Vous avez dit Austérité… ? Non, J’ai dit austérité… éééé !

Jean-Marc DURAND
membre du conseil national - PCF

« Ne transformons pas une exception en habitude » a insisté Bruno Le Maire dans son intervention lors des assises des finances publiques tenus le 19 Juin. Comment mieux donner le ton du lancement de la campagne budgétaire pour 2024 ? On pourrait s’en arrêter là tant le message est limpide.

Mais comme si cela ne suffisait pas, la Première ministre y allait d’un couplet supplémentaire. Élisabeth Borne concluait en effet l’événement en évoquant : « la nécessité de sortir du quoi qu’il en coûte ». Elle y voit un « impératif de souveraineté, un impératif économique et un impératif moral ». Rien que ça serait-on tenté de dire ! Et d’ajouter : c’est une « condition indispensable pour préparer l’avenir en matière de transition écologique, de révolution technologique et de transition démographique dans la mesure où ces enjeux nécessiteront des investissements majeurs qui ne pourront pas être entièrement financés par de la dette ».

Un plan de bataille préparé de longue date.

Le plan gouvernemental de « désendettement » du pays repose sur quatre axes principaux :

  • Le renforcement du potentiel de croissance (création d’emplois, réindustrialisation…),
  • Les réformes de structures (assurance chômage, retraites, lycée professionnel, France Travail…),
  • La lutte contre l’érosion des assiettes taxables et contre les fraudes fiscale et sociale,
  • L’efficacité des politiques publiques.

Le suivi de l’avancée de ce plan sera assuré par les « revues de dépenses publiques » qui seront dorénavant la règle applicable chaque année et qui devront permettre de trouver des économies dans les « strates profondes de la dépense, accumulées au fil du temps sans que l’on s’interroge suffisamment sur leur pertinence et leur portée », devait expliquer Mme Borne. Une façon soft de reprendre les propos du locataire de Bercy qui lui, y allait plus franco en déclarant que « Chaque année nous passerons au crible, avec tous les acteurs concernés, une vingtaine de dépenses publiques, pour mesurer leur efficacité. Les dépenses inutiles (…), nous proposerons de les supprimer progressivement ». Il devait préciser comme pour mieux se faire comprendre, que « toutes les dépenses de la sphère publique seront concernées », c’est-à-dire non seulement celles de l’État mais aussi celles des collectivités et les dépenses sociales. Pour B. Lemaire, les coupes faites en 2017 (emplois aidés, CCI, suppressions de postes à la DGFIP…) seraient « la preuve qu’on peut réduire des emplois publics, réduire les dépenses et améliorer le service rendu ».

Voici venu le temps d’une organisation méthodique de l’austérité !

Les annonces gouvernementales non seulement relèvent d’une politique d’austérité de la plus pure veine de ce que subissent depuis des dizaines d’années les pays dit du « grand sud » de la part du FMI notamment, mais elles revêtent dans le contexte difficile d’après covid, d’une véritable déclaration de guerre sociale contre les intérêts du peuple et contre la vie de chacune et de chacun. Le cynisme des objectifs gouvernementaux nous plonge en effet dans les heures les plus sombres de l’histoire de notre pays. L’enjeu est aujourd’hui coûte que coûte de mettre au pas le peuple dépensier. Après l’intransigeance qui a entouré la réforme des retraites, on passe maintenant à une nouvelle étape de la régression sociale. Jugeons-en plutôt !

Les lettres de cadrage sont en effet déjà tombées dans les ministères et le message est clair. Réduire de 5 % les dépenses de chaque ministère, hors dépenses de salaires, sachant que le ministre de l’Économie a déjà pris les devants en identifiant 10 milliards d’économies à réaliser qui seraient d’ailleurs plutôt 12 milliards. En réalité, si on additionne ces projections et si on raisonne en euros constants, ce sont 30 milliards d’économies qui sont annoncées dans l’objectif de ramener le déficit public de 57,5 % du PIB en 2022 à 53,5 % en 2027. C’est d’une grande violence ! Cela représente quasiment 10 % des dépenses de l’État en 2023, soit 431 milliards d’euros dont il faut retirer une centaine de milliards au titre des remboursements et dégrèvements divers.

Un train de mesures est annoncé dont certaines sont déjà engagées et au titre desquelles figure par exemple la fin du bouclier tarifaire énergie dès juin 2023 pour le gaz, et fin 2024 pour l’électricité. Un bouclier qui était inscrit pour 46 milliards d’euros au projet de budget 2023 et dont la suppression risque de faire très mal aux ménages. Car, si le prix du gaz est aujourd’hui en recul, rien n’assure que cette tendance va durer et, malgré ce recul, les tarifs seront loin de revenir à leur niveau d’avant crise énergétique. A noter aussi que la fin du bouclier tarifaire du gaz correspond avec la fin du tarif réglementé.

