Dix idées fausses sur la dette publique

Denis Durand
membre du conseil national du PCF, codirecteur d'Économie&Politique

La « dette », source de tous nos maux ? Pas vraiment, et pas comme on le croit. Quelques fausses évidences dont il serait bon de se libérer.

« Un redressement est indispensable pour éviter de compromettre ce qui reste de notre crédit… L’État, en prétendant assumer un ensemble de charges qu’il ne peut couvrir intégralement par l’impôt ou par l’emprunt, vit, comme les particuliers, au-dessus de ses moyens ». Cette admonestation n’émane pas de Bruno Le Maire ou de Christine Lagarde. C’est la célèbre lettre que Wilfrid Baumgartner, gouverneur de la Banque de France, écrivit en 1952 au président du Conseil Edgar Faure. Les hérauts contemporains de l’austérité n’ont rien inventé !

Mais ce petit rappel historique nous remet en mémoire ce fait, trop souvent ignoré, que toute l’histoire économique de la Quatrième République, inaugurée par les fonds avancés au titre du plan Marshall, est l’histoire de l’endettement de l’État, car la reconstruction, la mise en place et l’extension de la Sécurité sociale, l’élargissement des services publics se sont faits à crédit. Toutefois, nous ne sommes plus au lendemain de la Deuxième guerre mondiale, quand l’essor du capitalisme monopoliste d’État social donnait des facilités pour « avaler la dette » car l’accumulation des profits était assez dynamique pour laisser place à un certain progrès social. Aujourd’hui, ce capitalisme est exténué. Pour maintenir la rentabilité d’un capital démesurément accumulé depuis quatre-vingts ans, il lui faut toujours plus d’aides publiques, et toujours moins d’argent pour les services publics. La croissance est devenue trop molle pour avaler la dette car le coût du capital la tire vers le bas, vers la destruction de la nature et vers la stérilisation des capacités humaines au moment où la révolution informationnelle exigerait, au contraire, de miser à fond sur leur développement.

D’un point de vue idéologique, l’alourdissement de la dette publique est une aubaine pour les milieux financiers et les courants politiques conservateurs. Il leur fournit un épouvantail commode pour justifier l’austérité budgétaire. À l’inverse, les discours d’inspiration « antilibérale » se laissent trop souvent aller à affirmer que l’annulation de la « dette » apporterait automatiquement une solution à la pression des marchés financiers sur les politiques publiques et nous libérerait des politiques d’austérité. Dans les deux cas, la « dette » est présentée comme une malédiction, sans qu’on s’interroge sur sa fonction économique et sur ses modalités de financement.

Pour surmonter le sentiment d’impuissance qui en résulte, il faut commencer par se débarrasser de beaucoup de fausses évidences et d’idées reçues : en voici un échantillon.

1       « La dette est là, il faudra bien la rembourser » : évident… mais faux !

Cela paraît pourtant le bon sens même. « Il y a là un aspect moral essentiel », ajoutait Marine Le Pen. Il se trouve qu’en réalité il n’arrive jamais que l’État réduise son endettement à zéro, et il y a de bonnes raisons à cela.

Chaque année, les administrations publiques dépensent de l’argent pour payer leurs agents, et leurs fournisseurs. Elles perçoivent aussi des recettes, principalement des impôts et des cotisations sociales. Lorsque les dépenses dépassent les recettes, ce qui est le cas en général, la différence, appelée déficit, crée donc un besoin de financement. Par exemple, en 2023, les dépenses de l’État ont dépassé les recettes de 173 milliards d’euros selon les comptes nationaux. En outre, la comptabilité nationale tient compte, non seulement de l’excédent ou du déficit du budget de l’État mais aussi des recettes et des dépenses des autres administrations publiques : collectivités territoriales, Sécurité sociale et différents « organismes divers d’administration centrale » (CEA, musées nationaux, Collège de France, INSERM…). Au total, l’INSEE fait état d’un besoin de financement des administrations publiques qui s’élevait, en 2023, à 154 milliards d’euros.

La dette publique comptabilisée à un instant donné est le cumul des emprunts que les administrations publiques ont dû contracter au fil du temps, diminué des remboursements d’emprunts antérieurs. Il faut aussi garder à l’esprit que les intérêts versés aux créanciers des administrations publiques au titre des emprunts contractés au cours des années précédentes viennent s’ajouter aux dépenses de l’année en cours.

On voit donc que chaque année l’État et les autres administrations publiques remboursent une partie de leur dette et contractent de nouveaux emprunts. On parle de « faire rouler la dette » et c’est la façon tout à fait normale de gérer la dette publique.

C’est pourquoi parler de « rembourser » la dette publique n’a guère de sens, pas plus, d’ailleurs, que de l’« annuler ».                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                    

2      « La dette publique, c’est la dette de la France ». Faux

De quoi parle-t-on quand on évoque la « dette » de la France ? Trop souvent, c’est la seule dette publique (celle de l’État, des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale) qui est désignée ainsi ; mais la dette « privée », celle des entreprises et des particuliers, est tout aussi importante.

