Dossier
Les moyens de répondre aux attentes :
Développer les services publics avec le Nouveau Front Populaire

Frédéric BOCCARA
économiste, membre du comité exécutif national du PCF

Les moyens de financer le retour du service public.

Le programme du Nouveau Front Populaire (NFP) énonce que « le service public est de retour ». Pour cela toute une série de mesures, immédiates et de moyen terme, sont envisagées, depuis une « conférence de sauvetage de l’hôpital », ou les « premiers pas de la gratuité scolaire intégrale », jusqu’au « rattrapage des postes manquants de fonctionnaires » à l’hôpital public, dans le soin, dans le médico-social, la justice, les agences de l’État, en passant par « développer les transports publics et écologiques » et revenir sur la privatisation de Fret SNCF, « redonner à l’école son objectif d’émancipation » mais aussi « garantir l’accès à toutes et tous sur tout le territoire », avec « l’égalité territoriale », la création de 500 000 places en crèche, la construction de 200 000 logements publics par an pendant 5 ans, et un « plan grand âge », avec formation et embauches de personnels ou encore étendre la gratuité de la culture et des musées nationaux ou une loi de programmation de la recherche plus ambitieuse.

C’est indispensable aussi bien pour la justice sociale, pour l’émancipation humaine que pour l’efficacité sociale, économique, écologique, mais aussi tout simplement pour la vie.

Question majeure : comment financer cela pour que cela soit à la hauteur des besoins et durable ?

  • Cela demandera un financement important. La fiscalité n’y suffira pas : même si on réquisitionnait l’ensemble des profits du CAC40 (140 milliards d’euros), ce qui n’est ni possible, ni souhaitable (car il faut que ces entreprises se développent, certes autrement, mais qu’elles se développent) ;
  • il faut bien voir aussi que développer des services publics repose en priorité sur les embauches massives, de la formation et un emploi de qualité, bien payé. En priorité, mais pas exclusivement, car il faut accompagner des embauches et ces formations par des investissements matériels. Par exemple, on ne peut pas se contenter de construire des murs d’hôpital ou d’acheter du matériel, sans former et recruter des soignants ou encore d’acheter des rames de trains… sans embaucher ou former des conducteurs pour les piloter ! etc. Il en est de même pour les places en crèche ou pour l’éducation. Dans les secteurs les plus en tension (hôpital), il faut que les recrutements soient massifs pour rendre crédible que les conditions de travail changent et ainsi permettre un « choc » d’attractivité des emplois.
  • Enfin, il faut bien distinguer les temporalités : d’abord l’urgence, ensuite le traitement de fond. C’est ce que fait le programme du NFP.

La logique de la réponse est la suivante 

  • On finance immédiatement par des avances à 0 % des créations d’emploi et des formations, sous forme de pré-recrutements, avec une rémunération des jeunes durant la formation (et engagement des deux côtés sur un emploi à statut), accompagnées d’investissement ;
  • on organise en urgence, les alternances formation-emploi adaptées pour les premiers recrutés, afin que tout de suite les services publics (par exemple l’hôpital) puissent respirer et on ouvre le chantier de l’élaboration démocratique des formations, ouvertes aussi à tous les personnels en poste ;
  • on organise un audit de la dette passée et sa reprise à 0 % par la Caisse des dépôts entamée immédiatement mais de façon progressive, en commençant par l’hôpital public. Cela permet la résorption progressive des 50 milliards d’euros d’intérêts prélevés chaque année par les marchés financiers sur le budget de l’Etat, donc sur nos impôts ;
  • l’activité et la production réalisées augmente ensuite, car progressivement les personnels sont opérationnels et font progresser le PIB, les cotisations sociales et les richesses, augmentant ainsi l’assiette des prélèvements. La progression générale de l’emploi, de la valeur ajoutée et des salaires qui résulte de la logique d’ensemble du programme contribue également à l’augmentation de cette assiette. D’autre part la réforme fiscale entre en vigueur faisant contribuer la finance, le capital et en priorité les très hauts revenus. Les deux conjugués permettent de financer ensuite le remboursement et un fonctionnement pérenne[1]
  • les avances à 0 % sont réalisées par le pôle public bancaire que le NFP crée à partir de la Caisse des dépôts et la BPI (banque publique d’investissements) ;
  • on crée pour cela, par exemple, un Fonds pour les services publics, à gestion démocratique, où siègent des parlementaires, des élus des territoires, des salariés (représentants organisations syndicales) et des associations d’usagers. Il est saisi depuis le terrain, par les mobilisations populaires exprimant les besoins.

Commentaire politique : les réformes de structure (Fonds d’avances, français voire européen, et financement à 0 %) permettent de s’assurer que les dépenses seront efficaces tant pour le niveau de vie des gens que pour faire progresser l’assiette nouvelle de richesses.

En parallèle au niveau européen

  • La Caisse des dépôts exige son refinancement par la BCE comme les traités l’y autorisent, avec application d’un taux zéro (Banque centrale européenne) ;
  • pour être plus forts, le gouvernement français propose aux autres pays de l’UE qui le veulent de créer ensemble, via le mécanisme des « coopérations européennes renforcées » un Fonds pour les services publics, adossé aux équivalents de la Caisse des dépôts et/ou des banques publiques des autres pays (Allemagne, Espagne, Belgique, Slovénie, par exemple) ;
  • à Bruxelles (conseil des ministres européens), le gouvernement français mène la bataille pour la création généralisée et immédiate d’un tel Fonds pour les services publics dans toute l’Europe (autorisé par l’article 123.2 du Traité de l’UE). De même que les parlementaires français du NFP à Strasbourg ;
  • sur cette base, nous exigeons le remplacement Pacte de stabilité par un pacte européen « pour le climat et l’urgence sociale » (programme du NFP).

Un chiffrage peut être fait 

  • Besoins de financement des services publics[2] : 124 milliards d’euros (correspondant à 100.000 emplois à l’hôpital + 300.000 emplois en Ehpad + 90.000 dans l’éducation (écoles, collèges, lycées) + 90.000 AESH + 15.000 enseignants chercheurs dans le supérieur + 30.000 agents des impôts + 50.000 salariés dans l’énergie + 25.000 dans la justice et dans l’aide aux mineurs + 30.000 pour la tranquillité publique + une revalorisation générale des salaires et du point d’indice) ;
  • avances financières nécessaires : 190 milliards d’euros la 1ère année (un tiers des 124 milliards d’euros + le déficit actuel qui est de 150 milliards d’euros).
  • allègement de la charge de la dette –10 milliards d’euros la 1ère année, 50 milliards d’euros au bout de 4 ans[3]
  • progression du PIB au bout de 5 ans : 650 milliards d’euros supplémentaires (à condition que cela « marche » côté entreprises et bouclage extérieur)[4]. Il faudrait en actualiser la chronique annuelle, en même temps que de produire des prélèvements fiscaux nouveaux et des dépenses.

[1] A condition qu’il y ait en même temps « reconquête du marché intérieur » et ré-industrialisation efficace

[2] Il s’agit des services publics au sens strict, pas de la protection sociale et hors FBCF. On actualise ici un calcul fait pour 2022 avec les chiffres de 2021, en appliquant la hausse du prix du PIB en 2022+2023 = 9%.

[3] La hausse des taux de 0% à 4% en deux ans a augmenté de 18 milliards d’euros les charges d’intérêt, par règle de 3 en un an passer de 4% à 0% : – 9 milliards d’euros.

[4] Voir Economie & Politique, N° 810-811, p. 41-43

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