Le 4 mai 2024, le Parti communiste français a organisé une conférence internationale sur le thème « La paix, notre bien commun ». La journée a comporté quatre tables rondes et une conclusion de Fabien Roussel. Nous rendons comptes dans ces colonnes des interventions prononcées à la troisième table ronde, plus particulièrement consacrée aux enjeux économiques et monétaires de la recherche d’un nouveau développement.
Jin Xudong, ministre conseiller de l’ambassade de Chine en France
Chers invités, chers amis,
Je suis très honoré de pouvoir prendre la parole à la conférence internationale organisée par le PCF pour partager les réalisations et les perspectives du développement économique et social de la Chine. Je voudrais aborder les points suivants.
Un développement économique de haute qualité
Premièrement, du point de vue économique, la promotion d’un développement de haute qualité.
Le développement est un terme éternel de la société humaine. En tant que parti marxiste au pouvoir, le Parti communiste chinois (PCC) adhère fermement à la philosophie de développement centré sur le peuple. Il explore activement un chemin de développement conforme à la réalité nationale chinoise et a promis des réalisations importantes dans le développement économique et social de la Chine, contribuant ainsi positivement à la cause du progrès humain.
Dans le contexte actuel de récession économique mondiale, l’économie chinoise maintient un rythme de croissance solide. Nous avons insisté sur la réforme structurelle du côté de l’offre comme ligne directrice, promouvant ainsi la transformation qualitative, efficace et dynamique du développement économique avec des résultats significatifs. En même temps, nous avons fait face activement à divers risques et défis, maintenant l’économie dans un intervalle raisonnable et fournissant un soutien solide à la stabilité et à la reprise de l’économie mondiale.
En 2023, le PIB de la Chine a atteint 126 000 milliards de yuans, environ 17 710 milliards de dollars américains, avec un taux de croissance économique de 5,2 %. Ce chiffre est supérieur à la moyenne de 4,5 % des trois ans de pandémie. La Chine reste le plus grand moteur de croissance économique mondiale, avec une contribution à la croissance économique mondiale de plus de 30 %. En 2024, nous avons fixé l’objectif de croissance économique à environ 5 %.
En regardant vers l’avenir, les perspectives de développement de l’économie chinoise restent brillantes. Nous allons approfondir la stratégie de développement pilotée par l’innovation, accélérer la construction d’un nouveau modèle de développement centré sur la boucle domestique et mutuellement renforcée par la boucle nationale et internationale. Nous continuerons à approfondir la réforme et l’ouverture, stimuler la vitalité du marché et la créativité sociale, et promouvoir une amélioration qualitative et efficace ainsi qu’une croissance quantitative raisonnable de l’économie.
En même temps, nous renforçons également la construction de la civilisation écologique, promouvant le développement vert et bas carbone pour laisser aux générations futures le bleu des cieux, l’eau propre et les montagnes vertes.
Dans ce processus, la modernisation à la chinoise montre son charme unique. La modernisation socialiste dirigée par le Parti communiste chinois a non seulement les caractéristiques communes de la mondialisation, mais aussi des caractéristiques chinoises basées sur la réalité nationale. Nous insistons sur le développement de l’État et de la nation en nous appuyant sur nos propres forces, en gardant fermement les perspectives du développement et du progrès de la Chine entre nos propres mains.
Nous accordons une attention particulière à l’équilibre, à la coordination et à la durabilité du développement. En promouvant un développement coordonné de la civilisation matérielle, politique, spirituelle, sociale et écologique, nous adhérons fermement à la philosophie de développement centrée sur le peuple. En satisfaisant constamment les aspirations du peuple à une vie meilleure, en favorisant le développement intégral de l’homme et le progrès social, nous promouvons vigoureusement les nouvelles forces productives de qualité, clé pour réaliser la modernisation à la chinoise et le développement de haute qualité.
