L’innovation désigne, selon l’INSEE (Institut national de la Statistique et des Études économiques), l’introduction sur le marché d’un produit ou d’un procédé nouveau ou significativement amélioré par rapport à ceux précédemment élaborés. Ainsi définie, l’innovation est au cœur de la compétition que se livrent les entreprises dans l’appropriation des marchés afin de marginaliser jusqu’à évincer la concurrence afin de s’approprier le maximum de plus-value.
L’innovation, antienne ressassée par responsables politiques nationaux et régionaux et dotée de toutes les vertus est uniquement conçue dans le cadre de la concurrence entre groupes capitalistes. Elle mènerait le pays sur le chemin de la croissance. Avec elle, la soi-disant crise climatique se transforme en « croissance verte », les inégalités laissent place aux « opportunités » et les crises à de nouvelles phases de croissance. L’innovation serait la solution miracle à tous les problèmes économiques. Il ne s’agit pas de répondre à tous les besoins mais uniquement à ceux qui correspondent aux opportunités de profit du capital.
L’innovation ne doit pas être confondue avec la recherche et développement (R&D). Elle s’en distingue « par des exigences de production et de rencontre avec un marché et s’appuie sur des innovations d’usage qui ne sont pas purement scientifiques ou technologiques ». Une innovation est accomplie « dès lors qu’elle a été introduite sur le marché (innovation de produit) ou utilisée dans un procédé de production (innovation de procédé) ». Si la R&D peut être considérée comme une étape en amont nécessaire à l’innovation, la relation entre R&D et innovation n’est pas linéaire. L’impact de la R&D sur la croissance des entreprises dépend des conditions spécifiques à chaque secteur industriel.
L’État par ses aides publiques joue un rôle stratégique pour financer le système de R&D et d’innovation. Ses aides sont usuellement classées en deux catégories : les aides directes, telles que les subventions à des programmes de recherche ou de prototypes ou le financement des partenariats public-privé, et les aides indirectes, qui ont principalement recours à la fiscalité. Ces aides indirectes peuvent prendre des formes diverses : crédit d’impôt, niche sociale, taux réduit, exonération d’impôt, etc. consistant à inciter les entreprises à adopter un comportement déterminé en matière d’innovation (accroître la dépense de R&D, recruter des chercheurs, breveter une invention, etc.). En France, l’intensité de l’aide de l’État par les aides indirectes a augmenté à partir de 2004 et dépassé celle des aides directes à partir de 2008 avec la réforme du CIR (crédit impôt recherche).
Ces aides fiscales ont représenté en France, selon les estimations du Conseil des Prélèvements obligatoires, un montant de 7,4 milliards d’euros en 2019, soit 0,33 % du produit intérieur brut (PIB) et, selon les données de l’OCDE, 71 % des aides publiques à la R&D et à l’innovation, plaçant la France en première position dans l’OCDE pour la part des aides fiscales dans le total des aides publiques à l’innovation. Ce montant peut être comparé à la dépense intérieure de recherche et développement (DIRD), qui s’élevait à 53,2 milliards d’euros en 2019, aux ressources dont disposait la recherche publique pour son activité de R&D, de l’ordre de 20,5 milliards d’euros en 2017, ou encore au montant du 4ème programme d’investissements d’avenir (PIA), doté de 20,0 milliards d’euros sur cinq ans.
Quatre principaux dispositifs représentaient 99 % du montant des incitations fiscales en faveur de la R&D et de l’innovation en 2019 :
- le CIR (crédit d’impôt recherche) pour un montant des créances estimé à 6,3 milliards d’euros ;
- le taux réduit des plus-values à long terme provenant des produits de cessions et de concessions de brevets, pour un montant estimé à 586,0 millions d’euros ;
- le dispositif «JEI» (Jeunes entreprises innovantes), pour un montant estimé à 220,0 millions d’euros ;
- le CII (crédit d’impôt innovation), pour un montant estimé à 195,0 millions d’euros
Le CIR représente à lui seul près de 60 % de l’ensemble des aides publiques à R&D des entreprises et à l’innovation.
