La transformation de l’Enseignement supérieur et de la Recherche

Gilles Mercier
Chargé de recherche Hors classe - Inserm
Lise Caron
Chargée de recherche Hors classe - CNRS

La Cour des Comptes a publié en février un rapport intitulé « Universités et territoires » qui décrit la transformation en cours de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

En 2022, sur 2,9 millions d’étudiants, 1,6 million étaient inscrits à l’université – soit un effectif en augmentation de plus de 10 % sur cinq ans. Selon les prévisions du SIES (Système d’Information et Études statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), le nombre de bacheliers poursuivant leur cursus à l’université serait cependant en baisse en 2022, pour la deuxième année consécutive après celle constatée en 2021. Les réformes menées depuis quinze ans n’ont pas permis de répondre aux défis auxquels font face les universités : l’augmentation constante de la démographie étudiante, l’amélioration des conditions de la vie étudiante, l’insuffisance budgétaire pour de nombreux établissements les rendant incapables de répondre aux besoins des jeunes en formation de base.

Depuis 2006, les gouvernements successifs n’ont eu de cesse de territorialiser l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) par une politique dite de site dont la finalité est de lier les établissements de l’ESR aux entreprises de la région afin d’aligner les enseignements et les recherches sur les besoins de ces entreprises. Avec la loi de programmation de la recherche de 2006, et toutes celles qui ont suivi [1], le système unifié de l’enseignement supérieur a fait place à un système éclaté en une multiplicité d’établissements de plus en plus différenciés qui sont en concurrence. Les programmes d’investissement d’avenir (PIA) ont créé deux types de d’universités : celles orientées recherche, présentes dans les grandes métropoles avec un enseignement de 3 cycles sur un large éventail de disciplines, et celles des villes moyennes avec une part plus importante de premiers cycles concentrés sur quelques disciplines.

Le nom « Université » recouvre maintenant des réalités fort différentes. Ce qui maintenant s’appelle Université est un regroupement de différents établissements d’enseignement supérieurs publics et privés (écoles d’ingénieurs) aux statuts juridiques différents. Certains de ces regroupements ont le statut d’établissement expérimental qui leur permettra d’acquérir le statut de Grand Établissement (GE) afin de déroger au statut de la fonction publique.

Toutes ces profondes transformations intervenues dans un court intervalle de temps rendent le système fort complexe. Certains établissements privés ajoutent à la complexité en se parant du titre d’Université en contradiction de la loi du 18 mars 1880 reprise par le code de l’éducation, qui interdit explicitement aux établissements d’enseignement supérieurs privés de « prendre le titre d’universités ». La même loi leur interdit de décerner des diplômes portant le titre de baccalauréat de licence ou de doctorat. Ces établissements contournent la loi en passant des conventions avec des établissements publics. Le ministère ferme les yeux sur cette situation.

Cette différenciation du paysage de l’ESR s’est traduite par la création d’associations regroupant des directions d’établissements suivant leur taille et leur politique : UDICE, association regroupant les dix plus grandes universités, AUREF, alliance regroupant les universités de recherche et de formation, U3, le réseau des petites et moyennes universités, France Universités qui rassemble les dirigeants exécutifs des universités et établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Ces associations sont des interlocuteurs directs du ministère.

Les Programmes d’investissement d’Avenir (PIA) : outils de structuration et de différenciation du système universitaire

Les Programmes d’investissement d’Avenir (PIA), fruits de la réflexion commune du socialiste Michel Rocard et du libéral Alain Juppé, ont fortement contribué à la structuration et différenciation du système universitaire avec notamment la labellisation de 17 regroupements territoriaux comme les initiatives d’excellence (Idex) et initiatives-science-innovation-territoire-économie (ISite) sur les 64 universités en métropole.

La Cour des Comptes, dans son rapport, a catégorisé les universités en fonction de leur financement PIA. Cela a donné 4 groupes bien homogènes. Le groupe 1 est constitué des universités ayant bénéficié de plus de 10 millions d’euros de financements du PIA entre 2011 et 2021 ; le groupe 2 entre 1 et moins de 10 millions d’euros de financements du PIA ; le groupe 3 entre 100 000 euros et moins de 1 millions d’euros de financements du PIA ; le groupe 4 moins de 100 000 euros. Notons que ces financements ne représentent qu’une faible part des budgets des universités, c’est le label qui constitue un levier pour obtenir des financements ou « ressources propres » autres que la Subvention pour Charge de Service Public (SCSP).

