Ce que dit vraiment le Conseil d’Orientation des retraites

Pierre-Yves CHANU

Quelques éléments d’analyse à propos du rapport annuel du COR de septembre 2022.

Les rapports annuels du Conseil d’orientation des retraites sont toujours extrêmement regardés, aussi bien par le Gouvernement, la majorité que par les oppositions. C’est encore plus vrai quand le gouvernement, comme c’est le cas du gouvernement actuel, affiche sa volonté de reculer l’âge de la retraite. Il est donc utile de regarder de près ce rapport annuel, qui n’a été adopté qu’en septembre, du fait du retard du Gouvernement à envoyer ses scénarios de croissance à la Commission européenne, dans le cadre du programme de stabilité.

Des modifications des hypothèses de projection par rapport aux rapports précédents

Par rapport aux rapports précédents, et notamment celui de l’année dernière, le COR a procédé à un certain nombre de modifications de ses hypothèses.

Une révision de certaines hypothèses démographiques

Le rapport prend acte de la baisse de la fécondité observée depuis 2014. Il retient ainsi l’hypothèse de l’INSEE d’un indice de fécondité de 1,80, en baisse par rapport aux précédents exercices de projection de l’INSEE.

Il retient l’hypothèse d’une augmentation de l’espérance de vie des hommes à la naissance de 87,5 ans en 2070, contre seulement 87,1 ans dans le rapport de 2021, l’espérance de vie des femmes à la naissance étant identique (90 ans en 2070). Par conséquent, cela dégrade le rapport actifs/retraités.

Des scénarios de croissance plus pessimistes

Il avait été beaucoup reproché au COR d’avoir des hypothèses de croissance trop optimistes, et par suite de sous-estimer les déficits du système de retraite, et avec eux les « ajustements » nécessaires (en particulier le recul de l’âge de la retraite nécessaire pour équilibrer le système !).

Le COR avait déjà fait passer son hypothèse centrale de taux de chômage de 4,5 % dans les premiers rapports à 7 %.

Le rapport 2022 décale vers le bas ses hypothèses de hausse de la productivité du travail, de 1 % à 1,8 % avec des scénarios intermédiaires de 1,3 % et 1,5 % dans les précédents rapports, à 4 scénarios : 0,7 %, 1 % 1,3 % et 1,6 %.

Rappelons que la méthodologie du COR s’appuie sur des scénarios de productivité du travail et non sur la croissance du PIB, avec une hypothèse de stabilité du partage de la valeur ajoutée : par suite, les hypothèses de productivité du travail sont équivalentes à la croissance du salaire moyen.

Deux conventions d’équilibre du système de retraite

Dans la mesure où les règles de gestion des différents régimes sont différentes[1], il n’est pas possible de calculer un solde du système de retraite dans son ensemble.

Les précédents rapports comportaient trois conventions : la convention taux de cotisation constant (TCC) (le taux de cotisation est figé à son niveau au début de l’exercice de projection) ; la convention équilibre permanent des régimes (EPR) : le régime des fonctionnaires de l’État est équilibré par une subvention de sorte qu’il ne peut être en déficit ; la convention effort de l’État constant (EEC), le taux de cotisation est figé dans le temps.

Le COR a abandonné la convention TCC, qui pouvait donner des résultats absurdes : la politique d’austérité budgétaire se traduisait par une baisse des recettes du régimes des fonctionnaires, qui dégradait l’équilibre du système de retraite dans son ensemble. Par conséquent, la baisse des effectifs de fonctionnaires justifiait le recul de la retraite des salariés du privé pour équilibrer les comptes.

Le rapport 2022 ne comprend donc plus que la convention EPR et la convention TCC.

Contrairement aux scénarios catastrophistes, le système de retraite dans son ensemble serait en excédent en 2021 et 2022, puis se dégraderait progressivement

Contre toute attente, le COR met en évidence un excédent du système de retraite de 900 M€ en 2021 et 3,2 milliards d’euros en 2022. Cet excédent s’explique par l’importance de la croissance économique à la sortie de la crise du Covid, qui s’est traduite par une forte progression de la masse salariale et donc du montant des cotisations.

