Économie et écologie, deux faces d’une même médaille

Hélène Cogez
Membre du conseil national du Mouvement Jeunes Communistes de France

Une transformation écologique réussie de nos productions et de nos consommations est inséparable d’une transformation du système économique.

Une actualité brûlante nous appelle à appréhender le duo économie-écologie comme une question politique. Deux écueils symétriques sont alors à éviter, qui tracent en négatif notre propre conception.

  1. Réductionnisme économique : c’est l’approche de l’économie mainstream, qui aborde la question de l’environnement au sens large à travers le prisme de ce qui échappe au marché, de l’externalité qu’il s’agirait d’internaliser pour que les agents économiques (qui sont par ailleurs pensés comme étant en face à face et sur un pied d’égalité, producteur et consommateur) les prennent en compte dans leurs arbitrages pour minimiser il les effets néfastes du changement climatique, de la pollution ou de l’épuisement des ressources. La relation reste double, entre économie et nature : si l’économie peut aborder l’interface entre humains et environnement, ces derniers restent séparés, extérieurs l’un à l’autre. On est dans une vision instrumentale, mais pas tout à fait matérialiste, de la nature – au sens où y a un peu une ignorance des réalités matérielles. Voir la tension entre la définition de la rareté par l’économie mainstream et la définition des sciences de la nature : la rareté en économie, c’est quand une demande n’est pas couverte par l’offre. Alors que du point de vue des sciences du vivant, la rareté est un principe absolu (par exemple le fait d’avoir moins d’espèces au sein d’un écosystème, etc.).
  2. Réductionnisme physique : ce deuxième écueil est en fait le pendant du premier et renvoie à l’approche du Shift Project et de Jean-Marc Jancovici : ce dernier amalgame les flux physiques aux flux économiques, et sur cette base évacue les données comme l’emploi de sa réflexion sur la transition de l’économie française. Rappelons que le PIB, comme mesure quantifiable de la somme des revenus distribués (selon l’une des trois façons de le calculer), ne saurait être confondu avec la taille de l’économie : diminuer le PIB peut se faire en démonétisant certaines activités (par exemple, prendre sa voiture plutôt que prendre un taxi). Déjà chez les physiocrates, au XVIIIe siècle, on ne confondait pas production matérielle et circulation du revenu, mais cette lucidité s’est un peu perdue au Shift Project. Il ne voit pas que les conséquences économiques et sociales du changement climatique ne sont pas de second ordre, mais même, de façon encore plus fondamentale que le contenu carbone, que la dépendance aux matières premières de nos productions est intrinsèquement liée à des choix économiques. Par exemple, la notion de coût complet pour fixer le tarif de l’électricité fait dépendre ce tarif des conditions de financement (au demeurant, cette notion véhicule un critère capitaliste, puisqu’elle met sur le même plan travail vivant et travail mort). Pour reprendre la provocation de Denis Durand dans son compte-rendu du rapport du Shift Project [1], Jancovici, c’est Attali malgré lui – Jacques Attali qui dans les années 1970 affirmait que « les microprocesseurs annonçaient la fin du sous-développement parce qu’il suffit d’avoir du sable pour les produire ».

Dans ces deux cas, on a une approche partielle de la réalité, avec une séparation entre économie et écologie qui relève d’une même posture idéaliste. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si dans les discours d’EELV par exemple, on passe aisément d’un écueil à l’autre : d’un côté on va mettre en avant l’idée de « décroissance » à partir du constat de la finitude des ressources, des contraintes matérielles qui pèsent de plus en plus fortement sur la production ; mais de l’autre, on va aussi défendre l’idée d’une « fin du travail, » parce que précisément on oublie la dimension matérielle de la production de la vie sociale. On se focalise sur l’évidence des plateformes et sur les apparences d’une économie numérique dématérialisée, mais sans vouloir voir que rien de tout cela n’est possible sans ce qu’on appelle le digital labor, c’est-à-dire sans un travail tout à fait matériel réalisé dans de grandes fermes du clic, délocalisées dans les pays à bas coûts ou dans des hangars des pays dits du Nord.

Le type capitaliste de croissance de la productivité est incompatible avec une réponse à la crise écologique

En vérité, écologie et économie sont les deux faces d’une même pièce, ce qu’avait déjà bien compris Marx. L’économie définie comme l’activité de transformation de la nature extérieure pour les besoins vitaux des êtres humains est ainsi, non pas quelque chose qui s’oppose à l’écologie mais une deuxième facette du monde humain. Au sens physique le plus fondamental, tous les processus naturels et toutes les actions humaines sont des transformations énergétiques ; donc il est évident que la question de la disponibilité des ressources énergétiques et non énergétiques est centrale pour reproduire nos conditions matérielles d’existence.