En comparaison, la SCSP de Nantes-université qui gère l’Isite NexT (groupe 2) est de près de 290 millions d’euros pour un budget global d’environ 390 millions d’euros. Les budgets globaux de la Rochelle université (groupe 3) ou de l’Université de Bretagne Sud (groupe 4) tournent autour de 100 millions d’euros. Quant à l’université Paris-Saclay qui est le mammouth des universités françaises, son budget global (groupe 1) serait de l’ordre de 1 à 1,5 milliard d’euros.

Le tableau suivant montre que les universités qui ont le plus grand nombre d’étudiants sont celles vers lesquelles vont les financements du PIA puisque ce sont elles à qui sont attribués le label Idex et la majeure partie du label Isite. Elles ont le plus grand nombre de structures (dont les laboratoires) de recherche ; le rapport est de 5 entre les groupes 1 et 4. Elles bénéficient d’une SCSP par étudiant plus conséquente. Le nombre d’équivalent temps plein d’enseignants par étudiant augmente avec la taille de l’université. Les universités du groupe 1 sont celles qui cherchent une visibilité internationale en se plaçant en haut du classement de Shangaï ou encore en intégrant une des « universités européennes ». Leurs enseignements concernent l’ensemble des disciplines sur les trois cycles. Alors que pour celles des trois autres groupes la place du premier cycle est prépondérante (plus de 65 % des effectifs étudiants inscrits en licence). Le pourcentage de boursiers diminue avec l’augmentation de la taille de l’université. Le pourcentage d’étudiants titulaires d’un bac général augmente avec la taille de l’université à l’inverse du pourcentage d’étudiants titulaires d’un bac pro et technologique qui lui diminue. De même, le pourcentage d’étudiants ayant obtenu au bac une mention Bien ou supérieure augmente avec la taille de l’université.

Catégorisation des universités en fonction des financement PIA (2011-2021)

 Groupe 1Groupe 2Groupe 3Groupe 4
Nombre d’universités1223225
Budget moyen PIA par université (k€)29 7062 90349632
Nbr moyen de structures de recherche130563627
SCSP moy /étudiant6 739 euros6 345 euros6 107 euros5 713 euros
ETP/100 étudiants8,887,87,1
Nbr moy d’étudiants45 84128 09620 83311 702
 % d’étudiants Licence52 %65,571,577,8
 % d’étudiants Master43,1 %31,5 %26,5 %20,4 %
 % d’étudiants Doctorant4,9 %3,0 %2,0 %1,8 %
Taux de boursiers22,8 %26,4 %26,5 %30,1 %
PCS très favorisés35,7 %28,7 %25,8 %21,8 %
PCS favorisés13,3 %14,3 %14,6 %14,1 %
PCS assez favorisés28,1 %29,6 %30,5 %32,0 %
PCS défavorisés17,8 %21,6 %23,4 %25,9 %
PCS non renseignés5,1 %5,8 %5,6 %6,1 %
Bacheliers généraux85,5 %80,0 %79,0 %72,8 %
Bacheliers pro et techno14,5 %20,0 %21,0 %27,2 %
Mention B ou plus au Bac34,1 %25,2 %21,6 %18,5 %
Bacheliers de la région85,7 %84,9 %86,7 %86,1 %
Distance moyenne de résidence des étudiants hors de la commune de l’université en km195157132121
Etudiants issus d’une commune rurale10,8 %17,6 %17,9 %20,6 %
Etudiants issus d’une commune urbaine intermédiaire et dense68,1 %63,1 %64,6 %64,9 %
Etudiants issus d’une commune de plus de 200k hab58,9 %43,4 %43,0 %32,6 %
Etudiants issus d’une commune de plus de -20K à 200k hab35,9 %52,5 %53,7 %64,5 %

Une différenciation du système universitaire de plus en plus inégalitaire.

La sélection sociale des étudiants en fonction du groupe d’universités apparaît en analysant l’origine des professions et catégories socio professionnelle (PCS) des parents. Très favorisé: cadres et professions intellectuelles supérieures ; favorisé : professions intermédiaires (professeurs des écoles, instituteurs, techniciens, professions intermédiaires de santé et du travail social, …) ; assez favorisé: employés civils et d’entreprises, policiers, militaires… assez défavorisé: agriculteurs, artisans, commerçants, défavorisé : ouvriers.

