Loi de programmation militaire : 413 milliards, pour quoi faire ?

Stéphanie Gwizdak

« On croit mourir pour la patrie, on meurt pour des industriels ». La phrase célèbre d’Anatole France pourrait-elle servir de devise à la politique annoncée par Emmanuel Macron ?

Emmanuel Macron a annoncé ce 20 janvier à Mont de Marsan, lors de ses vœux aux armées, l’octroi d’une enveloppe de 413 milliards d’euros supplémentaires aux budgets de la Défense pour l’exercice 2024-2030, soit une augmentation de plus de 100 milliards d’euros par rapport à loi de programmation militaire 2019-2024. Augmentation justifiée par la nécessité d’« un effort à proportion des dangers, considérables ». « Nous avons réparé l’Armée, nous allons maintenant la transformer » poursuit-il.

Mettre en relation cette augmentation substantielle avec les 12 milliards que le gouvernement dit chercher désespérément pour justifier son projet de réforme des retraites, est une question qui mériterait un développement complet à elle seule. De même que la question qui est posée à l’humanité, des conditions et gestes à produire pour emprunter la seule voie possible pour notre avenir commun : celle des résolutions diplomatiques des conflits existant ou à venir.

Dans cet article, nous avons cependant voulu saisir la mise en lumière actuelle de la question militaire pour explorer un autre aspect du sujet, tant les sommes engagées par les finances publiques ainsi que la gravité des enjeux nous obligent à y regarder de plus près : 413 milliards pour faire quoi ? Comment l’utilisation de ces sommes considérables est-elle contrôlée par les représentants de la nation ?

Peut-on augmenter les budgets sans remettre en question un modèle qui s’amortit sur la vente d’armes ?

Car la situation n’est guère brillante !

Ainsi le site Public Sénat, analysant le conflit russo-ukrainien, nous informe que « la France dispose par exemple de 222 chars de combat, 18 systèmes sol-air et 253 avions de combat, alors que la Russie et l’Ukraine ont respectivement déjà perdu, en un an de conflit, 1642 et 449 chars de combat, 88 et 86 systèmes sol-air, et 69 et 56 avions de combat. C’est donc en un an, presque 10 fois les stocks français de chars, plus de 20 fois les stocks de systèmes de défense sol-air et la moitié des stocks d’avions de combat, qui ont été détruits. » Alors que, selon l’Institut français des relations internationales (IFRI), « initialement dotée de 76 CAESAR, l’armée de Terre n’en dispose ainsi plus que de 58 » soit, compte tenu d’un taux de disponibilité de 75 %, « en dessous des 48 unités prévues par le contrat opérationnel HEM (Hypothèse d’Engagement Majeur) ».

Si Emmanuel Macron affirme que « nous avons réparé l’Armée », force est de constater que celle-ci serait, en réalité, en grande difficulté pour affronter une guerre de haute intensité qui durerait un tant soit peu. Ce qui pose alors une question simple : comment peut-on se trouver démuni face à un conflit qui n’a pas de caractère de soudaineté puisque ses prémisses remontent au moins à 2014, Angela Merkel déclarant récemment elle-même que les accords de Minsk n’avaient d’autres buts que de laisser à l’Ukraine le temps de s’armer, et que notre gouvernement n’est pas à proprement parler le premier des pacifistes ? A quoi ont donc servi les milliards investis dans la défense depuis 20 ans, pour que notre armée soit dans cet état, incapable en définitive, si besoin était, d’assurer la défense de notre pays, sauf à brandir l’épouvantail de la dissuasion nucléaire ? Sans doute moins à construire une défense pour l’intérêt général qu’à générer des profits pour les actionnaires des industries de défense, fonds de pensions inclus.

Explorons trois aspects de cette question : Quelle industrie militaire, quelle composition de l’armée et pour quels objectifs ?

Certains experts distinguent deux modèles qui se font face en Ukraine.

Les Russes, partant du principe de la brièveté de la durée de vie des équipements militaires sur les champs de bataille, misent sur la quantité et la polyvalence des unités produites (une production industrielle donc capables de produire massivement et de constituer des stocks) et des évolutions techniques progressives et inclusives d’une génération à l’autre. En outre, ils auraient limité de manière drastique les profits financiers de leur industrie de défense. Une stratégie qui recherche l’équilibre coût / performance pour « tenir » dans le temps un conflit de haute intensité. La Russie a en outre conservé une armée mixte composée de militaires professionnels et d’un contingent de conscrits effectuant leur service militaire.

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