Malgré ces aides, sur la place internationale, la France est passé de la 4ème à la 12ème position entre 1992 et 2020 en termes de DIRD qui représente 2,36 % du PIB, en deçà de l’objectif européen de 3 % et de la moyenne européenne de 2,48 %.
Le CESE (Conseil Économique Social et Environnemental), reprenant le rapport de la CNEPI (Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation) de juin 2021, déplore un manque d’efficacité du CIR au sein des ETI (entreprise de taille intermédiaire) et grandes entreprises et s’inquiète de la concentration des aides publiques au sein du secteur industriel.
La CNEPI installée auprès de France Stratégie[1], a publié en 2021 un rapport[2] évaluant l’efficacité du Crédit Impôt Recherche (CIR).
Ce crédit d’impôt mis en place en 1983 a pour objectifs d’inciter les entreprises à s’engager dans des activités de R&D ou à en faire davantage, d’accroitre leurs performances économiques et de faire de la France un pays attractif pour les activités de R&D des multinationales étrangères et françaises. Par la suite, ses objectifs se sont élargis : recrutement de jeunes docteurs dans les services de R&D des entreprises, développement des coopérations public-privé, compétitivité des entreprises. Jusqu’en 2004, les gouvernements ont porté essentiellement leurs aides aux PME (petites et moyennes entreprises). Après 2004, ils ont mis les grands groupes au centre de leur aide avec la création des pôles de compétitivité et à la modification de l’assiette des dépenses prises en compte pour le calcul du CIR. Depuis la réforme de 2008, ce crédit d’impôt déduit de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu est égal à 30 % des dépenses de recherche dans la limite de 100 millions d’euros puis 5 % au-delà. Le montant des dépenses éligible n’est plus plafonné et le taux est très peu dégressif. Les grands groupes contournent cette disposition en répartissant leurs dépenses de R&D dans plusieurs filiales. Les plafonds de dépenses éligibles se calculent société par société et peuvent être cumulés dans un groupes de sociétés.
Le CII (Crédit impôt innovation) a été instauré en 2013, étendant les dépenses éligibles au CIR à la conception de prototypes et installations pilotes de produits nouveaux. D’un taux de 20 % et avec une assiette plafonnée à 400 000 euros, ce crédit d’impôt avait vocation à inciter les PME (dont les filiales des grands groupes) à industrialiser leur innovation, en intégrant des facteurs comme le design ou l’écoconception plus proches de la commercialisation.
Les activités concernées par le CII sont également éligibles, pour la partie des dépenses de personnel, aux exonérations de cotisations sociales du dispositif JEI.
Il représente 14 % de la totalité des dépenses fiscales. Principal soutien à la R&D des entreprises, il représentait en 2020, 60 % de l’ensemble des aides publics à l’innovation
En 2018, 26358 entreprises en ont bénéficié, soit 2,7 fois plus qu’en 2007, un an avant la réforme. Ce dispositif a couté à l’État, en 2018, un manque à gagner de 6,8 milliards d’€, soit 3,8 fois plus qu’avant la réforme.
Sur les 12 dernières années, cela représente un montant de 54 milliards d’euros soit l’équivalent du total des financements pour l’ensemble des Programmes d’Investissement d’Avenir.
Le CIR est le dispositif le plus généreux des aides fiscales des pays de l’OCDE
Au sein du système d’aide français à l’innovation, les aides fiscales dominent largement depuis 2008. Pour les seules aides fiscales à la R&D des entreprises, la France avec un ratio de 0,29 % du PIB se situe au tout premier rang devant le Royaume-Uni (0,25 %) l’Autriche, l’Italie et la Belgique (0,18 %) le Portugal (0,17 %) l’Australie et les Pays Bas (0,14 %) ainsi que la Corée (0,13 %). L’Allemagne ne s’est dotée d’un dispositif fiscal qu’en 2020.
Les principales conclusions de l’étude
12 groupes français réalisent 70 % la R&D industrielle effectuée par les groupes français dans le monde. L’impact du CIR sur la R&D des entreprises est inversement proportionnel à leur taille. Pour chaque euro d’aide fiscal reçu, les petites entreprises (moins de 50 salariés) investissent plus d’1,4 euro dans le R&D, les moyennes (50-249 salariés) 1 euro, les grandes (plus de 250 salariés) seulement 0,4 euro.