D’abord parce que son montant est supérieur à celui de la dette publique, en France comme dans plusieurs pays comparables (voir tableau 1).

1 Dette des agents non financiers privés et publics (mars 2024, en % du PIB)

Dette des agents
non financiers privés
Dette des administrations
publiques *
États-Unis147,6120,2
Japon169,4229,4
zone euro108,588,7
dont       Allemagne97,263,4
                France136,6110,7
                Italie96,5137,7
                Espagne99,9108,9
Royaume-Uni127,7100,4

* Dette au sens de « Maastricht » pour les pays de l’Union Européenne, exprimée en valeur nominale.

Source : Banque de France

Ses effets économiques sont donc au moins aussi grands.

D’un côté, les entreprises ne pourraient pas produire et se développer sans emprunter pour acheter des matières premières, des équipements, des bâtiments, et pour embaucher des salariés en vue de la production des biens et services qu’elles vendront ensuite. L’énorme expansion de la création de richesses matérielles qui s’est produite depuis les premiers temps du capitalisme aurait été impossible sans des avances monétaires sans commune mesure avec ce que les civilisations antérieures avaient pu connaître.

Mais si le crédit – source de la mise en circulation de la monnaie – démultiplie la puissance du capital en fait de production de richesses, il multiplie aussi les risques inhérents à ce mode de production piloté par la recherche du taux de profit le plus élevé possible. Cela arrive par exemple dans l’euphorie d’un boom économique, lorsque les entreprises ont emprunté massivement aux banques pour investir et accumuler à l’excès des moyens de production qui, un jour, se révèlent non rentables. Alors les faillites d’entreprises incapables de rembourser ces crédits se multiplient, précipitant l’économie dans une récession. 

En outre, dans des circonstances comme celles qu’on vient de décrire, la dette privée peut très vite se transformer en dette publique ! En particulier, si les banques sont mises en difficulté parce que leurs clients, entreprises ou particuliers, sont incapables de rembourser leurs prêts, elles appellent au secours l’État et la banque centrale pour les renflouer et les empêcher de faire faillite. En 2008, c’est ce qui s’est passé en Espagne où la dette publique, jusque-là très modérée, a soudain explosé lorsque l’État a été contraint d’apporter des aides d’urgence à des promoteurs pris à leur propre piège de la spéculation immobilière, et à leurs banquiers.

3      « Pour réduire la dette, le bon moyen est de réduire les dépenses » : économiquement faux !

En 2023, la dette publique de l’Allemagne s’élevait à 2 623 milliards d’euros, celle de la Grèce à 357 milliards seulement. Que peut-on tirer de cette comparaison ? Rien puisqu’elle n’a de sens que si l’on tient compte de la taille respective de ces deux économies. On s’intéresse donc, dans les débats de politique économique, au rapport de la dette publique au produit intérieur brut, qui est le total de la valeur ajoutée créée par le travail des habitants du pays au cours d’une année.

Il importe donc de souligner que le chiffre important, celui qui justifie des règles et des décisions politiques, ne dépend pas seulement du montant de la dette : il dépend tout autant de l’évolution du PIB, c’est-à-dire de l’activité économique, de la « croissance » si on veut. On peut très bien avoir des situations où la dette publique augmente, mais où le PIB augmente encore plus vite, ce qui diminue le rapport dette/PIB. C’est précisément ce qui s’est passé dans des périodes de grande prospérité économique, par exemple au lendemain de la Deuxième guerre mondiale : cela signifie que l’argent avancé pour le financement des dépenses publiques est efficace en termes de création de richesses, telle, du moins, que la représente la création de valeur ajoutée. À l’inverse, il est piquant de constater qu’en France le rapport dette/PIB commence à augmenter fortement au moment même où sa diminution devient un objectif central de politique économique, avec l’entrée en vigueur du traité de Maastricht (voir graphique 2).

Il est possible de détailler un peu plus précisément les différents facteurs susceptibles d’influencer l’évolution du rapport dette/PIB.

L’un d’eux est l’inflation. La hausse des prix augmente, chaque année, le montant du PIB alors qu’elle ne change pas le montant de la dette contractée les années précédentes. Toutes choses égales par ailleurs, l’inflation tend donc à réduire le rapport dette/PIB, sans que cela soit particulièrement un signe de bonne santé de l’économie.

Si l’on met de côté cet effet, l’évolution de la dette publique, hors conséquences de l’inflation, dépend chaque année de trois facteurs :

  • la différence entre les dépenses et les recettes publiques au cours de l’année, hors paiement des intérêts de la dette accumulée au cours des années antérieures ; c’est ce qu’on appelle le déficit primaire des finances publiques ;
  • le taux d’intérêt « réel » (diminué du taux d’inflation) qui détermine le montant des intérêts payés par les administrations publiques à leurs créanciers ;
  • le taux de croissance de l’économie, mesuré lui aussi en termes « réels », c’est-à-dire corrigé de la hausse des prix par rapport à l’année précédente.