Les rapports de production sont une mise en rapport d’humains entre eux (rapports sociaux : sujet à sujet) et à la nature (sujet à objet), et les deux vont de pair pour produire la vie sociale. C’est pour cela que l’économie capitaliste, qui a pour boussole le taux de profit, se révèle incapable de répondre à la crise climatique, plus largement aux crises environnementales qu’elle participe à engendrer. En effet, le capitalisme met en avant un type biaisé de progression de la productivité. Alors que la productivité du travail est le rapport entre une quantité de travail et les biens qu’elle a permis de produire – il s’agit donc de la quantité de travail totale, à la fois vivante (les salariés) et morte (accumulée dans les machines) – le patronat met en avant une conception tronquée de la productivité qui ne concerne que le travail vivant.

En conséquence, le patronat s’adonne à un type spécifique de progression de la productivité qui consiste à augmenter les dépenses en travail mort pour remplacer le travail vivant. Cette progression de la productivité est contradictoire puisqu’il arrive un moment où se manifeste un excès d’accumulation de travail mort, qui freine la croissance de la productivité et se trouve au fondement de la crise de la rentabilité capitaliste. Or, ce mode de progression contradictoire de la progression de la productivité va contre les dépenses dans le travail vivant, c’est-à-dire les dépenses pour la création d’emplois ou celles pour la formation des salariés, l’économie de capital matériel et financier, la reconversion de l’outil de production, l’efficacité sociale et écologique des techniques.

D’autres critères de gestion, permettant d’économiser les moyens matériels et financiers, et mettant l’accent sur la valeur ajoutée par rapport au capital matériel et financier engagé dans la production, pour tenir compte du contenu carbone et de la dépendance matières de celle-ci, pour une tout autre progression de la productivité, sont donc nécessaires à la révolution écologique. Les prétendues solutions à la crise écologique, que ce soit via le marché ou par des corrections étatiques (taxes, marché de quotas), qui laissent l’entreprise et sa gestion en-dehors, sont visiblement inefficaces. Cela fait l’importance décisive des services publics pour la transition écologique. Comme l’écrivait Frédéric Boccara : « L’effectivité de la mise en œuvre de ces critères, indispensables pour une véritable production écologique, repose sur deux types de leviers : (1) des pouvoirs des salariés dans les entreprises pour intervenir sur les critères de gestion, les choix d’investissement, et l’utilisation de la valeur ajoutée, (2) un système de crédit finançant les entreprises selon de tels critères et suivant le respect de ces objectifs [2] ».

Pas de fatalisme (ce qui est le propre des deux écueils symétriques évoqués plus haut), ni dans un sens ni dans l’autre : conception punitive et autoritaire ou croyance naïve dans la transition créatrice « en soi » d’emplois.

Nous avons besoin d’un système qui permette, encourage l’évolution des productions (et donc des compétences). Cette dimension est absente, y compris dans les modèles keynésiens qui supposent un « facteur travail » homogénéisé alors qu’en vérité les compétences mettent du temps à s’acquérir : ce n’est donc pas un facteur homogène interchangeable. Au contraire, les possibilités de reconversion d’une production à l’autre dépendent des procédés concrets de production – on peut penser à la production de biokérosène et de biodiesel. Notre conception de l’écologie s’inscrit dans un projet politique global qui vise une société donnant les moyens à chacune et à chacun de développer ses potentialités et de s’émanciper.

La transformation écologique est par essence une transformation économique

Dans la définition d’un projet de société écologique, il n’y a pas d’un côté la technique, les objectifs physiques, et ensuite l’économie qui arrive ex post, soit pour financer, soit pour trouver les politiques qui vont permettre « l’acceptabilité sociale » : en vérité, c’est la matière de la transition écologique, de cette trajectoire. Au cœur de la transition écologique, il y a cette opposition à la logique du capital pour promouvoir un tout autre rapport au travail et à l’emploi, à l’articulation travail/hors travail, à la formation. Pour cela, il faut affronter la logique de rentabilité :

  • de nouveaux critères de gestion avec de nouveaux pouvoirs des salariés instaurant un autre rapport à l’entreprise que le rapport individualiste (entreprise qui raisonne en tenant compte uniquement de ses résultats, versus planification à différents échelons telle que l’entreprise est prise dans son inscription dans le territoire, le secteur, l’économie) ;
  • une planification appuyée par la mise en place de pôles publics, etc. C’est une problématique évidemment transversale : elle doit être traitée au niveau européen (reconstruire des filières industrielles, en favorisant coopération versus logique de concurrence, électrolyse etc.) , au niveau international (sécuriser les chaînes d’approvisionnement, nouvelles coopérations internationales…) ;
  • l’emploi : la révolution écologique suppose une tout autre conception de la productivité, fondée sur le développement des capacités humaines, et donc une éradication de ce qui grève l’écologie et l’économie, c’est-à-dire chômage, précarité, insuffisance de formation, casse du tissu productif via les licenciements qui empêchent l’adaptation des qualifications permettant d’anticiper les évolutions technologiques et les reconversions qui les accompagnent.