Les nouvelles forces productives de qualité font référence aux nouvelles industries et domaines représentés par les technologies de l’information, la biotechnologie, les nouveaux matériaux, les nouvelles énergies, etc., qui ont un haut degré d’innovation et de croissance. Elles sont une force importante pour promouvoir le développement économique et social. Nous devons saisir fermement les opportunités de la nouvelle révolution scientifique et technologique et du changement industriel, accélérer le développement et la formation des nouvelles forces productives de qualité, promouvoir l’optimisation et la montée en gamme de la structure industrielle, et améliorer la qualité et l’efficacité du développement économique.
En même temps, nous devons également voir que le développement des nouvelles forces productives de qualité ne peut pas se faire sans innovation. Nous devons approfondir la réforme du système scientifique et technologique, renforcer la recherche fondamentale et l’étude de base, et améliorer la capacité d’innovation originale. Nous devons renforcer la formation et l’introduction de talents pour créer une équipe de talents innovateurs de haut niveau. Nous devons également renforcer la coopération et les échanges internationaux, en absorbant et en tirant parti des expériences et des réalisations technologiques avancées internationales pour promouvoir le développement des nouvelles forces productives de qualité à la pointe mondiale.
En promouvant vigoureusement les nouvelles forces productives de qualité, nous devons également promouvoir la théorie de l’économie chinoise lumineuse, basée sur une confiance ferme dans le développement économique à long terme de la Chine et une compréhension profonde du potentiel énorme de résilience et de vitalité économique de la Chine. Nous sommes convaincus que tant que nous adhérons à la bonne voie et à la bonne stratégie de développement, à la réforme approfondie, à l’ouverture et au développement piloté par l’innovation, l’économie chinoise aura une perspective encore plus lumineuse.
Une prospérité commune de tout le peuple
Deuxièmement, du point de vue social, nous devrions réaliser une prospérité commune de tout le peuple.
Le Président Xi Jinping a souligné que le développement que nous poursuivons est un développement qui profite au peuple et que la prospérité que nous recherchons est la prospérité commune de tout le peuple. Depuis sa fondation, le PCC considère l’élimination de l’exploitation, l’éradication de la pauvreté et la réalisation de la prospérité commune comme sa mission immuable.
Depuis la réforme et l’ouverture, 770 millions de ruraux pauvres en Chine ont été sortis de la pauvreté, ce qui représente plus de 70 % de la population mondiale réduite à la pauvreté au cours de la même période. Depuis le 18e Congrès en 2012, le PCC a placé la réduction de la pauvreté au premier rang de sa gouvernance, sortant près de 100 millions de personnes de la pauvreté en 8 ans et atteignant les objectifs de réduction de la pauvreté des Nations Unies avec dix ans d’avance. Cela représente non seulement un grand succès pour la lutte contre la pauvreté de la Chine, mais aussi une contribution significative au processus mondial en cette matière.
Aujourd’hui, la Chine est entrée dans une nouvelle étape historique de la promotion de la prospérité commune. Selon le rapport du 20e Congrès du PCC en 2022, l’espérance de vie moyenne en Chine est passée à 78,2 ans, le revenu disponible par habitant a augmenté à 35 100 yuans (environ 4850 dollars). Le nombre de nouveaux emplois urbains créés chaque année est de plus de 13 millions. La Chine possède le plus grand système éducatif, médical et de sécurité sociale du monde. L’assurance retraite de base couvre 1,04 milliard de personnes et le taux de participation à l’assurance maladie de base s’est stabilisé à 95 %. Cela prouve clairement que la voie du développement de la Chine est celle de la prospérité commune.
Une communauté d’avenir partagé pour l’humanité
Troisièmement, du point de vue global, promouvoir la construction d’une communauté d’avenir partagé pour l’humanité.
Il n’y a qu’une seule Terre dans l’univers et les êtres humains partagent une seule planète. Nous vivons une époque pleine d’espoir, mais aussi pleine de défis. À la croisée des chemins, devons-nous nous unir ou nous diviser, être ouverts ou fermés, coopérer ou nous affronter ? La manière dont nous choisissons de répondre à ces questions est liée aux intérêts généraux de l’humanité.