Une formule comptable [1] reliant ces différentes variables permet de montrer comment le rapport dette/PIB peut évoluer selon différentes hypothèses relatives à leur niveau dans l’avenir :

En prenant l’exemple de l’économie française, la prolongation des tendances actuelles conduit à une augmentation continue du ratio dette/PIB.

Taux d’intérêt réel : 1 %
Taux de croissance du PIB en volume : 1,4 %

Une telle vision des choses apporte de l’eau au moulin des défenseurs de l’austérité qui préconisent de réduire les dépenses publiques sous prétexte de sortir du « quoi qu’il en coûte » imposé par la menace d’effondrement de l’économie au moment de la pandémie. Mais revenir à un solde « structurel » de 0,5 %, comme nous l’enjoint le Pacte de stabilité, si le prix à payer est une croissance zéro, ne résoudrait pas le problème, sans parler des conséquences sociales qui en découleraient :

Taux d’intérêt réel 1 %
Croissance du PIB en volume : 0 %

En revanche, un scénario fondé sur le maintien d’un taux d’intérêt réel nul et sur une croissance annuelle du PIB accélérée à 5% stabiliserait le rapport dette/PIB sans même qu’il soit besoin de réduire le déficit budgétaire.

Taux d’intérêt réel : 0 %
Taux de croissance du PIB en volume : 5 %

Une telle performance peut paraître hors de portée dans les conditions actuelles ; plus exactement, elle n’est concevable que si la « croissance » dont on parle est très différente de celle que les économies capitalistes ont connue dans le passé. Elle repose sur un fonctionnement des entreprises et des services publics beaucoup plus efficace, en création de richesses comme en utilisation des ressources naturelles, que ce qu’impose aujourd’hui la subordination au critère de rentabilité capitaliste de toutes les décisions de production, d’embauches et d’investissements, avec les gaspillages que cette domination entraîne.

Du point de vue des politiques économiques, il faut retenir que l’évolution de la dette publique rapportée au PIB dépend de la comparaison entre le taux de croissance de l’économie et le taux d’intérêt réel supporté par les administrations publiques sur leurs emprunts. Une bonne politique consiste donc à rendre le premier le plus élevé possible (en stimulant à la fois la demande, d’une part et, d’autre part, des gestions d’entreprises donnant la priorité à l’emploi et la formation pour créer les richesses correspondantes – en donnant à ces productions un nouveau caractère, écologique) et à maintenir le second aussi bas que possible grâce à une action appropriée de la banque centrale, du moins pour la part de sa création monétaire qui finance précisément ces dépenses. Cela ne peut être obtenu que par l’exercice effectif de pouvoirs démocratiques, par les citoyens, dans la sélection des projets ainsi financés.

4      « C’est la faute de l’Europe » : non, ne disculpons pas le capital !

Au début, c’est-à-dire à la signature du traité de Maastricht, tout était brutal mais simple. Pour être en état d’adopter l’euro, un pays européen devait respecter une série de critères, dont deux portaient sur les finances publiques :

  • le déficit public annuel ne doit pas dépasser 3 % du PIB.
  • la dette publique ne doit pas dépasser 60 % du PIB, ou doit être réduite à un rythme approprié si elle est supérieure à ce seuil.

Un troisième était directement lié aux deux précédents : ne pas laisser les taux d’intérêt des titres publics s’écarter de ceux qu’obtenaient les États les mieux cotés par les marchés – en pratique l’Allemagne et les pays de la zone Mark.

Problème, en 1997, sept pays sur onze dépassaient les 60 % de dette publique. On considéra que finalement ce n’était pas si important et qu’il suffisait de se rapprocher de la norme pour être admis dans la zone euro.

Pourtant, dès 1999, l’Allemagne elle-même dépassa la limite. Mais c’était l’Allemagne : on ferma les yeux.

Par la suite, les normes de déficit et de dette publique n’ont cessé d’être dépassées chaque fois que des circonstances économiques défavorables se présentaient. Ainsi, la France s’est déjà trouvée sous le coup de procédures dites de « déficit excessif » pendant près de dix ans, entre 2009 et 2018. Mais c’était la France : il n’y eut jamais de sanction.

Après la grande crise de 2008, l’endettement public de plusieurs pays importants comme l’Italie ou l’Espagne a explosé : non seulement aucune règle ne put être respectée mais la Banque centrale européenne, contrairement à toute sa doctrine antérieure, se mit à acheter des titres publics par milliers de milliards pour faire baisser les taux d’intérêts supportés par les États endettés et empêcher un éclatement de la zone euro.

À chaque sortie de crise, les gouvernements européens ont décidé de renforcer les règles du Pacte de stabilité… pour les violer à nouveau à la crise suivante. Le dernier exemple est la suspension des règles du TSCG (Traité sur la Stabilité, la Convergence et la gouvernance européennes) décidée sans hésiter par les gouvernements européens sous le choc de la pandémie en 2020, et suivie, cette année, d’une tentative de remise en vigueur, sous une forme perfectionnée du même « Pacte de stabilité et de croissance ».