Il y a 35,7 % d’étudiants « très favorisés » et 22,8 % d’étudiants boursiers dans le groupe 1 contre 21,8 % d’étudiants « très favorisés » et 30,1 % de boursiers dans le groupe 4.

Dans le groupe 4, la proportion d’étudiants issus d’une commune rurale est deux fois plus importante que dans le groupe 1. La part entre urbains et ruraux dans la population étudiante est révélatrice. 58,9 % d’étudiants issus d’une commune de plus de 200 000 habitants et 10,8 % d’étudiants ruraux dans le groupe 1 contre respectivement 32,6 % et 20,6 % dans le groupe 4. Ce qui se traduit par un nombre d’étudiants du groupe 4 résidant en moyenne plus près de leur université que pour ceux du groupe 1.

Le taux de passage en deuxième année de licence (L2) et le nombre de diplômés en licence en 4 ans sont sensiblement identiques pour les 4 groupes.

Une différenciation des universités de plus en plus spécialisées selon les cycles de formation.

La Cour a aussi choisi de catégoriser les universités en fonction des missions de formation. Elle définit 5 groupes selon le critère des effectifs des étudiants en premier cycle (licence). Le groupe 1 rassemble les universités accueillant plus de 80 % d’étudiants en licence tandis que le groupe 5 rassemble les universités dont la part des étudiants de premier cycle dans les effectifs est autour de 40 % en moyenne.

Les écarts en matière de réussite étudiante entre les différents groupes sont bien plus importants que dans la catégorisation précédente. Les universités du groupe 1, qui concentrent les plus importants effectifs de licence, obtiennent un taux de passage en L2 de 57 % et un taux de réussite au diplôme de 39 %, alors que les universités du groupe 5, où les effectifs de licence sont moins nombreux, affichent un taux de passage en L2 de 81 % et un taux de réussite au diplôme de 61 %. Les universités qui ont la plus grande proportion d’étudiants en licence (groupe 1) sont celles qui ont le plus faible taux de passage en L2 et la plus faible proportion de diplômés en Licence et dont le taux de boursiers est le plus élevé. Leurs étudiants sont issus de milieux socialement plus défavorisés. Il y a deux fois plus d’étudiants titulaires d’un Bac pro ou technique que dans le groupe 5. Le groupe 5 est celui qui a le taux de réussite le plus élevé et dont les étudiants sont issus en plus grande proportion de milieux favorisés. Les étudiants du groupe 1 sont issus de milieu ruraux et de villes moyennes, à contrario ceux du groupe 5 sont issus de grandes agglomérations.

Catégorisation des universités en fonction de la proportion d’étudiants

en premier cycle (2020-2021)

 Groupe 1Groupe 2Groupe 3Groupe 4Groupe 5
Nombre d’universités51920144
 % d’étudiants licence86,1 %74,1 %65,3 %56,6 %39,9 %
 % d’étudiants Master12,5 %23,5 %32,3 %39,8 %52,6 %
 % d’étudiants Doctorat1,4 %2,5 %2,3 %3,6 %7,5 %
Nombre d’étudiants1120616275266784592041715
Taux de passage en L257 %67 %68 %69 %81 %
Nbr de diplômés de Licence39 %50 %49 %49 %61 %
Taux de boursiers32 %29 %25 %24 %18 %
PCS très favorisés20 %23 %28 %34 %48 %
PCS favorisés14 %14 %15 %14 %11 %
PCS assez favorisés32 %32 %30 %28 %23 %
PCS défavorisés27 %25 %21 %19 %14 %
PCS non renseignés7 %6 %5 %5 %4 %
Bacheliers généraux71 %75 %81 %85 %91 %
Bacheliers pro et techno29 %25 %19 %15 %14 %
Mention B ou plus au Bac16 %19 %24 %31 %50 %
Mention AB ou moins au Bac84 %81 %76 %69 %50 %
Bacheliers de la région82 %87 %85 %87 %86 %
Distance moyenne de résidence des étudiants hors de la commune de l’université en km110139149169226
Etudiants issus d’une commune rurale16 %19 %19 %13 %5 %
Etudiants issus d’une commune urbaine intermédiaire35 %31 %25 %26 %16 %
Etudiants issus d’une commune urbaine dense38 %35 %36 %41 %51 %
Etudiants issus d’une commune de plus de 200k hab49 %38 %40 %53 %73 %
Etudiants issus d’une commune de plus de -20K à 200k hab19 %24 %19 %15 %8 %
Etudiants issus d’une commune de moins de -20Khab30 %35 %37 %27 %13 %
SCSP moyen/étudiant6 287 euros6 399 euros6 182 euros6 337 euros6 815 euros
ETP/100 étudiants8,08,17,88,39,0

Bilan des restructurations des 15 dernières années : des universités de recherche sélectives et des universités de premier cycle accueillant les étudiants les plus défavorisés.