Et pourtant,En 2018, les entreprises de moins de 250 salariés ont représenté 86 % des bénéficiaires avec 32 % du total des dépenses de recherche déclarées au titre du CIR et 27,1 % de la créance fiscale du CIR dans son volet recherche. Les grandes entreprises de plus de 5 000 salariés ont représenté moins de 1 % des bénéficiaires avec 40 % du total des dépenses de recherche déclarées au titre du CIR et 35,8 %, de la créance fiscale du CIR dans son volet recherche soit 600 millions d’euros de créance de plus que la répartition selon la seule taille.
Les grandes entreprises concentrent l’essentiel de la créance totale
Les 50 groupes qui ont les CIR les plus élevés totalisent à elles seules la moitié de la créance totale.
Ce sont les entreprises de grande taille qui ont bénéficié de manière considérable de la réforme de 2008 avec l’augmentation du taux du CIR à 30 % jusqu’au seuil de 100 millions euros de dépenses de R & D. Il n’y a pas eu de renouvellement au sein de la liste des groupes français figurant parmi les leaders mondiaux qui investissement le plus en R&D.
Baisse de l’impôt sur les sociétés
Comme tout crédit d’impôt, le CIR se traduit par une réduction des impôts effectivement payés par les entreprises.
Les entreprises ayant eu recours pour la première fois au CIR après la réforme 2008 ont bénéficié d’une baisse du taux implicite d’imposition estimée à 20 %. Baisse de même ampleur que celle obtenue pour les entreprises bénéficiant du CIR avant 2008.
La R&D des entreprises étrangères en France s’est faiblement accrue au regard des investissements des groupes étrangers au niveau mondial
Les groupes français représentent, en 2016, un peu moins des trois quarts (23,7 milliards d’euros) des efforts de R&D (32,2 milliards d’euros) faits par l’ensemble des entreprises en France, les groupes étrangers 20 % (6,3 milliards d’euros). L’essentiel des 20 % des dépenses de R&D est réalisée par des groupes européens et américains. Les 7 % restant (2,2 milliards d’euros) regroupe les entreprises indépendantes y compris les start-ups.
Les groupes US ont surtout accru leurs investissements de R&D en Chine et dans le reste de l’Asie hors Japon. En Europe ils ont investi plus en Allemagne qu’en France où les coûts de R&D sont pourtant plus élevés et où le CIR n’existe que depuis 2020 mais avec des montants de créance plafonnés à assez bas niveau (4 millions d’euros).
Ainsi, le renforcement du CIR en 2008 n’a pas incité les groupes étrangers à localiser préférentiellement leur R&D en France. Les données sur l’évolution de la R&D en France couplées avec celles sur la R&D des groupes étrangers dans le monde soulignent une certaine perte d’attractivité de la France pour les groupes étrangers.
La distribution du CIR par secteur d’activité
Les données de 2018, 61 % du CIR octroyés au titre de la recherche bénéficie aux entreprises du secteur manufacturier et 36 % aux entreprises de services principalement au conseil et assistance en informatique.
Les créances au titre de l’innovation concernent pour 75 % les entreprises de services et 25 % aux manufactures. 70 % du CIR versé aux PME bénéficient à des entreprises de services !
Absence d’effet du CIR
Le rapport souligne que les choix d’investissements de R&D auraient pu avoir lieu même en l’absence du CIR. Le CIR n’a nullement modifié les choix stratégiques des entreprises
Concernant l’impact de la réforme de 2008 sur les activités R&D des entreprises qui étaient dans le dispositif avant 2008, le volume global d’effectifs ingénieurs augmente, mais cela ne se traduit pas par une plus grande intensité R&D des entreprises. L’étude n’observe pas non plus d’impact significatif de la réforme sur le dépôt de brevet, comme sur la valeur ajoutée des entreprises bénéficiaires. Le CIR n’a pas eu d’effet causal sur le taux d’investissement global des entreprises, l’impact est positif et significatif sur les seuls investissements incorporels (par exemple l’acquisition de logiciels ou de brevets).