Au fil du temps, le dispositif est devenu de plus en plus compliqué. Aux règles initiales se sont ajoutées des normes en principe plus sévères mais en réalité plus faciles à contester. Ainsi, les États membres ne sont pas seulement tenus de maintenir leur déficit public en-dessous de 3 % du PIB. Ils doivent, en plus, inscrire dans leur législation nationale l’objectif de maintenir sur moyenne période leur budget proche de l’équilibre ou en excédent. On évalue ainsi un « déficit structurel », ajusté des effets du cycle économique et des mesures temporaires, qui ne doit pas afficher dépasser 0,5 % du PIB pour les pays dont la dette publique dépasse 60 % du PIB, et 1 % pour les autres. Le problème est que la notion de déficit structurel, ou celle de PIB potentiel, dont elle dépend, ne font l’objet d’aucun consensus chez les économistes, et suscitent un grand embarras chez les statisticiens qui sont chargés de les mesurer sans avoir jamais demandé la charge d’une telle responsabilité politique !

Dans le régime entré en vigueur depuis cette année lorsque la suspension du pacte de stabilité décidée en 2020 a pris fin, les règles budgétaires de l’UE ont encore été compliquées. Une fois de plus, elles sont à la fois plus sévères en principe et plus floues en pratique.

  • les États membres peuvent bénéficier de davantage de « flexibilité » pour réaliser des investissements publics, en particulier ceux qui soutiennent la transition écologique et numérique, « tant que ces investissements ne compromettent pas la viabilité budgétaire à moyen terme » ;
  • les États membres doivent prendre des mesures pour réduire leur dette publique lorsque celle-ci dépasse 60 % du PIB. Chaque État membre doit définir une trajectoire budgétaire spécifique pour freiner ses dépenses publiques. Les États membres doivent renforcer la coordination de leurs politiques économiques et budgétaires à travers le Semestre européen, un cycle de surveillance économique et budgétaire intégré. Ce processus inclut des recommandations spécifiques par pays, un suivi de leur mise en œuvre, et des discussions régulières au niveau de l’UE ;
  • élément nouveau, les États disposent de plus de temps, jusqu’à sept ans, pour réaliser cet « ajustement ». Qui peut prévoir ce qui peut se passer en sept ans ?
  • un « mécanisme d’ajustement macroéconomique » repose sur une surveillance part la Commission européenne des « déséquilibres macroéconomiques » susceptibles de déséquilibrer les comptes publics, tels que les bulles immobilières, les déficits de balance des paiements excessifs ou les niveaux de compétitivité dégradés. Des recommandations peuvent être faites aux États membres pour corriger ces déséquilibres.
  • la « procédure de déséquilibre excessif » est de nouveau en vigueur : si un déséquilibre excessif est identifié, une procédure spécifique est déclenchée, avec des étapes de surveillance renforcée et des exigences de réforme. Le système de sanctions a été réformé pour le rendre plus dissuasif mais aussi plus graduel. Des amendes peuvent être infligées aux États qui ne respectent pas les règles budgétaires, mais des marges de manœuvre existent pour tenir compte de circonstances exceptionnelles.

Pour le pouvoir macronien, ces règles sont une aubaine : il peut justifier sa politique d’austérité en en rejetant la responsabilité sur « Bruxelles ». Mais derrière ces politiques, comme derrière les normes européennes, il y a une même injonction : satisfaire les exigences du capital.

Lorsque le traité de Maastricht a fait du montant de la dette publique rapportée au PIB, conjointement au déficit rapporté lui aussi au PIB, un « critère de convergence » obligatoire des pays candidats à l’Union économique et monétaire, à partir de 1992, puis un élément du « pacte de stabilité » depuis la création de l’euro en 1999, le but des concepteurs de la monnaie unique européenne était d’apporter sans cesse aux détenteurs de capitaux internationaux la preuve que les politiques économiques menées en Europe ne s’écarteraient jamais d’un soutien actif à la rentabilité de leurs portefeuilles financiers.

Dans les faits, ce sont bien les gouvernements européens, particulièrement allemands et français, qui ont conçu les règles budgétaires européennes… pour s’en réclamer, chaque fois que les intérêts du capital l’exigent, et pour les ignorer chaque fois que les intérêts du capital l’exigent ! On ne s’en émancipera pas par un souverainisme occultant les enjeux de classe. Ainsi, le nouveau Premier ministre travailliste du Royaume-Uni vient d’annoncer un budget 2025 qui « fera mal ». Cette orthodoxie financière punitive ne doit rien aux règles budgétaires européennes, puisque la Grande-Bretagne est sortie de l’UE depuis 2020.

