Dossier
Les moyens de répondre aux attentes
Débat entre économistes : les priorités du Nouveau Front populaire 

Jézabel Couppey-Soubeyran
maîtresse de conférences à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne en économie monétaire et financière et conseillère scientifique de l’Institut Veblen
Denis Durand
membre du conseil national du PCF, codirecteur d'Économie&Politique
Liêm Hoang Ngoc
maître de conférences à l'Université Paris I Sorbonne, ancien député européen

 Extraits de la discussion entre économistes sur le programme du Nouveau Front populaire, Fondation Gabriel Péri, 27 mai 2024.

Denis Durand

La situation angoissante dans laquelle nous nous trouvons nous pousse à élever le niveau des réponses que nous essayons d’apporter.

Nous savons bien que cela va être très compliqué et difficile. C’est normal, vu la situation, et nous sommes là ce matin pour en parler et essayer de contribuer à surmonter ces difficultés. Un élément positif dans le programme du Nouveau Front populaire, tel qu’il a été présenté, est la démarche en deux temps. Dans un premier temps, on annonce des augmentations des salaires, des traitements des fonctionnaires, des minima sociaux, un premier effort pour réparer les services publics immédiatement pour donner le ton et montrer qu’on va changer de politique par rapport à ce qui a été fait depuis des années par Macron et même avant. Ensuite, assez vite, quelques semaines plus tard, commence une période de transformations plus profondes permettant de dégager les moyens nécessaires.

Cela signifie que nous annonçons immédiatement des mesures qui nécessitent des dépenses de l’État et des entreprises, en recourant aux avances de fonds nécessaires pour les financer. Ensuite, nous créons les conditions pour que la stimulation de la demande ait pour contrepartie une augmentation de la création de richesses. C’est cette création de richesse qui permettra, à terme, de dégager les ressources nécessaires pour payer les salaires, augmenter les fonctionnaires, réparer les services publics, etc., et engager la transition écologique.

Ce schéma est relativement classique pour la gauche, pourrait-on dire, mais les circonstances nous obligent à aller un peu plus loin. Il ne s’agit pas seulement de stimuler la demande, mais aussi de montrer comment la gauche peut créer les conditions pour que l’offre réponde à cette demande.

Liêm Hoang Ngoc

Le socle commun aujourd’hui à gauche, c’est de considérer qu’il faut modifier la répartition des richesses, qui s’est déplacée de manière immodérée en faveur des actionnaires. D’autre part, il faut organiser la transition écologique et réindustrialiser le pays dans ce cadre, comme le font les États-Unis.

Le programme du nouveau Front populaire a été élaboré en quelques heures et compile un ensemble de slogans de campagne dans un plan détaillé et relativement cohérent, bien que cela ressemble un peu à une liste à la Prévert. Pour passer aux travaux pratiques, il faudra notamment une loi de Finances, des priorités devront nécessairement être hiérarchisées. Ce sera le travail des parlementaires.

Jézabel Couppey-Soubeyran

Je pense que le programme du Front populaire est le seul à reposer sur une lecture lucide des urgences et du contexte global, tant au niveau national, européen, que mondial. Ce contexte peut être décrit par le terme de « polycrise », une notion qui mérite d’être davantage mise en avant dans les débats politiques et économiques. Une polycrise est une situation où plusieurs crises s’entremêlent, notamment une crise sociale et une crise écologique. C’est dans ce programme que se trouvent les réponses à cette double urgence.

Je ne suis pas forcément convaincue par l’approche en deux temps. Les urgences actuelles nécessitent des transformations profondes, et ces deux aspects ne doivent pas être séparés dans le temps, les réponses à la double urgence sociale et écologique procèdent d’une même temporalité.

Il faut déclarer un double état d’urgence, social et écologique. Ces deux urgences sont étroitement liées, notamment dans leurs causes, qui sont le produit d’un système économique et financier néolibéral, instauré depuis les années 70-80. Ce système a creusé les inégalités et provoqué de nombreux dérèglements, en mettant l’État au service du secteur privé plutôt que de la protection sociale, et qui a mis le pouvoir monétaire des banques centrales au service des banques et des marchés bien plus qu’au service de l’économie.

Les mesures concernant les minima sociaux et les bas salaires visent à répondre à l’urgence sociale. Sans cela, nous ne pourrons pas répondre à l’urgence écologique. La crise des gilets jaunes en est un exemple : je ne dis pas que la petite taxe environnementale qui a mis le feu aux poudres était la réponse à l’urgence écologique mais on voit bien que si on prétend prendre des mesures écologiques dans un contexte où on ne répond pas à l’urgence sociale ça ne marche pas, cela crée une véritable bombe sociale.

Les transformations écologiques et leur coût ne seront acceptés que si l’on réduit les inégalités et si on répond aux urgences sociales. Il est crucial de faire ressortir que ces deux urgences sont liées, tant au niveau du diagnostic que de l’analyse.

Du point de vue macroéconomique, la demande a été abîmée par une politique monétaire restrictive en réponse à une inflation qui n’était pas principalement monétaire et qui dans la zone euro n’était absolument pas due à une surchauffe de la demande. Ne pas répondre à la polycrise et laisser se multiplier les crises pourrait plomber l’économie. Cela étant, les réponses à l’urgence sociale entraînent bien sûr un coût qui reposera en partie sur les pouvoirs publics et en partie sur les entreprises, avec une nécessaire distinction entre les PME et les grandes entreprises.

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