L’effet du CIR sur les entreprises a consisté à desserrer la pression fiscale sur les PME sans les inciter particulièrement à faire de la R&D. Les choix d’investissement en R&D auraient aussi pu avoir lieu même en l’absence du CIR.
Effets macroéconomiques du CIR
Entre 2007 et 2019 la DIRD/PIB (voir définition à la fin de l’article) est passé de 2,02 % à 2,19 %. Or cette hausse de 0,17 % est nettement inférieure à celle observée pour les pays de l’OCDE (+0,3 %) et plus encore à celle de l’ensemble des 27 pays de l’UE (+04 %) Chine (+0,86 %) le ratio DIRD/PIB dépasse celui de la France
La DIRDE en France entre 2007 et 2018 est passée de 1,27 % à 1,44 %. Cette hausse de 0,16 % est inférieure à celle des pays de l’OCDE (+0,26 %) et deux fois moindre que celle des 27 de l’UE (+0,32 %). La DIRDE de la France a décroché significativement par rapport à l’Allemagne, de même que vis-à-vis de la moyenne des pays de l’OCDE, En équivalent temps plein et rapporté à mille personnes employées dans l’industrie, le personnel de R&D a connu entre 2005 et 2018 une progression totale de 32 % en France, soit un peu plus qu’en Allemagne (+31 %) mais moins qu’au Royaume-Uni (+54 %) et même que dans l’ensemble des 28 pays de l’UE (+60 %).
Dépenses de R&D faites à l’étranger par les groupes localisés en France
Les entreprises situées en France, notamment les groupes français, dépensent de plus en plus pour financer les activités de R&D à l’étranger. Cces financements sont majoritaires à l’intérieur du même groupe.
Les dépenses externes de R&D représentaient 11,6 milliards d’euros en 2016, à rapporter au 32 milliards de DIRDE faits en France. Elles ont cru fortement sur les 15 dernières années surtout pour les groupes français dont les dépenses externes augmentent deux fois plus vite que les entreprises indépendantes
Les DERD sont surtout intragroupes et intra-européennes, elles représentent en 2016 16 milliards d’euros, et 1,13 en dehors de l’Europe.
La Recherche et développement dans le monde
Nombre de groupes dans classement mondial des 2000 grands investisseurs mondiaux
en R&D suivant leur nationalité 2005-2019
Pays | 2005 | 2006 | 2007 | 2008 | 2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 | 2014 | 2015 | 2016 | 2017 | 2018 | 2019 |
USA | 586 | 562 | 544 | 532 | 501 | 486 | 457 | 452 | 467 | 469 | 479 | 451 | 430 | 421 | 414 |
Royaune Uni | 326 | 319 | 289 | 246 | 246 | 244 | 246 | 252 | 258 | 268 | 276 | 290 | 275 | 273 | 280 |
Chine | 6 | 8 | 10 | 15 | 21 | 19 | 53 | 50 | 67 | 122 | 126 | 147 | 177 | 217 | 243 |
Allemagne | 167 | 169 | 191 | 210 | 209 | 207 | 234 | 225 | 222 | 215 | 218 | 224 | 219 | 218 | 212 |
Japon | 237 | 247 | 244 | 256 | 259 | 267 | 273 | 258 | 226 | 208 | 204 | 210 | 202 | 192 | 181 |
France | 117 | 119 | 113 | 126 | 118 | 127 | 128 | 128 | 124 | 120 | 121 | 112 | 115 | 117 | 118 |
Suède | 82 | 75 | 78 | 70 | 76 | 74 | 84 | 88 | 90 | 80 | 83 | 82 | 77 | 78 | 78 |
Pays-Bas | 42 | 47 | 46 | 50 | 49 | 51 | 49 | 52 | 46 | 47 | 46 | 43 | 50 | 50 | 47 |
Taïwan | 44 | 45 | 41 | 41 | 45 | 50 | 42 | 46 | 43 | 48 | 45 | 44 | 43 | 40 | 38 |
Irlande | 12 | 12 | 11 | 12 | 16 | 17 | 14 | 16 | 21 | 25 | 24 | 27 | 27 | 30 | 35 |
Corée | 17 | 22 | 21 | 22 | 26 | 25 | 34 | 38 | 37 | 34 | 28 | 34 | 35 | 32 | 32 |
Suisse | 37 | 38 | 42 | 38 | 38 | 40 | 39 | 40 | 42 | 36 | 38 | 36 | 37 | 36 | 31 |
Source EU industrial R&D investment Scoreboard, calcul des auteurs de l’étude NEOMA-BS2021
Dans le classement mondial des 2 000 entreprises effectuant le plus de dépenses de R&D, la France en nombre de groupes (6e) reste relativement stable (entre 113 et 128 entreprises depuis 2005).