Ce qui est à l’ordre du jour, c’est bien plutôt la conquête d’une souveraineté populaire contre la dictature du capital et de son bras armé, les marchés financiers. Il faut pour cela des batailles concrètes sur l’utilisation de l’argent de l’État, de l’argent des banques et de l’argent des entreprises.

Ces batailles peuvent être victorieuses, pour deux raisons. La principale est qu’il est contraire à toute rationalité de s’accrocher à des règles dont les fondements économiques sont fondamentalement erronés. Elles vont être à nouveau fortement mises à l’épreuve par les turbulences qu’annoncent le retournement de l’emploi aux États-Unis et les menaces de récession en Europe.

La deuxième est que les gouvernements européens en ont une certaine conscience. Ainsi, les aménagements apportés cette année élargissent les marges de manœuvre d’un pays comme la France s’il voulait commencer à s’en dégager : d’une part, l’objectif à moyen terme n’est plus l’équilibre des comptes publics mais un déficit structurel primaire de 1,5% du PIB. D’autre part, la réduction de la dette peut être étalée sur 4 à 7 ans, avec un objectif de baisse d’un point de PIB par an en moyenne. Enfin, la complexité de ces règles laisse place à des interprétations politiques qui traduiront les rapports de forces du moment.

5      « La dette publique augmente inexorablement » : faux. Mais le coût de la dette augmente

En pourcentage du PIB, la dette publique est stable depuis trois ans. Certes, elle a beaucoup crû en 2020 afin de faire face aux dépenses destinées à atténuer les effets du confinement. En 2021, le rebond de l’activité a compensé la hausse de l’endettement et, depuis, l’austérité budgétaire commence à freiner les dépenses malgré une croissance économique très médiocre.

2 Montant de la dette des administrations publiques en pourcentage du PIB

Source : INSEE, comptes nationaux.

Cela ne veut pas dire que la dette publique ne pose pas de problème. Car si, en proportion du PIB, le montant de la dette, dans la période récente, a cessé d’augmenter, les intérêts payés chaque année par les administrations publiques à leurs créanciers ont connu, eux, sont en train de monter en flèche.

3 Intérêts versés par les administrations publiques

Source : INSEE, comptes nationaux

Le montant des intérêts avait baissé depuis 2012, du fait des achats massifs de titres publics par les banques centrales destinés précisément à produire cet effet. Les taux d’intérêt étaient même tombés en-dessous de zéro, révélant que les économies contemporaines peuvent tout à fait fonctionner avec des taux négatifs.

4 France : taux de rendement des emprunts d’État à long terme

Source : Eurostat

Mais depuis 2022, la résurgence de l’inflation a conduit les banques centrales à remonter fortement leurs taux directeurs, poussant à la hausse les taux de marché auxquels les États se financent. On pense que les intérêts payés par les administrations publiques pourraient atteindre le montant sans précédent de 70 milliards d’euros dans les prochaines années.

Nous vivons donc aujourd’hui la réalisation d’une menace qui pèse sur nos économies depuis qu’elles dépendent des évolutions des marchés financiers : du jour au lendemain, les mouvements spéculatifs peuvent rendre hors de prix le financement de l’économie, y compris celui des dépenses publiques.

6      « La dette met l’État dans les mains des banques » : faux

Le langage courant ne distingue pas clairement les banques des autres composantes du système monétaire et financier. De fait, les banques ne détiennent qu’une faible partie de la dette publique française.

La totalité des emprunts de l’État se font par émission de titres négociables (obligations assimilables du Trésor, bons du trésor négociables) sur le marché financier (voir tableau 1). Ce n’est pas le cas pour les collectivités territoriales. Celles-ci ont majoritairement (pour 76 % du total) recours à des emprunts bancaires mais cette proportion a beaucoup diminué depuis dix ans, tandis que la proportion des emprunts sur le marché financier passait de moins de 4 % en 2011 à près de 24 % en 2023.

Au total, en 2023, 89 % de la dette des administrations publiques prend la forme d’émission de titres. Les détenteurs de ces titres peuvent à tout moment les revendre sur le marché, à un prix qui varie en fonction de l’offre et de la demande. C’est l’un des terrains préférés de la spéculation financière et c’est un moyen de pression permanent sur les gouvernements

5 Composition de la dette des administrations publiques à fin 2023

 ÉtatAdministrations publiques localesEnsemble
des administrations
publiques
Dépôts1,7%0,0%1,4%
Titres de créance96,2%23,8%89,0%
   dont Titres à court terme6,7%0,4%6,7%
   dont Titres à long terme89,5%23,4%82,2%
Crédits à court-terme0,0%0,8%0,4%
Crédits à long-terme2,1%75,3%9,3%
100,0%100,0%100,0%

Source : INSEE, comptes nationaux.

Mais qui détient ces titres ? Les indications dont on dispose montrent qu’au premier trimestre 2024 les banques françaises ne détenaient que 8,3 % de la dette de l’État, moins que les compagnies d’assurances, et beaucoup moins que les non-résidents, c’est-à-dire les détenteurs de portefeuilles financiers établis hors de France : banques et compagnies d’assurances mais surtout fonds de placement comme BlackRock, fonds de pension, entreprises multinationales soucieuses de rentabiliser le placement de leur trésorerie.