La présentation du plan climat Empreinte 2050 du PCF a mis en évidence combien il serait utile – pour faire connaître ces conceptions et asseoir leur légitimité dans le débat public – de disposer d’un modèle macroéconomique marxiste pour tracer de façon précise, chiffrée, les trajectoires de décarbonation de l’économie, dans un cadre de modélisation intégrée qui tienne compte de notre conception selon laquelle économie et écologie sont les deux faces d’une même pièce.

Il a donc été décidé de lancer un groupe de travail, aussi ouvert que celui du Plan Climat, pour construire, d’ici à 2027, un tel modèle économie-climat intégré, avec un module macroéconomique marxiste pour l’économie française. Cela permettra de faire des scénarios pour objectiver le débat, les hypothèses explicites, de prendre en compte un maximum d’interactions entre les variables – en gardant en tête qu’un modèle est toujours une simplification. Ce sera l’occasion, au fur et à mesure qu’on devra faire des choix de modélisation, d’instruire des débats de fond (par exemple en organisant des tables rondes, conférences, pouvant donner lieu à des débats contradictoires qui pourraient trouver un débouché éditorial dans une relance de la revue Issues) et d’engager le plus largement possible autour de ce projet des économistes et des scientifiques de diverses disciplines.


[1] Denis Durand, « Note de lecture : The Shift Project, L’emploi, moteur de la transformation bas carbone », Économie&Politique, n° 812-813, mars-avril 2018.

[2] Frédéric Boccara : « Écologie : les entreprises et la domination du capital au cœur de la révolution nécessaire ! », Économie&Politique, °780-781, juillet-août 2019.

1 Comment

  1. La solution serait «  de nouveaux critères de gestion avec de nouveaux pouvoirs au salariés instaurant un autre rapport à l’entreprise… » ainsi qu’ »une planification appuyée par la mise en place de pôles publics » qui « doit être traité au niveau européen (reconstruire des filières industrielles en favorisant coopération versus logique de concurrence, électrolyse !!!) au niveau international »
C’est Marx revisité par petit ours brun et les bisounours.
    Car à aucun moment il n’est question de l’Etat central et de la propriété des moyens de production. Les capitalistes sont toujours aux manettes et par le miracle des pôles publics et des tables rondes et de décisions européennes, l’écologisme dans sa version non capitaliste ondoierait la société.
    Je ne sais pas ce que sont les pôles publics ? un bureau, une société avec quel statut ! Le pôle public est la solution miracle qui vous résout toutes les contradictions de la société ! Mettez en autant que vous voulez !
    Quant à l’Union européenne il serait peut-être temps de comprendre que c’est avant tout une association de concurrents dont la pensée directrice est comment assurer au mieux la concurrence des groupes au sein de la zone. Eh oui car le capitalisme c’est avant tout et surtout la concurrence entre entreprises et entre Etats. Il n’y a pas d’Europe de la défense, , les dissensions autour du char franco- allemand, du scaf, du système anti missile en sont la preuve, l’Europe spatiale est de plus plus traversée par des stratégies divergentes etc.
    Seriez vous un tantinet fédéraliste ?
    « Il a donc été décidé de lancer un groupe de travail, aussi ouvert que celui du Plan Climat, pour construire, d’ici à 2027, un tel modèle économie-climat intégré, avec un module macroéconomique marxiste pour l’économie française ». Un module macroéconomique marxiste pour l’économie française c’est quoi cet OVNI ? D’ici 2027, il n’y a pas le feu au lac !
    Vous vous adressez à qui ? Dans quel pays vivez vous ?
    Vous avez vu l’état des Hopitaux, du système sanitaire du pays vous avez vu l’état du système scolaire, , les inégalités sociales n’ont jamais aussi grandes, la pauvreté s’étend. Les salariés de ce pays, les chômeurs, sont en droit d’attendre autre chose du PCF qu’un module macroéconomique marxiste ;

    Gilles Mercier

1 Trackback / Pingback

  1. Numéro 830-831 (septembre-octobre 2023) - Économie et politique

Les commentaires sont fermés.