Les groupes chinois ont vu leur nombre multiplié par 41 pour dépasser du double le nombre d’entreprises françaises. Notons la progression du nombre d’entreprises allemandes, irlandaises et coréennes, ainsi que la baisse du nombre de groupes américains, et japonais.
Durant la période 2005-219, les dépenses de R&D des groupes chinois ont augmenté de 9 000 %. Les groupes chinois réalisent près de 12 % des 861 milliards d’euros de DIRD 2019 des principaux 2000 investisseurs mondiaux contre 0,2 % en 2005.
Les investissements en R&D des groupes taïwanais et coréens ont augmenté de respectivement de 400 % et 300 %, vient ensuite un groupe composé des groupes allemands (+230 %), néerlandais (+220 %) américains (+218 %) et suisses (+205 %) puis un dernier groupe composé des groupes suédois (+168 %) britanniques (+160 %), japonais et français (+158 %).
En relatif, la part des groupes US dans la DIRDE des principaux 2000 investisseurs mondiaux reste constante avec près de 40 %, comme celle des groupes suisses avec un peu plus de 3 %. La part des groupes allemand et néerlandais augmente de façon similaire. La part des groupes français, suédois, britanniques, japonais connaît le même déclin relatif. La R&D des groupes français voit son poids relatif baisser d’un tiers (de 6,8 % en 2005 à 4,6 % en 2019), même si en valeur elle reste au 5e rang mondial. La générosité des aides directes et indirectes de l’État central et déconcentré n’a pas empêché les multinationales françaises de perdre du terrain au niveau mondial.
La baisse du poids des groupes français concerne donc aussi les groupes leaders. Le nombre de firmes françaises leaders étaient de 18 en 2005 parmi les 200 plus grands investisseurs mondiaux en R&D, il n’est plus que 12 en 2019. Face à la poussée de la Chine, la baisse dans le classement mondial des groupes français est plus marquée (-1/3) que celles des groupes allemands (-1/4) et du Japon (-1/5) et que celles des groupes américains et britanniques (-1/10 pour les deux). Les leaders français pèsent aussi proportionnellement de moins en moins lourd dans la valeur de la R&D industrielle mondiale (5,5 % en 2005 et seulement 3,5 % en 2019). L’étude souligne la forte concentration de R&D des groupes français et le peu de renouvellement au sein des groupes leaders du classement.
Près de 70 % de la R&D réalisée par les groupes français dans le monde est ainsi faite par 12 groupes et cette concentration a augmenté au cours des dix dernières années. La composition de ce groupe est restée stable avec un poids prépondérant de Sanofi y compris en termes de dépenses réalisées en France.
Dans les secteurs de la santé et du matériel de transport, la R&D des groupes français a été moins dynamique que celle de ses concurrents. Le constat est encore plus flagrant pour la R&D dans le numérique, où les groupes américains représentent 62 % de la R&D mondiale suivi par et par le rapide essor de leurs rivaux chinois avec une part mondiale portée à plus de 15 % en 2019, au détriment surtout des groupes japonais, allemands, français et britanniques. Le cas des États-Unis sont ainsi parvenus à faire émerger de nouveaux leaders américains de la R&D mondiale qui concernent pour la plupart le secteur du numérique en particulier Google, Amazon, Facebook mais aussi Tesla.
