Commission économique du PCF
Il a été souligné que le Nouveau Front populaire a été la seule force en présence, depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, à présenter un programme chiffré. Cela n’est en rien le reflet du hasard mais celui d’un fait politique : la crédibilité du Nouveau Front populaire repose sur une logique économique nettement différente de celle qui a inspiré la politique d’Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Élysée.
Salaires, emplois, formation, retraite, logement, climat, services publics : les besoins sont immenses. Tout aussi immense est l’attente de nos concitoyennes et concitoyens, qui veulent en finir avec les blessures infligées par l’empressement d’Emmanuel Macron à satisfaire toutes les exigences du CAC40 et des marchés financiers. Le Nouveau Front populaire porte l’espoir de répondre à cette attente. Il ne se contente pas d’en faire la promesse : il propose à notre peuple un calendrier en deux temps pour engager ― avec lui ― un nouveau type de développement et d’efficacité économique, sociale, écologique.
Le premier temps est celui de la « rupture » et de la « bifurcation ».
Dès sa mise en place, le gouvernement de gauche prendra les mesures qui donneront l’impulsion à l’augmentation des salaires, des pensions et des minima sociaux, aux embauches et préembauches dans les services publics. Les avances de fonds immédiatement nécessaires seront procurées par la réorientation des aides publiques aux entreprises, et par la mobilisation des institutions financières publiques, appelées à constituer un futur pôle bancaire public. De nouveaux pouvoirs démocratiques sur l’utilisation de l’argent, exercés par les salariés dans les entreprises, par les citoyens dans les territoires, viendront contrecarrer l’emprise des marchés financiers sur le comportement des banques et des entreprises.
Parallèlement sera engagée la bifurcation, c’est-à-dire les réformes de structure qui permettront de s’assurer que l’on prend bien le chemin d’un développement pérenne et efficace :
- nouvelle conditionnalité sociale et écologique de toutes les aides publiques ;
- mise en place d’un pôle public bancaire et financier et réforme de la réglementation bancaire pour réorienter le crédit vers l’emploi et la création efficace de richesses ;
- nouveaux droits d’intervention des travailleurs ;
- nouvelle fiscalité
- augmentation et modulation des cotisations sociales patronales ;
- instauration d’une cotisation sur les revenus financiers des ménages, (dividendes, rachats d’action…), et d’un prélèvement sur les revenus financiers des entreprises, venant alimenter la Sécurité sociale ;
- premiers effets positifs de la revitalisation des services publics (formation, recherche, écologie…) et de la protection sociale.
Il faudra aussi inventer les nouvelles institutions d’une planification écologique et sociale.
Les enseignements de Keynes et de bien d’autres nous disent que des avances monétaires peuvent permettre de prendre efficacement le chemin d’un autre développement, mais ce n’est pas automatique. Marx, entre autres, montre à quel point le monopole du capital vient piloter de façon perverse ces avances pour les mettre au service de son taux de profit maximal. Il faut donc s’assurer que ce flux monétaire sera bien affecté selon des critères d’efficacité écologique, sociale et économique.
À partir de ce moment, le nouveau mode de développement commencera à engendrer des richesses dans lesquelles on pourra puiser pour l’entretenir de façon pérenne.
C’est ainsi que s’ouvrira le deuxième temps, celui de la « transformation ».
Lorsqu’elle prend corps, le financement tend à s’auto-entretenir. Non pas qu’on n’ait plus besoin d’avances et de crédit mais déjà une nouvelle production se développe, les « déficits » économiques et écologiques commencent à se résorber, le poids de l’endettement dans le PIB recule.
La nouvelle logique de développement, c’est que l’écologie et le social (l’emploi, la formation, les services publics et la réduction du temps de travail) sont à la fois le but et le moyen d’une transformation profonde de la production et de la consommation.
C’est un développement écologique : diminution des rejets de CO2, économies de matières et de capital matériel, diminution des rejets polluants. Il faut s’en assurer dans tous les projets d’investissement et de production et basculer vers une économie où, tout en répondant aux besoins matériels (logement, alimentation, transport…), la priorité devient le développement des services humains (santé, culture…) et une autre culture de la consommation.
C’est un développement social : un emploi de qualité, avec un temps de travail fortement réduit aussi bien à la semaine, à l’année, que tout au long de la vie (retraite plus tôt, temps de formation accru tout au long de la vie), pour permettre aussi bien l’émancipation, l’épanouissement, desserrer la tension du travail, que pour permettre la participation à la vie sociale. Le développement des services publics et de la protection sociale sont décisifs en ce sens. Cela fait écho à une conception devenue commune à de nombreuses composantes du mouvement syndical : une sécurisation plus ou moins radicale de l’emploi et de la formation.
Beau projet qui peut mobiliser et entraîner une grande diversité de nos concitoyens. Mais est-il viable, est-il économiquement efficace ? La question est lancinante depuis 1983-84, mais aussi quand on pense à 1936. On nous attend à ce tournant !
Trois questions auxquelles la gauche devra répondre
La première question est celle des coûts des entreprises : il faut préserver d’une part leurs capacités de développement, et d’autre part leur compétitivité internationale, sinon la croissance de la demande ira aux importations. Nous proposons une coopération internationale et des protections européennes, mais cela est loin de suffire, surtout pour passer le cap des premières mesures de rupture… Ce que nous proposons de nouveau, à l’unisson du mouvement social et syndical, c’est de baisser le coût du capital (les dividendes, intérêts et autres prélèvements qu’il opère sur la richesse créée, mais aussi les entraves qu’il oppose à la création efficace de richesses elle-même). C’est même la baisse tous les autres coûts que les dépenses sociales et les dépenses pour le vivant. Oui, il faut baisser des coûts ! Mais pas les dépenses efficaces qui contribuent au libre développement des êtres humains.
La seconde question est celle de l’international et de l’Europe, intimement liée avec la finance. Pour l’Europe, le « Pacte européen pour le climat et l’urgence sociale » ouvre une bataille pour sortir en commun de l’austérité, par exemple avec un Fonds européen de développement des services publics pour tous les pays de l’UE, financé par la BCE, qui aurait l’avantage d’aider à maîtriser les écarts de conjoncture entre leurs différentes économies. Nous proposons aussi des mécanismes de financement public sur des critères précis, dans l’UE, pour une nouvelle production industrielle et de services.
Ιl reste, reconnaissons-le, que l’international est la partie du programme qui peut le plus susciter des interrogations. Il faudra donc faire preuve de créativité dans son application. Par exemple, il est écrit : « mettre fin aux traités de libre échange ». Que met-on à la place ? Des traités de coopération avec le Sud global : échanges et investissement privilégiés s’ils contribuent à développer les biens communs (santé, environnement …) et l’emploi au « Nord » comme au « Sud », le tout articulé avec des protections économiques.
Enfin, la question de la monnaie, d’un nouvel ordre économique international et du dollar est ouverte.
Au fond, le NFP cherche à tenir compte de l’expérience du Front populaire de 1936 : il peut se donner des moyens d’agir sur la monnaie et les banques (le Front populaire n’avait pas cherché à impulser un autre crédit aux entreprises, au contraire de ce qui a été fait à la Libération), et à tenir compte de l’échec de 1983-84 (agir sur l’offre des entreprises, leurs coûts, pas seulement sur la demande, et agir sur l’international). S’il prend résolument en mains le levier d’avances financières massives, avec de nouveaux droits pour la société civile, les travailleuses et les travailleurs, il tirera utilement les leçons de l’expérience réussie à la Libération. Les luttes, interventions sociales, la créativité et les concertations seront décisives pour sa réussite.