gouffre. Ce serait le cas particulièrement en Europe où la cohésion brutalement retrouvée de l’Alliance Atlantique face à la guerre d’invasion russe en Ukraine, pourrait être mise à l’épreuve de luttes populaires nouvelles contre les restrictions, pour le progrès social et écologique, pour la paix.

Simultanément, de l’Amérique latine à l’Afrique et au Moyen-Orient, en passant par l’Asie, pourrait grandir dans les pays émergents et en développement, sous la pression des luttes et des attentes populaires (contre la faim et les guerres notamment), le besoin absolu d’en finir avec la tutelle du dollar et les bellicismes qui rendent le monde si dangereux.

Mais encore faut-il ne pas tomber au fond du gouffre…et arriver à imposer la cessation des hostilités en Ukraine et l’engagement de négociations pour une paix juste et durable, de même que l’engagement de négociations pour un nouvel ordre international s’émancipant du dollar et de la dictature des marchés financiers.


[1] Je remercie Frédéric Boccara pour sa relecture attentive et enrichissante de cet article.

[2] Euro, Yen, Livre Sterling, Dollar canadien, Couronne suédoise, Franc suisse.

[3] Ainsi, le taux de change effectif global réel du dollar US (moyenne pondérée de la monnaie d’un pays, corrigée de l‘inflation, rapportée au panier des devises de ses principaux partenaires commerciaux)) est passé d’un plus bas de 93,06 en juillet 2011 à 122,57 en avril 2022, après avoir atteint 123,92 en avril 2020, second sommet historique depuis 1994 (128,72 en février 2002 et au-dessus des 110,89 de mars 2008 / fred.stlouisfed.org/.

[4] /tradingeconomics.com/.

[5] Département du Trésor des Etats-Unis, /home.treasury.gov/.

[6] /www.census.gov/.

[7] /fred.stlouisfed.org/. Le plus haut sommet a été atteint au troisième trimestre 2008 (170,4%) en pleine crise financière.

[8] Triffin R.: Gold and the Dollar Crisis: The Future of Convertibility, Yale University Press, 1961.

[9]  Boccara P. : « Transformations et crise du capitalisme mondialisé – Quelle alternative ? », Le temps des cerises, 2008, 331 p.

[10] Se reporter à la très importante contribution de Frédéric Boccara dans le livre à paraitre de Thi Anh-Dao Tran : Rethinking Asian Capitalism, The Achievments and Challenges of Vietnam Under Doi Moi, Palgrave Macmillan.

[11] Dimicoli Y.: “Une Monnaie Commune Mondiale pour s’émanciper du Dollar », Economie et Politique, revue marxiste d’économie, ( 786 – 787), janvier – février 2020, pp. 65-68.

[12] C’est là le nom donné à l’ensemble des dispositions du droit américain qui peut être appliqué en dehors des frontières des Etats-Unis à des personnes physiques ou morales des pays tiers… au profit du grand capital américain.

[13] Prasad E.: « Enduring Preeminence: The Us dollar might slip, but it will continue to rule”, Prasad E.: « The Us dollar might slip, but it will continue to rule”, Finance & development, 06/2022.

[14] Le DTS est un avoir de réserve international créé en 1969 par les pays membres du FMI pour compléter ses réserves de change officielles. Sa valeur repose, à présent, sur un panier de cinq monnaies : le dollar des Etats-Unis, l’euro, le yuan chinois, le yen japonais et la livre sterling.

[15] Cette idée fondamentale a été émise dès 1981 par Paul Boccara. On la retrouve bien explicitée dans son livre de 2008 (op. cité).

[16] La deuxième en importance fut réalisée en 2009 en écho à la crise financière déclenchée par la dite « crise de subprimes » aux Etats-Unis. Les autres ont eu lieu en 1970-72 et 1979-81, c’est-à-dire à chaque moment de risque aigu pour la liquidité mondiale engendré par une perte de confiance dans le dollar et de divorce entre les choix de politique économique de Washington et les besoins de financement des autres pays membres du système.

[17] FMI, communiqué de presse n°21/248 du 23 août 2021.

[18] « La démondialisation va renchérir les coûts », interview de P.O. Gourinchas, chef économiste du FMI, Les Echos, 7 juin 2022.

[19] Arslanalp S., Eichengreen B. et C. Simpson-Bell: “The Stealth Erosion of Dollar Dominance: Active Diversifiers and the Rise of Nontraditionnal Reserve Currencies”, IFM Working Papers (22/58), mars 2022.

[20] Finances & développement, Op. cité.

[21] Ibid.

[22] « Les avoirs de la Chine en bons du Trésor américain diminuent », Chine Magazine, 23 juin 2022, /www.chine-magazine.com/.

[23] /www.oecd.org/.

 [24] Report on Foreign Portfolio Holdings of US Securities, 30 juin 2021 /home.treasury.gov/.

[25] United States Balance of Trade, May 2022 data, /tradingeconomics.com/.

[26] /tradingeconomics.com/.

[27] International Labour Organization, 10 mai 2022, /ilostat.ilo.org/.

[28] OCDE : Projections macroéconomiques, 8 mai 2022. /www.oecd.ilibrary.org/.

[29] Bureau of Labor Statistics /tradingeconomics.com/.

[30] Billon V. : “Aux Etats-Unis le manque de main d’œuvre étrangère pèse sur l’économie », Les Echos, 6 juin 2022 et Anstey C. : « The US Economy still needs babies ans immigrants », Bloomberg Newsletter, 24 mai 2022.

[31] Ferrazi K. and M. Clementi: “The Great Resignation Stems from a Great Exploration”, Harvard Business Review, 22 juin 2022.

[32] OCDE : 129,54 ; Canada : 178,4 ; Australie :  170,13 ; France :160,2 ; USA : 157,5 ; Royaume-Uni : 155,6 ; Italie : 150 ; Allemagne : 116,3 ( OCDE, op. cité).

[33] /www.epi.org/nominal-wage-tracker/.

[34] /www.bls.gov/.

[35] OCDE, op. cité.

[36] Recul du PIB dès le 1er trimestre aux Etats-Unis et en France.

[37] Définie comme une diminution durant deux trimestres consécutifs au moins.

[38] OCDE, op. cité.

[39]/www.latribune.fr/, 23/06/2022, cf. ci-dessous.

[40] English W.B. and D. Kohn: “What happens if the Federal Reserve experiences losses from its quantitative easing?”, Brookings, 1er juin 2022, /www.brookings.edu/.

[41] Marion P. : « Récession : « peu probable » il y a 10 jours, « certainement possible » aujourd’hui, l’inquiétant changement de ton des Etats-Unis », La Tribune, 22 juin 2022, /www.latribune.fr.

[42] J . Coxx, mercredi 22 juin 2022,/www.cnbc.com/.

[43] Son conseil des gouverneurs a décidé, le 9 juin, d’ augmenter les taux d’intérêt directeurs de la BCE de 25 points de base lors de sa réunion de politique monétaire de juillet.

[44] Le Président de la République, lui-même, n’hésitant pas à affirmer qu’il faut passer en « économie de guerre ».

[45] /www.federalreserve.gov/ 06/2022.

[46] Monchau C.H. : « Notre monnaie, votre problème  », Allnews, 10/05/2022, /www.allnews.ch/.