Les aides publiques importantes pour soutenir la R&D en France n’ont pas modifié les écarts entre les groupes ni placer des groupes en tête des grands investisseurs R&D mondiaux.
Conclusions
La conclusion de la lecture de cette étude est sans appel : le CIR n’a en aucune façon répondu aux objectifs de sa création. Il n’a aucun effet sur les dépenses de R&D des entreprises, aucun effet sur la création d’emplois d’ingénieurs, aucun effet sur la valeur ajoutée, aucun effet sur la compétitivité des entreprises. Tout au plus desserre-t-il la pression fiscale des PME. En 2022, il représentait un manque à gagner de 7 milliards d’euros pour l’État. Ce constat pour le CIR peut être élargi à toutes les aides directes ainsi qu’aux pôles de compétitivité créés en 2004 et dont on serait bien en mal de tirer un bilan.
Il n’y a aucune incompétence ou cécité de la part des gouvernements.
Avec la mondialisation, les capitalistes ont remplacé la demande nationale par la demande mondiale. Ils délocalisent leurs productions en fonction des opportunités de profit. Le rôle de l’État est d’aider le capital à se projeter à l’international. La désindustrialisation qui s’en suit a pour corollaire une diminution de revenus, d’où la tentative de l’État de compenser autant que possible les départs d’entreprise en attirant les capitaux. C’est ainsi que le CIR créé par les sociaux-démocrates en 1984 pour impulser la R&D des PME est devenu un outil de défiscalisation pour les grands groupes à travers la modification de son assiette de calcul. L’étude révèle que ces groupes utilisent le CIR pour accroitre leurs dépenses de R&D à l’étranger au sein de filiales principalement localisées en Europe.
Cette étude révèle aussi au niveau mondial, la progression colossale des groupes chinois en matière de R&D. Les énormes investissements des groupes chinois en R&D entrainent une modification de la position relative des groupes des autres pays en fonction de leurs dépenses d’investissements. Si les groupes français gardent leur 5e place en valeur leur poids relatif baisse d’un tiers, bien plus que leurs concurrents, malgré toutes les aides dont ils sont les bénéficiaires. Ceci est extrêmement préoccupant pour l’avenir du pays.
Les grands groupes connaissent bien les conditions d’attribution des principales aides à l’implantation de sites R&D, dont le CIR en France ou encore les aides européennes. Ils les utilisent pour mettre les pays en concurrence. L’accès à ces aides est présenté par certaines entreprises comme une condition sine qua non à l’implantation effective de nouveau site. Au-delà des aides financières, les aides des États consistent à fournir des ressources et moyens techniques (infrastructures de recherche, personnels de recherche et startups à proximité, par exemple).
Il y a une sorte d’accoutumance des entreprises à cette aide importante des États. Le soutien de l’État aux entreprises sans aucune exigence ou contrepartie devient une sorte de «nouvelle normalité» économique sur la base de laquelle les dirigeants d’entreprises fondent leurs objectifs, leurs paris, leurs décisions, libres à eux d’investir ou non en France ou ailleurs.
Il n’y a aucune raison que cette tendance s’infléchisse tant la gestion des entreprises ne sera pas mise en cause, tant que l’État sera au service du capital. La question de l’appropriation de l’État doit devenir centrale pour le PCF.
Définitions :
DIRD : Dépense intérieure de recherche et développement : elle comprend les moyens financiers (nationaux et étrangers) mobilisés pour l’exécution des travaux de recherche et développement (R&D) sur le territoire national par le secteur des administrations (DIRDA) et par le secteur des entreprises (DIRDE).
DERD : Dépenses externes en R&D
PIB : Produit intérieur brut : indicateur économique quantifiant la valeur totale de la production de richesse annuelle effectuée par les agents économiques (entreprises, administration publiques ménages)
[1] France Stratégie est une institution autonome placée auprès de la Première ministre. Elle produit des analyses et des propositions. Elle produit à la demande du gouvernement des évaluations des politiques publiques. Ces travaux à destination du gouvernement sont rendus publics.
[2] Accessible sur le site : https://www.strategie.gouv.fr/publications/evaluation-credit-dimpot-recherche-rapport-cnepi-2021