Ces tableaux montrent que les réformes successives ont abouti à un système de l’ESR très différencié avec d’une part des établissements de grande taille (qui sont des regroupements d’établissements) établis dans les métropoles bénéficiant des moyens du PIA ayant une activité de recherche importante et d’autre part une diversité d’établissements de taille plus réduite situées dans les villes moyennes, dont les cursus sont plus orientés vers les activités professionnelles. Les étudiants de milieux sociaux moins favorisés s’inscrivant préférentiellement dans ces derniers établissements.

Parmi les jeunes de 20 à 24 ans, 77 % des enfants de cadres professions intermédiaires ou d’indépendants étudient ou ont étudié dans le supérieur contre 52 % des enfants d’ouvriers ou d’employés soit 1,5 fois plus. Grâce aux données de ParcourSup la Cour a pu montrer l’influence des origines sociales et géographique sur le choix des établissements et cursus après le Bac. Les néo-bacheliers d’origine sociale très favorisée sont largement surreprésentés dans les formations sélectives (35 % contre 9 % pour les jeunes issus de d’origine sociale défavorisée). Ces derniers préparent nettement plus souvent un BTS dans les lycées (32 % contre 11 % pour les étudiants très favorisés). Les étudiants issus des métropoles sont plus présents dans les filières sélectives (27 % contre 16 % pour les jeunes ruraux) et inversement les étudiants ruraux plus présents dans les BTS (27 % contre 19 % pour les métropolitains), mais ces écarts sont moindres d’autant plus que les étudiants issus des grandes villes sont plus souvent d’origine sociale très favorisée (38 % contre 26 % pour les ruraux).

La Cour des Comptes note que ces données qui proviennent du ministère constituent une photographie du système de l’ESR, ne sont pas utilisées par l’État pour modifier l’allocation de moyens afin de corriger les inégalités entre établissements !

La Cour note que les établissements dénoncent un financement récurrent insuffisant qui ne tient aucunement compte de l’évolution des effectifs étudiants et du glissement vieillesse technicité (GVT) de la masse salariale. Le ministère répond à la Cour que « conformément aux orientations du Président de la République », le ministère dit « envisager l’instauration d’un dialogue de performance qui se traduirait dans un contrat d’objectifs de moyens et de performance (COMP) au format plus resserré permettant d’identifier les jalons, les cibles et des indicateurs ». C’est le langage typique d’un dirigeant commercial !

Les frais d’inscription sont fixés par le ministère et s’élèvent à moins de 200 euros en licence et à moins de 300 euros en master. Pour augmenter leurs moyens financiers, les universités ont augmenté les frais d’inscription pour les étudiants étrangers hors Union européenne (2 770 euros en licence, 3 770 euros en master) et multiplié les formations spéciales (aux frais d’inscription non plafonnés) qui s’affranchissent du cadre « LMD » (licence-master-doctorat).

Au-delà de ces constats, la Cour des comptes n’est évidemment pas naïve : l’objectif du ministère n’est pas de renforcer la mission de service public de l’enseignement supérieur des universités (c’est à dire de répondre aux besoins en formation initiale et diplômante des bacheliers) mais de monter les formations nécessaires aux entreprises du territoire et d’orienter les étudiants vers ces formations d’où l’importance du maillage territorial des universités.

Les enjeux territoriaux et sociaux de l’enseignement supérieur

Dans l’esprit des gouvernements successifs, les financements du PIA étaient réservés à quelques établissements d’importance capables de rivaliser avec les clusters académiques mondiaux et d’accompagner les différents plans de relance de l’économie. Pour cela, il s’agissait de renforcer le métropolisation de l’ESR en concentrant les moyens financiers et humains sur quelques sites. La crise des gilets jaunes a amené le pouvoir à rééquilibrer quelque peu sa politique. Le site a fait place au territoire.