La réponse rationnelle est de construire une communauté d’avenir partagé pour l’humanité. Il y a dix ans, le Président Xi Jinping a proposé ce concept pour apporter une solution chinoise à un avenir brillant où les peuples de tous les pays travailleraient ensemble pour protéger notre planète et partager la prospérité. La Chine adhère au concept de gouvernance mondiale fondée sur des consultations approfondies, des contributions conjointes et des bénéfices partagés, et participe à la réforme du système de gouvernance mondiale.
La Chine renforce sa coopération économique avec d’autres pays du monde par le biais de l’initiative de « la ceinture et la route » (les « routes de la soie », NDLR) pour le développement conjoint et la prospérité commune à l’échelle mondiale. La Chine prône un véritable multilatéralisme et défend fermement le système international centré sur les Nations Unies et l’ordre international fondé sur le droit international. Les relations internationales doivent être basées sur les buts et principes de la Charte des Nations Unies.
Au cours des dix dernières années, le concept de communauté d’avenir partagé pour l’humanité a été inscrit dans les résolutions et déclarations des mécanismes multilatéraux tels que les Nations Unies et l’Organisation de coopération de Shanghai. Le choix de la paix plutôt que de la guerre, du développement plutôt que de la pauvreté, de l’ouverture plutôt que de la fermeture, de la coopération plutôt que de la confrontation, de l’unité plutôt que de la division, de l’équité plutôt que de l’hégémonie offre une vision optimiste pour explorer de nouveaux modèles de dialogue et de coopération et rechercher un nouvel avenir de développement pacifique.
En réponse aux contradictions fondamentales et aux principaux enjeux du monde actuel, le Président Xi Jinping a également proposé trois solutions : l’initiative de développement global, l’initiative de sécurité globale et l’initiative de civilisation globale.
Trois réponses aux enjeux du monde actuel
– L’initiative de développement global prône un modèle de développement axé sur le bénéfice universel, l’équilibre, la coordination et l’inclusion, une coopération gagnant-gagnant et une prospérité commune qui s’aligne pleinement sur le programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies et profite à la majorité des pays en développement ;
– L’initiative de sécurité globale prône le dialogue plutôt que la confrontation, les partenariats plutôt que les alliances militaires, et le gagnant-gagnant plutôt que les jeux à somme nulle. Elle vise à répondre aux défis de sécurité mondiaux auxquels l’humanité est confrontée et à résoudre les problèmes régionaux actuels et les conflits géopolitiques.
– L’initiative de civilisation globale prône le respect de la diversité des civilisations du monde, les valeurs communes de toute l’humanité, l’importance accordée à l’héritage et à l’innovation des civilisations, le renforcement des échanges et de la coopération internationaux, et la promotion d’une coexistence harmonieuse et d’un apprentissage mutuel entre différentes civilisations.
La Chine et l’Europe sont les deux principales forces promouvant la multipolarité, les deux principaux marchés soutenant la mondialisation et les deux grandes civilisations prenant la diversité au sérieux. Dans la situation internationale actuelle marquée par les bouleversements, les relations entre la Chine et l’UE sont cruciales pour la paix, la stabilité et la prospérité mondiale. Les deux parties ont la responsabilité d’apporter ensemble plus de stabilité au monde et de contribuer au développement mondial.
Cette année marque le soixantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et la France, ainsi que l’année de la culture et du tourisme. Nous devons profiter de cette occasion pour renforcer le dialogue et la coordination, approfondir les échanges et la coopération, et rendre les relations sino-françaises plus stables, devenant ainsi un modèle de premier plan dans le monde.
Nous devons approfondir le partenariat stratégique global Chine-UE, renforcer la coopération ouverte, nous opposer au découplage et à la rupture des chaînes d’approvisionnement, gérer correctement les différences par la consultation, maintenir conjointement la stabilité des chaînes industrielles et d’approvisionnement mondiales et promouvoir la reprise économique mondiale. Nous devons continuer à maintenir une communication étroite sur les enjeux internationaux et régionaux, nous soutenir mutuellement dans nos initiatives multilatérales, et travailler ensemble pour relever les défis mondiaux tels que le changement climatique et la biodiversité, apportant ainsi plus de stabilité à un monde déjà plein d’incertitudes.