6 Détention des titres de la dette négociable de l’État par groupe de porteurs au premier trimestre 2024

Source : Banque de France.

Cette dépendance de l’État envers les capitaux internationaux est relativement élevée en comparaison d’autres pays. Elle exprime à la fois la « bonne réputation » de la signature de l’État français, qui offre aux financiers du monde entier un placement relativement sûr dans une mondialisation agitée en permanence d’une grande instabilité ; mais elle expose fortement l’économie du pays à cette instabilité.

L’inconvénient majeur de la dépendance de nos économies à l’émission de titres financiers est qu’elle soumet en permanence les politiques publiques au jugement des marchés. Instantanément, les détenteurs des titres émis par un État peuvent les vendre dès qu’ils pensent avoir des motifs de douter de la rentabilité de ce placement. Cela signifie que l’État emprunteur devra consentir à payer des intérêts plus élevés pour ses prochains emprunts ; or, même un État dont le budget est équilibré est amené à emprunter, ne serait-ce que pour le renouvellement des emprunts antérieurs venant à échéance.

De là l’obsession des gouvernements français pour l’opinion que les marchés se font de la situation du pays et des politiques qui y sont menées. La mesure la plus significative de cette réputation, beaucoup plus que l’opinion des agences de notation, est l’écart (les financiers disent « le spread ») entre le taux d’intérêt que l’État français doit payer à ses créanciers détenteurs d’« obligations assimilables du Trésor », et le taux payé par l’État fédéral allemand, dont les obligations sont appelées Bund (Fédération, en allemand) dans le jargon financier. Ces titres allemands sont considérés, par les financiers, comme les plus fiables de tout le marché européen, rivalisant d’attractivité, pour les spéculateurs, avec les titres américains, japonais, voire suisses.

7 Écart entre les rendements des emprunts d’État français et allemands

On voit que cet écart était quasi-nul – comme c’était le cas pour tous les pays de la zone euro – jusqu’au déclenchement de la grande crise financière de 2007-2008, Depuis 2008, le maintien d’un écart non négligeable témoigne d’un doute modéré, mais permanent des marchés quant à la capacité de la France d’offrir un produit financier aussi attractif que la dette publique allemande. Ainsi, la pointe observée dans les premiers jours d’août 2024 résulte de la crise institutionnelle déclenchée par la dissolution de l’Assemblée nationale. Toutefois, l’écart est encore loin du maximum atteint au paroxysme de la crise de l’euro, en 2012, jusqu’à ce que le président de la BCE alors nouvellement entré en fonctions, Mario Draghi, annonce que la banque centrale ferait « tout ce qu’il faudrait » (whatever it takes) pour empêcher un éclatement de la zone euro.

Précisément, le graphique 6 porte la trace de cette intervention de la BCE au secours des marchés : la part élevée des « autres détenteurs » français de la dette publique. Parmi ces autres détenteurs figure en effet, en bonne place, la Banque de France qui a acheté, sur instructions de la BCE, environ 20 % des titres de dette publique circulant sur le marché.

Sans cette intervention massive des banques centrales, on peut penser que non seulement la Grèce, mais l’Italie, l’Irlande, l’Espagne, et pourquoi pas la France, auraient été confrontées, depuis dix ans, à une forte hausse du coût de leur endettement.

Une idée vient alors à l’esprit : pourquoi ce détour par les marchés financiers, alors que les banques centrales pourraient avancer directement les fonds aux collectivités publiques qui en ont besoin ? La seule vraie réponse est qu’en se finançant par émission de titres, les gouvernements européens se soumettent volontairement aux exigences des détenteurs de capitaux financiers.

Le moyen de faire autrement serait de mobiliser, à la place des marchés financiers, des institutions conçues, non pas pour imposer en toutes circonstances la logique du capital mais pour faire prévaloir des choix démocratiquement élaborés par les populations, selon des critères d’efficacité sociale, écologique et économique. En d’autres termes, de donner une nouvelle mission aux institutions financières publiques comme la Caisse des Dépôts et Consignations ou la Banque européenne d’investissements. Ou, mieux encore, de construire un fonds de développement économique, social et écologique européen chargé de financer, avec les fonds avancés par la BCE, des projets démocratiquement élaborés, décidés, réalisés et contrôlés de façon décentralisée dans chaque pays de l’Union européenne.

7      « C’est la ‘loi Giscard’ de 1973 qui a interdit à la Banque de France de financer l’État » : faux

Tout est faux dans cette affirmation.