Les collectivités territoriales sont des « alliées précieuses » pour les universités : les financements qu’elles leur accordent, environ 1,5 milliard d’euros par an, couvre à bas bruit le désengagement financier progressif de l’État. Avec la LPR elles ont maintenant la possibilité de participer à l’élaboration des contrats quinquennaux des universités. Les lois MAPTAM (Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) et NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République) ont conforté et renforcé le rôle de la région reconnue comme une interlocutrice privilégiée de l’État et chef de file de l’intervention des collectivités territoriales. Mais, les universités ne tiennent pas à ce que les régions se mêlent de leurs stratégies veillant jalousement à leur autonomie. Quant aux régions, elles mènent leurs propres politiques, sans se coordonner avec les autres collectivités au sein du même territoire.

Nous sommes au cœur de la contradiction de la politique gouvernementale. Le maître mot des gouvernements successifs était l’autonomie des universités. Seulement, tout le monde n’avait pas le même sens du mot autonomie. L’État concevait l’autonomie comme une autonomie de gestion alors que les dirigeants d’universités l’entendaient au sens d’une autonomie totale.

Le contrôle de l’État est assuré par le recteur de région académique qui est l’interlocuteur unique du conseil régional et du préfet. Il est secondé depuis peu par un recteur délégué à l’enseignement supérieur à la recherche et l’innovation. Ce binôme contrôle le budget et la légalité des décisions de établissements. Le ministère conserve la compétence pour l’allocation des moyens et l’accréditation des diplômes. Le recteur délégué (il y en a 7 actuellement) est chargé de suivre les Idex, Isites, les établissements expérimentaux, les Contrats de plans État-régions (CPER) et de piloter les contrats territoriaux de site. Ils sont les interlocuteurs directs des présidents d’université, d’école d’ingénieurs, des élus locaux.

Pour complexifier le tout, a été créée en 2019 la fonction de délégué régional académique à la recherche et à l’innovation (DRARI) en remplacement des délégués régionaux à la recherche et à la technologie (D2RT). Le DRARI est sous l’autorité du recteur d’académie et du préfet.

Parmi ses missions, le DRARI contribue à l’évaluation des projets de recherche, de transfert et de diffusion technologiques sur le territoire ainsi qu’à la « stratégie de recherche et d’innovation pour une spécialisation intelligente » portée par les conseils régionaux. Dans le cadre de la LPR et des dialogues annuels stratégiques de gestion, il suit les dispositifs de chaires de professeur juniors, les recrutements des professeurs d’université et de directeurs de recherche des organismes nationaux de recherche. Il vérifie l’affectation des dépenses de recherche prises en compte dans le CIR (Crédit d’impôt recherche).

L’ESR est stratégique pour le pouvoir, il est donc essentiel que ses représentants en région contrôlent sa restructuration.

Les universités et les entreprises : les relations entre les universités et les entreprises ne cessent de se développer

Les lois successives ont aussi réorganisé la gouvernance des établissements notamment par l’intégration de représentants du monde économique dans les instances stratégiques des universités, dans les conseils d’administration mais aussi dans les conseils de perfectionnement qui, au moins une fois par an, doivent se prononcer sur les évolutions des formations. De nombreuses fondations universitaires financent des projets d’externalisation de la recherche et développement des entreprises locales vers les laboratoires publics.

Ainsi l’Université de Lorraine a mis en place un comité des partenariats qui regroupent 25 représentants d’entreprises dont la mission est de produire des avis sur la stratégie partenariale de l’université. L’université Côte d’Azur participe aux réunions de la CCI (Chambre de commerce et d’industrie). On peut aussi signaler de nombreuses conventions de partenariat signées entre CCI et universités (Poitiers, Montpellier 3, Toulouse, Nantes…). Capacités, filiale privée de l’Université de Nantes, dédiée à la valorisation de la recherche, joue le rôle d’interface entre les besoins des entreprises locales et les « ressources » universitaires.