Chers invités, chers amis, Mesdames et Messieurs,
La voie de la modernisation à la chinoise est une voie de développement conforme à la réalité nationale chinoise et à la tendance de l’époque. Nous développerons fermement les nouvelles forces productives de qualité, accélérerons la construction d’un nouveau modèle de développement, et travaillerons sans relâche pour réaliser le grand renouveau de la nation chinoise. En même temps, nous sommes également disposés à travailler avec tous les pays du monde, y compris la France, pour promouvoir conjointement la construction d’une communauté d’avenir partagé pour l’humanité et apporter de plus grandes contributions à la paix et au développement mondiaux.
J’espère sincèrement que vous mènerez des échanges approfondis, partagerez votre sagesse, et contribuerez conjointement à promouvoir le développement de nouvelles forces productives de qualité et à ouvrir un nouveau chapitre de la modernisation à la chinoise.
Merci à toutes et à tous.
Esdras Ribeiro Silva, représentant en France du Parti des Travailleurs du Brésil
Bonjour à tous,
Avant tout, merci pour l’invitation. Concernant le Brésil, comme vous le savez peut-être, nous avons remporté la présidence mais nous n’avons pas réussi à avoir le pouvoir, C’est pourquoi nous rencontrons des difficultés politiques. Depuis 2003, face à l’hégémonie économique et monétaire, nous essayons de développer notre pays et de briser cette domination.
Un sujet important que nous allons aborder aujourd’hui est la dédollarisation. Nous tentons de mettre en œuvre des changements dans notre pays et avec les BRICS. Il est crucial d’adopter de nouvelles politiques de développement inclusives et équilibrées pour contrer cette hégémonie.
Diversification économique : nous encourageons la diversification de notre économie pour réduire notre dépendance à certaines industries et marchés.
Renforcement des capacités locales : nous investissons massivement dans l’éducation, la formation professionnelle et le développement de compétences, non seulement au Brésil, mais aussi dans d’autres pays, comme le Sénégal. Récemment, nous avons signé un accord de coopération universitaire avec ce pays.
Promotion du commerce équitable : nous encourageons le commerce équitable et éthique pour garantir des conditions de travail justes et équitables.
Réforme agraire : nous tentons d’accélérer la réforme agraire, malgré des obstacles au Congrès national.
Investissement dans l’infrastructure : nous investissons dans les infrastructures, telles que les routes, les réseaux électriques et les systèmes de communication, pour stimuler le développement économique. Pendant des années, notre production de soja et de maïs était handicapée par une infrastructure logistique moins développée que celle des États-Unis qui en tiraient avantage pour écouler leur production. Cependant, nous investissons désormais dans notre infrastructure avec le soutien de la Chine, notre premier partenaire commerciale, et des BRICS.
Finance inclusive : nous promouvons l’accès aux services financiers, tels que les prêts et les assurances, pour la population défavorisée afin de favoriser l’inclusion financière, l’entrepreneuriat et le développement économique, en particulier dans l’agriculture familiale.
Coopération régionale et internationale : nous renforçons notre coopération avec d’autres pays, notamment en Afrique, pour promouvoir le commerce, l’investissement et le transfert de technologie. Nous adoptons une approche holistique et collaborative pour promouvoir un développement économique durable et équitable tout en réduisant les déséquilibres causés par l’hégémonie économique et monétaire.
En ce qui concerne les BRICS, cette alliance comprend le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Nous développons des accords commerciaux et des partenariats stratégiques, incluant la création de zones de libre-échange et l’harmonisation des politiques économiques et monétaires. Nous cherchons à diversifier nos partenariats internationaux, en particulier avec les pays du Sud.
Les BRICS promeuvent de nouvelles institutions financières, etcomme la Nouvelle Banque de Développement, et la coordination des politiques monétaires. Nous cherchons également à renforcer nos alliances régionales pour promouvoir une coopération économique Sud-Sud. Une approche coordonnée et collaborative nous permettra de mieux faire face aux hégémonies économiques et monétaires, et de promouvoir un ordre économique mondial équilibré et inclusif.
Qu’en est-il du risque de fracturation du monde en deux blocs monétaires ?