Par la suite et sur la base des hypothèses gouvernementales transmises par le Gouvernement à Bruxelles, l’équilibre financier des retraites se dégraderait jusqu’à 2027, dernière année de l’exercice de projection, sans atteindre pour autant des montants considérables (-0,4 % du PIB dans la convention EPR). Il est intéressant d’observer que ce déficit tiendrait largement à la CNRACL. Dans le scénario EPR, si le régime des fonctionnaire s de l’État est automatiquement équilibré, il n’en est pas de même de la CNRACL qui concerne les fonctionnaires de la fonction publique territoriale et les personnels de l’hôpital public. Or, la situation de ces personnels se dégrade fortement, du fait de la politique de réduction des effectifs dans la fonction publique territoriale, ce qui baisse le rendement des cotisations, alors que beaucoup de personnels arrivent à l’âge de la retraite, en particulier ceux qui ont été transférés de l’État à la fonction publique territoriale au nom de la décentralisation sans que les cotisations soient augmentées pour financer leur retraite.

Il convient de souligner que cet exercice de projection a été établi sur la base des hypothèses transmises par le gouvernement en juillet à la Commission européenne ; ces hypothèses de croissance sont légèrement différentes de celles figurant dans le projet de loi de programmation budgétaire en cours de discussion au Parlement pour 2022 et 2023. Dans le document transmis à Bruxelles, le taux de croissance du PIB serait de 2,5 % en 2022 et de 1,4 % en 2023, tandis que dans la loi e programmation des finances publiques la croissance serait de 2,7 % en 2022 et seulement de 1 % en 2023, les taux de croissance étant identiques dans les 2 exercices de projection de 2024 à 2027.

Par ailleurs, le taux de chômage baisserait à 5 % en 2027.

L’artefact de 2028/2032

Rappelons en quelques mots comment sont construites depuis plusieurs années les projections du COR.

Le COR procède en trois étapes.

Pour les 5 prochaines années, il reprend telles quelles les prévisions gouvernementales, qui ont été transmises à la Commission européenne par le gouvernement. Pour le régime de croisière (de 2032 à 2070 dans le présent rapport), le COR prend ses propres hypothèses de projection, qui ont été adoptées par consensus, sur la base du scénario de l’INSEE pour les hypothèses démographiques, et après discussion au sein du COR pour les projections économiques : scénario central de taux de chômage à 7 % actuellement (avec des variantes à 4,5 % et 10 %), et les 4 scénarios de productivité évoqués plus haut (de 0,7 % à 1,6 % dans le présent rapport)

Reste le problème du « raccordement ». Jusqu’à présent, il n’y avait pas de problème majeur car les hypothèses de taux de chômage à long terme convergeaient.

Ce n’est pas le cas actuellement, car le Gouvernement prévoit un taux de chômage à 5 %, censé résulter du succès de sa politique de l’offre, et en particulier de la réforme de l’assurance-chômage et du recul de l’âge de la retraite (!).

D’où le besoin de recourir à ce que le président du COR Pierre-Louis Bras a dénommé « un artefact statistique ». Pour raccorder le taux de chômage de 2027 du gouvernement à l’hypothèse pessimiste du COR de 7 %, le COR « invente » une récession entre 2027 et 2032.

Par suite, le déficit du système de retraite double sur la période dans le scénario 1 % (de 0,4 %du PIB à 0,8 %). C’est bien entendu ce chiffre qu’a cité sans vergogne Bruno Le Maire (exprimé en milliards d’euros pour impressionner l’opinion) pour affirmer que les projections du COR démontreraient l’absolue nécessité du recul de l’âge de la retraite !

La part des dépenses de retraite dans le PIB resterait « contenue », mais cela tiendrait à deux facteurs

Dans ses derniers rapports, le COR a toujours préféré mettre l’accent sur la stabilité de la part des dépenses de retraite dans le PIB, plutôt que sur les déficits qui sont, comme on l’a vu, largement conventionnels.

Ainsi, selon les hypothèses de productivité, la part des retraites dans le PIB serait comprise entre 12,1 % dans le scénario 1,6 % à 14,7 % dans le scénario 0,7 %. Elles resteraient donc dans la fourchette de la réforme avortée du régime universel de 2019.