Les universités sont de plus en plus soucieuses d’adapter leurs formations (c’est le terme utilisé) aux besoins des entreprises. C’est là l’ambiguïté. Qu’entend-on par formation ? Les entreprises souhaitent que les étudiants recrutés soient directement employables et maîtrisent les usages de la vie professionnelle, alors que la mission première des universités est de transmettre des contenus académiques sanctionnés par des diplômes et non de préparer leurs étudiants à l’insertion professionnelle. Le patronat ne raisonne pas tant en termes de formation mais plutôt d’employabilité, c’est à dire d’adaptation à un poste de travail. Les universités s’orientent de plus en plus vers la formation continue qui est rémunératrice. En 2019, elles ont accueilli 327 000 stagiaires pour 144 heures en moyenne de formations financées pour moitié par les entreprises. Plus d’un tiers des stagiaires ont préparé un diplôme national dont plus d’un quart étaient des licences professionnelles et un tiers des masters.

Outre les enseignements dispensés en IUT et en licences professionnelles, les universités ont mis en place des diplômes universitaires de niveau Bac + 1 proposés depuis la rentrée 2020. Ils proposent une spécialisation professionnelle appelé Diplôme Supérieur de Spécialisation.

Les universités revoient l’organisation de leurs enseignements sur la base de « blocs de compétences » qui se rapprochent des référentiels métiers des entreprises. Les représentants des entreprises sont présents au sein même des équipes pédagogiques en licence professionnelle et en master.

Nombre d’universités présentent des enseignements et des projets de recherche structurés en fonction des besoins des entreprises.

Mais, ces formations très spécifiques n’ouvrent pas d‘ouvertures au-delà du territoire de l’université. Il est difficile aux étudiants de mettre en pratique leur savoir et leurs compétences au-delà du territoire de formation.

La CCI de France a réalisé un sondage auprès des dirigeants d’entreprises. Il ressort que les besoins en diplômés de l’enseignement supérieur s’accroissent en fonction de la taille des entreprises. Pour les niveaux Bac +2 et +3, les BTS répondent bien mieux aux attentes des entreprises que ceux issus des cycles de licence. Il en est de même des licences professionnelles comparées aux licences générales. Pour le niveau Bac+5, les écoles d’ingénieurs sont préférées aux masters universitaires. Mais les masters en formation continue bénéficient d’une appréciation plus favorable. La majorité des chefs d’entreprise considèrent que les parcours universitaires préparent mal les étudiants à intégrer l’entreprise.

Afin de renforcer l’employabilité des étudiants, les dirigeants d’entreprise souhaitent pouvoir davantage influencer les évolutions de l’offre de formation et être mieux intégrés aux parcours universitaires, comme à l’université Claude Bernard de Lyon 1. Le master Biologie médicale présente une mention en biologie moléculaire qui a été construite selon les besoins et les orientations des grands groupes pharmaceutiques de la région.

Afficher des partenariats avec des acteurs socio-économiques et des collectivités territoriales est d’ailleurs devenu obligatoire dans les contrats de financements passés avec l’État (« contrat de site » via la loi ESR 2013) et avec les régions (contrat de plan État-Région), et aussi ceux en lien avec l’Union européenne (Fonds Européen de Développement Régional, notamment).

Le système mis en place est un système profondément inégalitaire basé sur la concurrence entre établissements.

Le système mis en place est en cohérence avec une organisation territoriale où les régions sont en concurrence pour attirer les entreprises et leurs emplois. L’austérité est un choix autant politique qu’économique. Elle force les établissements à rechercher les ressources auprès des régions et des entreprises. Les régions qui ont une faible compétence en matière scientifique financent les interactions entre les établissements d’enseignement et les entreprises pensant que ceci est bon pour l’emploi. Les établissements sont d’autant plus poussés à se lier aux entreprises que c’est un critère d’évaluation de l’HCERES (Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) et un paramètre clef de la contractualisation quinquennale avec le ministère. Rappelons que la « compétitivité des entreprises » est un mantra de la LPR.

L’allocation inégalitaire des moyens du PIA s’ajoutant à la réduction continue des moyens de l’État amplifie le différentiel entre établissements d’enseignement supérieur. Les universités des villes moyennes font peu de recherche. Les organismes nationaux de recherche, y ont fermé leurs laboratoires pour concentrer leurs moyens sur les métropoles. Ces universités ont donc peu d’enseignement de troisième cycle, la majorité de leur cursus se terminant au master, elles ont développé des formations professionnalisantes.

Les universités des métropoles bénéficiaires à la fois du PIA et de son effet levier sont multidisciplinaires avec des cursus LMD agrégées autour des forces de recherche qui s’y sont regroupées. Le campus ou site devient un levier d’attractivité, une marque distinctive.