Le Brésil soutient fortement l’idée d’une nouvelle monnaie pour le commerce international, proposition défendue également par la Russie. À propos de dédollarisation, depuis 2003, nous poursuivons une politique de diversification de nos réserves en devises et de promotion de l’utilisation de notre monnaie nationale, le réal, bien que convaincre les acteurs du secteur agroalimentaire reste un défi.
Nous travaillons également sur des accords bilatéraux et régionaux. Par exemple, ce matin les ministres des Affaires étrangères du Brésil et de l’Argentine ont tenté de négocier un accord bilatéral, même si c’est compliqué avec le nouveau gouvernement argentin ! Nous avons récemment exploré un accord de paiement alternatif avec l’Iran, échangeant du maïs contre des engrais. Cela permet de réduire les coûts de production agricole et d’aider nos pays à s’affranchir des contraintes imposées par les États-Unis.
Martial Ze Belinga, économiste et chercheur indépendant en sciences sociales
Je remercie ceux qui ont bien voulu m’inviter à participer à cette table ronde, notamment M. Félix Atchadé. Je vous dis en toute honnêteté et franchise l’honneur que je ressens à être parmi vous aujourd’hui. Ayant été moi-même très inspiré par des auteurs africains et caribéens communistes, c’est pour moi un honneur et un plaisir d’être ici et de devoir dire quelques mots en suivant les traces de mes illustres prédécesseurs.
On nous a demandé de parler du franc CFA dans le contexte des discussions sur les hégémonies économiques et monétaires. Le choix du franc CFA peut sembler étonnant quand on parle de dédollarisation, mais il est en réalité judicieux. Il est important de comprendre que les alternatives peuvent et doivent être conçues à partir de différents contextes pour éviter de produire des solutions centrées sur soi-même, comme le risque de l’eurocentrisme.
Pour les pays qui ont conservé une monnaie coloniale, la dédollarisation est d’abord un débat sur la sortie de la « francisation » et de l’ « européanisation » de leur espace monétaire. Il s’agit de relativiser le débat sur l’universalisation des alternatives et de promouvoir une approche qu’on pourrait qualifier de « pluriverselle », où chaque région développe ses propres solutions tout en cherchant à les faire converger.
Le franc CFA est utilisé par 15 pays africains. Historiquement, les différents impérialismes ont imposé leurs monnaies en Afrique, expulsant les monnaies locales, endogènes, et restructurant ainsi les économies locales pour en faire des économies coloniales. Par exemple, les impôts devaient être payés en monnaie coloniale. Pour avoir ce qu’on appelait l’« argent du Blanc », il fallait produire les biens et services profitant à la métropole. La force de travail a ainsi été reconvertie en une force de travail au bénéfice de la colonie.
Le franc CFA, créé après la Seconde Guerre mondiale en 1945, n’est qu’une des dernières étapes de ce processus de très longue durée. Ainsi, la Banque du Sénégal a été créée en 1865 à la suite de l’abolition de l’esclavage en vue de l’indemnisation des propriétaires d’esclaves. L’utilisation de l’espace africain a été extrêmement précieux dans la résistance au fascisme, pendant la Deuxième guerre mondiale. À la fin de la guerre, dans une période de fragilité du franc français, il est décidé d’instaurer une monnaie spéciale pour les colonies, obéissant à des règles spécifiques, pour raffermir les liens entre avec la métropole. Les indépendances de 1960 s’accompagnent du maintien du fonctionnement ancien. C’est ce que j’ai appelé le colonialisme après les colonies.
Cette monnaie obéit à des règles spécifiques. Les pays utilisateurs du franc CFA devaient déposer leurs réserves au Trésor public français, et leur monnaie était arrimée de façon fixe au franc français, puis à l’euro. Cette fixité signifie que les pays n’ont pas de politique monétaire autonome.
Les règles du franc CFA, fixées par la France, incluent la libre circulation monétaire entre les anciennes colonies et la France, et une inconvertibilité du franc CFA en dehors de la zone franc. Cela contraint les pays à convertir leur monnaie en euros via la Banque de France pour des transactions internationales. La dévaluation de 1994 a été décidée par la France.