D’abord, l’essentiel du financement des déficits publics ne reposait pas sur la Banque de France. Jusqu’à la libéralisation financière des années 1980, l’État avait plusieurs modalités de financement : l’émission de titres sur le marché financier (comme aujourd’hui mais dans de bien moindres proportions), l’émission de bons du Trésor détenus par les entreprises, les particuliers et, pour une part décisive, par les banques, et une épargne collectée par des institutions financières spécialisées qui constituaient un « circuit du Trésor » : dépôts sur des comptes tenus par le Trésor public, fonds d’épargne collectés par la Caisse des Dépôts, etc. La Banque de France se contentait de faire des avances de trésorerie destinées à couvrir les fluctuations quotidiennes du compte de l’État.

La loi de 1973, qui définit en particulier le statut de la Banque de France, fait certes partie des dispositions d’inspiration néo-libérale qui ont préfiguré la prise de pouvoir par les marchés financiers quelques années plus tard. Mais elle ne met pas fin aux avances de la Banque de France au Trésor. Ces avances atteignaient, à la date de son adoption, 20 milliards de francs dont 10 rémunérées au taux du marché monétaire et 10 assortis d’un taux zéro. Une convention entre la Banque de France et le Trésor fixait les règles d’évolution de ces avances.

C’est seulement en 1994, avec la transposition en droit français du traité de Maastricht, que toute forme de financement de la Banque de France à l’État a été prohibée. C’était l’objet de l’article 104, paragraphe 1, du traité de Maastricht, devenu article 123 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne en vigueur aujourd’hui.

Comme on le sait, il y a une exception : la BCE refinance, en leur prêtant sur le marché monétaire, toutes les banques (appelées « institutions financières » dans le droit européen), qu’elles soient publiques ou privées. En vertu de l’article 123, paragraphe 2 du traité, la BCE peut donc prêter à la Caisse des Dépôts et Consignations, à BPI France (dont la maison mère est une banque) ou à la Banque européenne d’Investissement, institution publique dont le capital est possédé par les États membres de l’Union européenne. Elle pourrait le faire à un fonds de développement des services publics sans qu’il soit besoin de changer les traités, dès lors que ce fonds serait doté du statut d’institution financière.

8      « La dette publique est un fardeau pour les générations futures » : faux

Cette affirmation qui semble conforme au bon sens n’est vraie que si l’argent public est mal utilisé. Si les avances de fonds dont disposent les administrations publiques servaient efficacement à développer les services que la population attend d’elles, ces avances seraient, au contraire, un puissant moyen d’améliorer la vie de nos concitoyennes et concitoyens. Cette observation a des fondements théoriques profonds.

En économie de marché, avant de produire des richesses, il faut toujours dépenser de l’argent. C’est ce que montre la « formule générale du capital » par laquelle Marx décrit comment une somme d’argent fonctionne comme capital lorsqu’elle sert à acheter des moyens de production matériels et de la force de travail en vue de produire de nouvelles marchandises. Augmentée par le travail dépensé dans le processus de production, la valeur de ces marchandises doit ensuite être réalisée par leur vente. C’est seulement à la fin de ces opérations qu’une partie de cette valeur peut être transformée en profit, susceptible d’être utilisé par le capitaliste dans un nouveau cycle de production destiné à accroître encore le capital dont il dispose sous forme d’argent. Une avance d’argent est ainsi un préalable à l’accumulation de capital.

Mais il en va de même pour une activité qui ne vise pas à l’accumulation de capital mais, par exemple, à la fourniture de services publics à la population. Avant tout exercice de ces services publics, il faut avancer l’argent nécessaire pour former et recruter les agents qui en seront chargés, et pour construire les bâtiments, installer les matériels dont ils se serviront… C’est seulement au bout de plusieurs années que les services rendus à la population deviendront réalité. Qu’il s’agisse de créer un hôpital, de rénover une école, de développer un programme de recherche fondamentale, de construire une ligne de transports en commun, d’installer des capacités de production d’énergie décarbonée, d’affecter des moyens à des fonctions régaliennes telles que la sécurité, la justice, la perception des impôts… dans tous les cas, il s’agit de dépenser de l’argent aujourd’hui pour des effets sociaux, écologiques, culturels qui se feront sentir très durablement dans l’avenir.

Un de ces effets consistera en la création de richesses supplémentaires, à partir desquelles des flux de revenus futurs pourront être distribués. Une partie de ces revenus rentreront alors dans les caisses de l’État et de la Sécurité sociale sous forme de prélèvements fiscaux et sociaux.

L’argent avancé peut avoir diverses origines : réutilisation de profits antérieurement accumulés, émission de titres financiers, crédit bancaire, avances de la banque centrale… Dans ce dernier cas, il n’est même pas nécessaire qu’une clause de remboursement de ces avances soit prévue. En effet, un privilège de la banque centrale consiste en ce que la validité de la monnaie qu’elle met en circulation ne dépend pas de l’équilibre de son bilan mais de la capacité de l’économie à créer les richesses que les billets qu’elle émet, ou les dépôts que créent les crédits bancaires, sont destinés à acheter. C’est pourquoi l’idée d’une mobilisation de la création monétaire de la Banque centrale européenne pour financer le développement des services publics en Europe a fini par recueillir un soutien assez large.