Conclusions

Dans ce nouveau rapport, la Cour des comptes continue de pointer des dysfonctionnements de l’ESR sans pour autant apporter de solution attaquant le cœur du problème. Au contraire elle préconise d’entériner la disparité entre les universités dites « compétitives » et les « petites et moyennes » universités afin d’en tenir compte pour le financement public. Pas étonnant que France Universités (l’association des présidents d’université) ait salué ce rapport.

La Cour des comptes constate que l’université reproduit les inégalités sociales et pourtant ne remet pas en cause la politique de sélection et de compétitivité à tous les échelons de l’université. La loi ORE (loi d’Orientation et réussite des étudiants), la LPR, la hausse des frais d’inscription…

Ces réformes ont servi à une chose : créer un système d’université annexe pour les classes populaires et d’élites pour les autres.

Ces politiques de concentration, de mise en concurrence, d’analyse permanente des performances des établissements universitaires sont loin de produire les effets d’attractivité et de hausse de productivité escomptés. La mesure et la labellisation de « l’excellence » reposent sur une vision appauvrie du travail dans l’ESR.

Contrairement à l’idée répandue d’un « désengagement » de l’État, les différents réformes, enjeux et dispositifs récents donnent plutôt à voir une recomposition de son rôle vis-à-vis des établissements. Les diverses réformes de transformation de l’ESR montrent un État qui ne se rétracte pas, mais au contraire organise la différenciation et anime la mise en concurrence. Il octroie l’autonomie, sans en donner obligatoirement les moyens, mais entend exercer un contrôle fort. Devenues autonomes, les universités n’en restent pas moins des établissements publics, et sont appelées, à ce titre, à rendre des comptes, un rôle assuré par les rectorats, qui ont vu leurs compétences renforcées.

Le contrôle par l’État se réalise aussi via l’évaluation et les modalités contractuelles et concurrentielles de financement par le concours de nouvelles institutions (une agence de moyens, l’ANR, et une agence d’évaluation, l’HCERES) qui sont les maîtresses du jeu dans la restructuration. La mise en concurrence, l’octroi de financements concurrentiels et la labellisation sont devenus des politiques en soi, et caractérisent l’action de l’État dans la nouvelle configuration de l’ESR. Les Directions d’établissements sont devenues très « réactives » à ces nouveaux instruments de mise en concurrence. Cette réactivité relève en partie d’une nécessité budgétaire en raison de l’importance des financements à la clé. Mais l’enjeu de la concurrence est aussi bien souvent le label : les financements compétitifs constituent une forme indirecte d’évaluation qui ouvre la voie aux financements et aux recrutements. Pour être compétitives sur le marché et contribuer pleinement à « l’économie de la connaissance », les universités sont appelées à « libérer leur potentiel » en centralisant leur gouvernance, en développant leurs liens avec les entreprises, en diversifiant leurs ressources.

Cette recomposition en cours de l’ESR est loin d’être cohérente. La recomposition de la carte universitaire, avec les politiques de site faite de regroupements est synonyme d’un empilement de dispositifs qui complexifie le paysage. L’autonomie des établissements n’est pas compatible avec la logique de regroupement, le chevauchement des périmètres et des structures ainsi que la profusion des étiquettes (Réseaux thématiques, IdEx, ISITE, LabEx, EquipEx, COMUE, EPSCP, FCS, EPE, GE etc.) et de statuts juridiques pas toujours conciliables. Cette recomposition est sans fin car il s’agit d’adapter en permanence l’ESR à la stratégie de profit des entreprises. D’ailleurs, les Présidences d’université revendiquent d’être les patrons de leurs établissements et de disposer des leviers de commande. Or le monde de l’entreprise est celui de la compétition permanente. C’est le monde de la concurrence, des redéploiements, des changements de stratégie, de l’employabilité. Le besoin de profit est tel qu’il emporte tout.

La gestion du type entreprise voulue par le gouvernement et les directions d’établissement d’enseignement supérieur et de recherche est en totale contradiction avec les missions de service public de l’enseignement supérieur et la démarche scientifique qui demande de la stabilité car elle s’inscrit dans le temps long.

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[1]Loi Liberté et Responsabilité des Universités (LRU) de 2007, Loi enseignement supérieur recherche de 2013, ordonnance du 12 décembre 2018 relative à l’expérimentation de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, Loi pour la programmation de la recherche LPR de 2019.