Aujourd’hui, il faut une décision à la fois française et européenne, en application de la décision du Conseil de l’Union européenne du 23 novembre 1998. Par exemple, en 2019, le président français et son homologue ivoirien ont annoncé un changement de nom pour le franc CFA. Cela a nécessité un vote de l’Assemblée nationale française et une approbation de l’Union européenne, sans consultation des pays africains concernés. Cela montre le caractère hégémonique et la répression de la souveraineté monétaire de ces pays.
Les effets externes de cette situation sont négatifs pour la réputation du capital français en Afrique. Aujourd’hui, le franc CFA est discuté au-delà des pays francophones, dans des conférences en Afrique anglophone, par exemple. Ce rejet croissant, notamment par les jeunes, est compréhensible, car sans souveraineté, il ne peut y avoir de développement économique autonome. Il serait aujourd’hui de l’intérêt des élites françaises, même si c’est extrêmement difficile, de penser par elles-mêmes une sortie du franc CFA.
En parlant de dédollarisation, il est crucial de ne pas avoir comme point aveugle les relations économiques entre l’Afrique et l’Europe. Les élites européennes devraient acquérir l’imaginaire de relations équitables et équilibrées avec l’Afrique, ce qui est difficile compte tenu de la longue tradition de relations asymétriques et coloniales. L’absence d’histoire contemporaine de relations équilibrées rend extrêmement difficile de penser les alternatives. Quand on parle d’environnement, de développement, de dette, on est convaincu que ces notions ont les mêmes contenus en Afrique et en Europe, or ce n’est pas le cas.
Faute de quoi, nous risquons de créer, de bonne foi, des alternatives qui restent eurocentrées et aveugles aux réalités africaines.
Frédéric Boccara, membre du comité exécutif national du PCF et membre du bureau du Parti de la Gauche européenne
Tout d’abord, je me félicite de cette rencontre et de l’affluence. C’est très encourageant et important. Merci à vos interventions particulièrement stimulantes. Nous devons continuer dans cette direction.
En février 2020, juste avant le confinement, nous avions organisé une rencontre intitulée « Révolutionner la mondialisation ». Je vous invite à consulter le compte rendu dans Économie et Politique ainsi que le numéro sur le dollar.
Développement et monnaie
Le développement et la monnaie sont intrinsèquement liés, à la fois pour des questions de financement, de pouvoir et de souveraineté. Aujourd’hui, nous faisons face à plusieurs conditions particulières :
1. l’hégémonie du dollar et l’impérialisme américain, y compris avec le maintien de puissances qui se croient encore impériales, comme la France en Afrique mais qui sont plutôt des sous-impérialismes contribuant au maintien de l’hégémonie des États-Unis. Kwame Nkrumah, le leader de l’indépendance du Ghana, parlait dès 1961 de « néocolonialisme, stade suprême de l’impérialisme ». Encore son livre parle-t-il relativement peu du dollar parce que son impérialisme s’est surtout affirmé après l’abandon de sa convertibilité en or, à partir de 1971 ;
2. une évolution informationnelle technologique fondamentale et profonde ;
3. le développement de multinationales, anciennes et d’un type nouveau. Les multinationales extractives sont bousculées par la révolution informationnelle ;
4. un contexte Démographique où la majorité des populations mondiales ne se trouvent plus en Occident ;
5. une augmentation considérable des conflits et des dangers de guerre mondiale, malgré les discours de paix.
Objectifs de Développement Durable
Les objectifs de développement durable définis par l’ONU, tels que la lutte contre la pauvreté et une nouvelle industrialisation écologique et sociale, ont été définis de façon relativement consensuelle. Deux éléments clés pour ce développement sont :
- l’emploi, emploi de qualité avec la formation. Les pénuries d’emploi qualifié ne frappent pas seulement la France : une enquête de l’Organisation internationale du Travail montre a montré en janvier dernier qu’elles touchent 77 % des entreprises mondiales, deux fois plus que dix ans plus tôt ;
- les services publics, y compris la protection sociale, avec des conceptions qui peuvent être différentes et convergentes comme l’a dit Martial. Les services publics sont décisifs pour un nouveau type de production écologique, sociale et démocratique.