Mais l’essentiel est de mesurer que ces résultats sont dus à une dégradation massive des droits des retraités. Ces projections sont réalisées à législation constante. Ils incluent donc :

  • le recul de l’âge de la retraite à 64 ans résultant de la réforme Touraine. L’âge moyen de départ à la retraite atteindrait donc 63,7 ans vers 2035 et 64 ans en 2070, en particulier du fait de l’allongement de la durée de cotisation de 43 annuités pour la génération née en 1973 ;
  • une chute du taux de remplacement. Le taux de remplacement baisserait dans des proportions considérables : pour la génération née en 2000, il serait compris selon les scénarios de productivité entre 65 % et 70 % du dernier salaire, contre 80 % pour la génération 1940, pour un non-cadre du secteur privé.

Le niveau de vie relatif des retraités, qui est actuellement légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population (mais un peu inférieur à celui des actifs serait compris en 2070 entre 75 % et 87 % de l’ensemble de la population, soit un retour à son niveau du début des années 1980

Le rapport estime que « l’évolution des dépenses de retraite n’est pas compatible avec le programme de stabilité »

Selon le programme de stabilité envoyé à Bruxelles en juillet dernier, « les dépenses publiques devraient augmenter de 0,6 %, alors que la croissance prévue des retraites serait de 1,8 % ».

Quelques autres leçons du rapport du COR

Comme dans les années précédentes, le rapport met en évidence plusieurs constatations intéressantes.

Le dispositif « carrières longues » s’éteindrait progressivement

Après avoir atteint un pic de 27 % pour la génération 1956, et d’être encore de l’ordre de 20 % pour la génération 1960, la proportion des personnes liquidant leur retraite avant 62 ans se stabiliserait à 5 % à partir e la génération 1974.

La situation des femmes s’améliorerait progressivement, mais les retraites des femmes seraient encore inférieures à celles des hommes dans 50 ans !

L’âge de départ à la retraite des femmes deviendrait équivalent à celui des hommes, mais l’écart entre le montant de la retraite des hommes et des femmes, s’il se restreindrait (il est aujourd’hui de 25 %), serait encore de 10 % en 2070, dans 50 ans !

Une grande partie des salariés ne sont plus en activité quand ils liquident leur retraite

Près de 50 % des assurés ne sont plus en activité au moment de la liquidation de leur retraite : en 2019, 55,2 % des personnes avaient validé des trimestres au titre de l’emploi, 11,5 % au titre du chômage, 7,3 % au titre de l’invalidité, 1 % au titre de la maladie, et 25 % n’avaient validé aucun trimestre.

Remarques conclusives

Même s’il note que la croissance des dépenses de retraite n’est pas compatible avec le programme de stabilité, le rapport du COR ne prend en aucune manière position sur le recul de l’âge de la retraite, ce que n’auraient en tout état de cause jamais accepté un très grand nombre des membres du Conseil.

Le rapport montre au demeurant qu’un recul de l’âge aurait des conséquences importantes sur d’autres domaines de la protection sociale : assurance-chômage, maladie, invalidité, prévoyance, minima sociaux, et que cette réforme aurait des conséquences macro-économiques sur le PIB, la consommation des ménages ou le taux de chômage.

Le rapport montre bien que les dispositifs de retraite actuels conduisent à une très importante dégradation des pensions du fait des règles actuelles, comme l’allongement de la durée de cotisation et l’indexation sur les prix.

C’est pourquoi la question fondamentale est celle du financement. Rétablir l’ouverture du droit à 60 ans, indexer les pensions sur les salaires, garantir un taux de remplacement de 75 % représente un coût important, mais il s’agit d’un choix de société : préserver la solidarité actifs-retraités ou faire le choix d’un recul infini de l’âge de la retraite dans les prochaines décennies, choisir la répartition contre les dispositifs individuels d’épargne reposant sur les marchés financiers, toutes ces mesures ont un coût important.

Pour faire face à aux besoins de la solidarité intergénérationnelle les solutions existent, mais c’est une question de choix de société.


[1] En particulier, le régime des fonctionnaires de l’État est automatiquement équilibré par une subvention d’équilibre, alors que l’équilibre financier de la CNAV et des retraites complémentaires dépend des prestations versées et des taux de cotisations (salariés comme employeurs)