9      « La dette est un problème ? supprimons la dette ! » : faux, le problème à résoudre c’est celui du développement des services publics

Il ressort de ce qui précède que le développement des services publics – et d’abord leur réparation – nécessite des dépenses correspondant à des richesses qui n’existent pas encore. C’est pourquoi des avances de fonds sont nécessaires. L’annulation de la dette n’apporte pas de telles avances.

Ajoutons que l’absence de dette publique ne met pas un pays à l’abri des pressions des marchés sur le financement de l’économie. En 2015, ce n’est pas à cause de la dette publique que le FMI, l’Eurogroupe des ministres des Finances de la zone euro et la BCE ont martyrisé la Grèce, c’est parce que le gouvernement d’alors avait annoncé vouloir sortir de l’austérité. La BCE aurait très bien pu asphyxier les banques (et avec elles, toute l’économie), comme elle l’a fait, si l’État grec n’avait pas été endetté.

Ce qui peut être fait, c’est

  1. la poursuite, par les banques centrales, des rachats de titres de la dette publique, et leur conversion en titres non remboursables à taux zéro. Leur coût pour les États emprunteurs serait dès lors ramené à zéro ;
  2. mais surtout, les banques centrales doivent financer de nouvelles dépenses, au-delà de celles qui ont pu être financées par les emprunts existants. Le meilleur moyen d’y parvenir serait, à partir des mobilisations sociales, de définir dans chaque pays des projets concrets de développement des services publics, et d’exiger que la BCE consacre l’argent qu’elle crée au financement de ces projets, via un fonds de développement économique, social et écologique pour les services publics.

Ce besoin d’avances montre, dans la même perspective, pourquoi le financement du développement des services publics ne peut pas reposer sur la seule réorientation de l’épargne existante, telle que pourrait l’opérer un « circuit du Trésor » reconstitué sur le modèle de ce qui existait sous la IVème République. La mission première d’un pôle financier public, agissant en commun avec la BCE et les banques centrales nationales, serait ainsi de développer cette création monétaire en la soumettant à des critères d’efficacité économique, sociale et écologique.

10  « Pour un État efficace, il faut faire des économies de personnel et investir dans des infrastructures d’avenir » : faux

Ce précepte, parfois appelé « règle d’or », est complètement déconnecté de la réalité. Embaucher et former des enseignants, des infirmières, des inspecteurs des impôts ou des cheminots engendre certes des dépenses de fonctionnement pour les finances publiques. Mais renforcer les capacités et les talents dont disposent les services publics, c’est un « investissement » à long terme, au moins autant que la construction d’un barrage ou d’un centre culturel !

La première dépense d’avenir, c’est donc d’embaucher d’urgence les centaines de milliers d’agents dont les services publics manquent cruellement aujourd’hui. La deuxième est d’ouvrir à ces nouvelles recrues, et aux agents déjà en fonction qui en éprouveront le besoin, un accès massif à la formation. La troisième est la consolidation du statut des agents chargés des services publics, dans l’optique d’une sécurisation de l’emploi et de la formation pour toutes et tous. C’est à bien des égards la clé de toute action ayant pour but un renouveau des services publics [2].

Ces critères s’opposent concrètement à ceux qui prévalent dans l’économie contemporaine, y compris dans le secteur public, et qui dérivent toujours des exigences de rentabilité comparativement au rendement d’un placement financier : profit rapporté au capital avancé.

Contrairement à la rentabilité capitaliste, l’efficacité des services publics demande, d’une part, de rendre maximales les ressources consacrées au développement des êtres humains : accès aux biens indispensables à la satisfaction des besoins vitaux, santé, éducation, formation professionnelle, culture, qualité de l’environnement, de l’habitat, sécurité face aux menaces naturelles, militaires et à l’instabilité économique et financière… D’autre part, pour y parvenir, d’économiser, en contrepartie, sur les dépenses matérielles (énergie, matières premières, bâtiments, machines) et sur les dépenses financières (intérêts, dividendes, affectation de ressources à des placements financiers).

Ils indiquent, du même coup, une autre inspiration pour la gestion des collectivités publiques comme pour celle des entreprises privées : plutôt que de s’escrimer à baisser le coût du travail (au prix d’un affaiblissement de la demande et, potentiellement, d’une moindre qualification de la main-d’œuvre), on concentrerait les moyens financiers sur l’amélioration de l’emploi public en qualité et en quantité (en donnant une place tout à fait nouvelle à la formation professionnelle), ainsi que sur les dépenses de recherche et de développement  [3]. Les investissements matériels seraient appelés à s’accroître mais seulement dans la mesure où ils contribuent à l’atteinte de ces objectifs.


[1]

[2] Jean-Marc Durand, « Les services publics sont au cœur des défis pour un dépassement de la crise de système », Economie et politique, juillet-août 2016, n° 744-745.

[3] Paul Boccara, Intervenir dans les gestions avec de nouveaux critères, Paris, Messidor/Éditions sociales, 1985.