Quant aux mesures à venir, elles relèvent de trois grandes catégories et toutes vont avoir des effets dévastateurs sur la vie des populations, à commencer par les plus fragiles. La première d’entre elles concerne les dépenses de santé. M. Le Maire veut responsabiliser les acteurs de soins en pointant selon lui leur tendance à distribuer comme du bon pain les arrêts maladie et à ne pas prêter suffisamment attention aux « frais de santé » dont beaucoup seraient des dépenses de confort, en particulier les dépenses de médicaments. Un discours certes déjà entendu dans la bouche de ses prédécesseurs mais qui prend ici l’allure d’une vraie provocation quand on sait à quel point ces dépenses ont été encadrées, régulées, rédimées et lorsqu’on voit à quel niveau est tombé notre système de santé.

La seconde catégorie touche à trois domaines en même temps : le logement, le travail, et les opérateurs de l’État. A propos de logement, est annoncé la fin de l’emprunt Pinel et la réduction des offres de Prêts à taux zéro (PTZ). En ce qui concerne le travail, ce sont les aides à l’emploi qui sont ciblées au motif que les entreprises ont du mal à recruter. Pour ce qui concerne les opérateurs de l’État, le souhait est d’examiner de plus près les taxes affectées à leur financement dans l’objectif de réduire leur trésorerie.

La troisième catégorie de mesures touche au verdissement de la fiscalité avec l’objectif de réduire les avantages fiscaux sur le gazole non routier et de s’en prendre aux tarifs réduits pour les transports routiers.

Enfin, on relèvera que les associations représentatives des collectivités locales n’ont pas participé à ces assises. Pourtant le ministre des Finances avait pris soin de rappeler que les finances des collectivités locales n’étaient pour rien dans « l’envolée » des dépenses. Des propos qui n’ont visiblement pas suffisamment rassuré les élus locaux qui intuitivement doivent sentir qu’à un moment ou à un autre, ils pourraient bien être, eux aussi, appelés à la rescousse pour apporter leur pierre à l’œuvre de réduction de la dépense publique. Les propos tenus en séance plénière par le ministre des Finances et rappelés plus haut leur donne d’ailleurs de vraies raisons d’être méfiants. Ils sentent en effet certainement les risques d’effets pervers qui entourent la volonté du gouvernement de ne plus jamais les tenir à l’écart des débats et des décisions sur l’évolution de la politique budgétaire et des choix qui la caractérise. Tout comme ce qui se trame autour de la proposition d’auto-assurance des recettes des collectivités locales proposée par Bercy. Pour l’AMF, la disposition sur l’auto-assurance ne constitue en rien une réponse pour les collectivités aujourd’hui en difficulté. Par contre, elle pourrait être synonyme, si elle n’était pas volontaire, d’écrêtement imposé des recettes. Dans ce cas ce serait une nouvelle et grave atteinte à la libre administration des budgets locaux. Il s’agirait, en effet « lorsqu’elles vont bien, qu’elles font des excédents, qu’on leur permette de se constituer des réserves financières pour faire face en cas de coup dur », a simplement expliqué Bruno Le Maire, sans donner pour autant plus de précisions quant au dispositif envisagé, notamment sur son caractère facultatif ou obligatoire, individuel ou collectif.

L’enjeu majeur d’ouvrir une alternative à cette course à l’abîme.

Avec cette conférence le gouvernement franchit une étape. Il prône une austérité d’un genre nouveau qui fait le tri entre le bon grain et l’ivraie. Tour de vis pour l’emploi, pour les salaires, la santé et les services publics et liberté totale pour les marchés financiers, pour le capital et les ultra-riches. Et cela bien sûr au nom de l’entreprise, de la reconquête industrielle avec une dose d’écologie !

Un tel choix va aggraver la situation de notre pays qui est déjà dans de nombreux domaines au bord du gouffre. Il va augmenter la souffrance de millions de gens, exacerber les tensions sociales, empêcher de relever les défis énormes qui sont devant nous.

Une telle réduction de la dépense publique, qui ne représente qu’une goutte d’eau pour qui prétend vraiment résorber le déficit, aura pour conséquence immédiate, au lieu de créer les conditions d’un ressaisissement, de faire chuter la création de richesses, c’est-à-dire de faire reculer la croissance et d’accélérer ainsi la venue de la récession.

Le gouvernement nous invite à un jeu de massacre. Au lieu d’investir, c’est-à-dire d’augmenter la dépense pour créer de vrais emplois, les former, les rémunérer à leur juste valeur, au lieu de promouvoir les services publics et de soutenir leur essor comme celui d’ailleurs de la recherche pour une nouvelle industrialisation, il verrouille tout.  