Révolution informationnelle
Les conditions de la révolution informationnelle exigent de donner la priorité aux capacités humaines – emploi, formation… – plutôt qu’aux machines et au capital pour une nouvelle civilisation. Elles exigent de donner la priorité aux partages pour baisser les coûts. Les nouvelles multinationales partagent des technologies dans des centaines de filiales à l’échelle mondiale pour réduire les coûts, mais ils le font au prix de dépenses énormes pour des prises de contrôle sur les marchés financiers, et c’est un « partage » monopoliste dont, en particulier, les peuples du Sud sont exclus. Imposer des partages contre ces monopoles est une une bataille de classes.
Défi écologique
Ce défi est démultiplié par le défi écologique. Selon le GIEC, il faut des dépenses considérables, estimées à 3 % du PIB mondial pendant 20 ans. Il faut donc des avances pour financer ces dépenses, ce qui implique une maîtrise de la monnaie, particulièrement pour le Sud.
Cette exigence se heurte au dollar et à son hégémonie comme monnaie commune mondiale de facto qui va de pair avec l’hégémonie financière des États-Unis et des multinationales. Car tout le monde est pris dans ce système, y compris les multinationales françaises qui exportent des capitaux aux États-Unis, y compris la Chine et ses relations de dépendance réciproque avec ls États-Unis.
Un article récent préconise un « nouveau Bretton Woods » pour placer le Programme des Nations-Unies pour le Développement sous l’égide du FMI (où les États-Unis ont un droit de veto et où l’Afrique, et même la Chine, pèsent bien moins que leur poids réel dans la population mondiale). C’est exactement l’inverse qu’il faut faire : une refonte des institutions internationales pour une domination des peuples sur l’argent, et non l’inverse.
Le dollar joue un rôle central dans le système économique mondial en cinq mots :
- ccommerce : 50 % de la facturation et des paiements mondiaux ;
- réserves de change : toutes les puissances, à commencer par la Chine, l’Union européenne et le Japon, placent leurs réserves en dollars, ce qui crée une demande et accroît l’attractivité des États-Unis pour les capitaux mondiaux
- marchés de change : 85 % des échanges de monnaie impliquent le dollar.
- instrument de crédit : 50 % des prêts transfrontaliers sont en dollar, facteur clé du développement.
- rapatriement des profits.
Proposition pour une monnaie commune mondiale
Cette hégémonie visait à surmonter une crise systémique mais crise conjoncturelle après crise conjoncturelle confirment qu’on n’en est pas sorti. Il y a donc un problème de fond.
Nous proposons une monnaie commune mondiale, alternative au dollar, qui serait affectée aux banques centrales pour le développement des services publics et le crédit pour le développement de l’emploi et de la formation, l’écologie. Autrement dit, une monnaie affectée avec un contenu de classes. Cette monnaie développée à partir un panier de monnaies élargi à partir des droits de tirage spéciaux du FMI qui existent déjà, mais en changeant sa composition et les droits de vote, en fonction de la population des pays membres.
Les BRICS ont ouvert un nouveau front dans la bataille pour une nouvelle monnaie commune mondiale, avec une ambivalence : fracturation ou nouvelle unification du monde. L’Union européenne et la France doivent abandonner leur suivisme au service de l’hégémonie du dollar, dont nous souffrons, et jouer un rôle de pivot pour des alliances stratégiques, notamment avec les BRICS pour contribuer à clarifier, par exemple les buts et les critères de la Banque des BRICS. Ce partenariat pourrait permettre de surmonter les défis économiques et écologiques mondiaux tout en réduisant la dépendance à l’hégémonie du dollar.
Dinh Toan Thang, ambassadeur du Viet Nam
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs et ambassadrices, représentants du corps diplomatique, délégués,
C’est avec beaucoup de joie et de plaisir que je rejoins cette conférence sur un thème aussi crucial que la paix. La paix est une aspiration fondamentale de tous nos peuples, de toutes les nations, du monde entier.