L’urgence, c’est de développer une nouvelle croissance à partir d’alternatives réelles et durables aux modes de production et de consommation actuels et non pas de s’en prendre à la fois à l’offre et à la demande comme ce que préconise le plan d’austérité des Macron, Borne et Le Maire en mettant au régime sec les dépenses de santé, de services publics, pour l’emploi, la formation, les salaires et le pouvoir d’achat sans dévier d’un iota de leurs choix au services des profits et de l’accumulation des capitaux.

Bien sûr, ils nous diront que tout cela est pour lutter contre la dette. Pas de chance mais là encore, c’est exactement le contraire qu’il faut faire si on veut vraiment traiter la dette. Le problème de la dette, ce n’est pas son niveau, c’est son utilisation et ses conditions d’attribution et de remboursement.

Aujourd’hui la dette accumulée notamment pendant la période covid a certes permis d’éviter une explosion du chômage et des fermetures d’entreprises mais elle a surtout servi à maintenir les profits qui n’ont d’ailleurs jamais été aussi florissants. Les montants servis par les entreprises du CAC 40 nous en donnent une idée : 80 milliards de dividendes et de rachats d’actions en 2021 puis 67, 5 milliards de dividendes en 2022 et 25 milliards de rachats d’actions. On peut dire que de ce point de vue cela tourne plutôt rond. Par contre, cette dette aura finalement très peu servi à consolider les productions réelles et à assurer une croissance saine. On le mesure d’autant plus aujourd’hui avec les créations d’emplois sous-qualifiés auxquelles on assiste et la nouvelle vague de fermetures d’entreprises en cours. La dette doit être au contraire considérée comme une avance pour soutenir une croissance dont le cœur est à la fois l’emploi, la formation, et des engagements précis pour relever le défi climatique (recherche et développement, services publics, qualifications).

C’est cette utilisation de la dette qui permettra de faire reculer son poids et de réduire les déséquilibres profonds et les graves fractures qui traversent notre société.

Enfin, la dette s’envole car la BCE, qui a décidé de relever ses taux, contribue à l’explosion de taux très élevés sur les marchés. C’est une trentaine de milliards supplémentaires que l’État doit ainsi débourser au titre des intérêts de la dette. Et tout cela se passe dans le plus grand silence de nos vaillants gouvernants.  

Une tout autre utilisation de la dette est donc nécessaire si on souhaite véritablement sortir du cycle de récession vers lequel l’économie de la France et tout le pays se dirigent. Mais d’autres dispositions doivent aussi être prises, dont une mise à plat des aides publiques et de leur conditionnalité. Il est urgent de mettre en regard de chaque aide des conditions sociales et écologiques ambitieuses au lieu de les conditionner aux bas salaires. Il faut ensuite une tout autre politique du crédit pour des prêts massifs à taux zéro voire inférieurs à zéro à partir du moment où cet argent sert à soutenir et développer l’emploi, la formation, la recherche, les services publics et l’investissement efficace. Il s’agirait par contre de pénaliser fortement ceux qui soutiendraient les profits, les délocalisations, les suppressions d’emplois. Et il est possible tout de suite d’engager un tel processus en France à partir de son réseau de banques publiques en exigeant que la BCE refinance à 0 % ces crédits des banques.

Enfin, il est plus que nécessaire de mettre en œuvre une réforme fiscale qui tournerait autour de trois grands axes :

  • rendre progressif et moduler l’impôt des entreprises (IS) en pénalisant celles qui n’utilisent pas leurs bénéfices pour développer l’emploi, la formation, la production écologique, et en incitant les autres. Cela inclut les pratiques d’évasion fiscale et d’évitement fiscal auxquelles il faut évidemment s’attaquer.
  • accroître la pression de l’impôt sur les revenus du capital, de la finance et de la fortune, bref sur la rente « l’argent qui dort ». Par contre, pour les revenus du travail, de tout le salariat, des ouvriers aux cadres supérieurs en passant par les fonctionnaires et les agents publics, il faut redéfinir une progressivité plus douce, voire instaurer un abattement à l’image de l’abattement de 20 % qui s’appliquait à l’IR et qui après avoir été fondu en 1995 a aujourd’hui totalement disparu.
  • Rendre l’impôt sur le revenu vraiment progressif, avec la création de nouvelles tranches, la redéfinition du barème et de la progressivité en engageant corrélativement à la montée en charge du rendement de ce nouvel IR, une réduction de la TVA et de la CSG.

1 Trackback / Pingback

  1. Numéro 826-827 (mai-juin 2023) - Économie et politique

Les commentaires sont fermés.