Le contexte de ma prise de parole est d’autant plus significatif que le Vietnam célèbre ce mois de mai le 60e anniversaire de la bataille de Dien Bien Phu. Cette bataille a conduit à la signature des accords de Genève en juillet 1954, marquant une étape cruciale dans la décolonisation et l’émancipation des peuples. Cette victoire a été possible grâce à l’héroïsme du peuple vietnamien, mais aussi grâce à une solidarité internationale immense, notamment de la part du peuple français et de nombreux autres peuples épris de paix, de progrès et d’indépendance.
Encore une fois, vous avez bien choisi le thème de cette conférence : « Agir pour la paix ». Un environnement de paix est une condition préalable non seulement à la stabilité, mais aussi au développement. À une époque où la scène internationale est marquée par le désordre, les conflits, les risques et les défis, et où les jeux de puissance et les tentations hégémoniques sont omniprésents, il est crucial de se rappeler que seule la coopération, et non la confrontation ou la guerre, peut nous permettre de bâtir un monde meilleur pour tous.
Nous voulons affirmer notre aspiration à la paix, ainsi que notre souveraineté et notre volonté de défendre les biens communs. Ce sont des objectifs impératifs que nous portons pour nous-mêmes et pour nos peuples. Le combat pour le bien commun est un combat collectif qui demande solidarité et respect des droits de tous les peuples.
Permettez-moi de souligner que cette coopération internationale que je souhaite tant mettre en avant ne peut se faire sans solidarité. La solidarité internationale, que le peuple vietnamien a expérimentée pendant de nombreuses années pour vaincre les agresseurs, les colonisateurs et les impérialistes, a permis de rétablir la paix au Vietnam. Elle est une valeur essentielle de notre vie internationale aujourd’hui.
Le Vietnam tient à remercier le peuple français et tous nos amis dans le monde, ainsi que les communistes français, pour leur soutien passé et présent dans notre construction nationale.
Parlant de la solidarité du passé, permettez-moi d’évoquer les relations actuelles et la coopération entre le Vietnam et la France. Après bien des hauts et des bas historiques, cette coopération franco-vietnamienne d’aujourd’hui est très riche et multiforme. Elle se construit sur la base de l’amitié et de la solidarité, et repose maintenant sur des aspirations et des objectifs communs : prospérité, justice sociale et développement équitable et durable.
L’année dernière, en 2023, la France et le Vietnam ont célébré le cinquantième anniversaire de leurs relations diplomatiques et le dixième anniversaire de leur partenariat stratégique. Ces cinquante années et ces dix années représentent une étape importante dans nos relations, mais elles ne sont qu’un début dans les liens que nous tissons avec le monde entier. Le Vietnam, aujourd’hui souverain et indépendant, avance vers la prospérité grâce au soutien de tous les peuples du monde, des communistes français et de nos amis et peuples frères.
Le Vietnam s’engage à contribuer à la paix, à la coopération, au développement et à la prospérité partagée, basée sur la justice sociale et l’équité pour tous les peuples. Nous saluons toutes les initiatives visant à apaiser les tensions, engager le dialogue et assurer le bien-être commun.
Nous participons activement à toutes les initiatives de coopération, car nous croyons fermement que c’est par la coopération multilatérale et à tous les niveaux que nous pourrons répondre aux défis actuels et futurs, tels que la lutte contre la pauvreté, le développement économique équilibré, la réduction des tensions territoriales et la gestion des crises sanitaires et climatiques.
Le Vietnam, en tant qu’acteur primordial en Asie-Pacifique, contribue aux efforts internationaux et régionaux pour promouvoir la paix et la stabilité. Nous avons vécu et continuons de vivre une solidarité internationale qui a assuré notre indépendance nationale et notre développement économique. Nous voulons faire bénéficier de ces résultats de coopération et de paix à tous les peuples de cette région du monde.
La France, le peuple français et tous les peuples du monde sont invités à participer à cette coopération et à ces efforts de paix. Nous devons nous unir davantage dans nos efforts pour concrétiser nos aspirations avec des projets concrets dans tous les domaines, afin de répondre aux besoins de nos peuples pour la paix et le développement.
Je souhaite à notre séminaire beaucoup de succès et une continuité fructueuse de notre solidarité et de notre coopération pour la paix dans le monde.