
Didier Gosselin
Le déploiement du solaire photovoltaïque est une des conditions pour limiter le réchauffement planétaire. Mais faute de politique industrielle cohérente, ambitieuse et financée autrement que par le marché, la France et l’Europe ont raté le coche. L’entreprise Photowatt illustre ce gâchis financier et humain, alors que la transition énergétique exige au contraire des investissements et coopérations socialement maîtrisés.
La multiplication des évènements climatiques catastrophiques révèle l’urgence de traiter en profondeur la question économique et sociale de la transition énergétique. Et particulièrement,de s’affranchir des dogmes du libéralisme mondialisé qui empêchent la construction d’une perspective de développement industriel de long terme et favorisent le gaspillage de l’argent public au profit du capital.
Création et développement de Photowatt
Créée en 1981 par la SAFT, filiale de CGE-Alsthom, juste après le rachat des activités photovoltaïques de Philips à Caen, la société Photowatt, dont veut se débarrasser la CGE dans le cadre de la privatisation engagée en 1986, passe d’abord en 1987 sous contrôle de l’américain Chronar à hauteur de 56 %, puis est reprise en 1988 par un des anciens cadres de la CGE, Claude Rémy, associé à divers actionnaires sous l’égide de Solar France qu’il a créé préalablement.
S’appuyant sur le recyclage des déchets de silicium de l’industrie de l’électronique, peu coûteux,pour produire ses lingots et sur la mise au point d’une scie à fil pour débiter les lingots en plaquettes (wafers), l’entreprise Photowatt retrouve l’équilibre dès 1990 et sera ensuite la première entreprise française à maitriser toute la chaîne de fabrication, de la cuisson du silicium au montage des panneaux photovoltaïques en passant par la création des cellules photoélectriques. L’année 1990 est aussi celle de l’entrée de Shell au capital, à hauteur de 35 %, pour répondre à d’énormes commandes de sa filiale hollandaise R&S. Photowatt, qui s’engage à tripler ses capacités de production, s’agrandit, implante à Bourgoin-Jalllieu sur un ancien site de Valéo ses fours de cristallisation et le sciage, et conserve à Caen la partie électronique, cellule et montage final.
En 1992, après deux années très bénéficiaires, Photowatt fait face à de nouvelles difficultés du fait de grosses commandes reportées ou annulées, et début 1993 à une forte baisse du prix de marché suite à des dévaluations monétaires (la livre, la lire, la peseta) et un dollar très bas. Licenciements, restructuration, regroupement à Bourgoin-Jallieu et Photowatt renoue avec les bénéfices en 1994. Début 1995, Shell, qui souhaite alors investir en Hollande, recherche un acquéreur pour sa participation de 35 % dans Photowatt.
Cession au canadien ATS
En 1997, l’entreprise Photowatt est finalement vendue à 100 % au canadien ATS (Automation Tooling Systems) pour 17 millions de dollars. Au début des années 2000, nombre de pays occidentaux, dont la France à partir de 2006, subventionnent la filière solaire avec des tarifs de rachats avantageux, ce qui a considérablement dopé le marché. L’actionnaire canadien a profité de cet emballement du marché des panneaux solaires et refusé notamment toutes les propositions des dirigeants de Photowatt sur le développement stratégique, technologique et de production en vue de préserver la place de l’entreprise dans les dix premières mondiales alors que la Chine montait en puissance dans cette industrie. Cette absence de stratégie industrielle et technologique a été fatale dès lors que les subventions ont été réduites en 2010 en France, faisant apparaître les faiblesses productives de Photowatt face à ses concurrents. Pour justifier le dépôt de bilan en novembre 2011 et le placement en redressement judiciaire, la maison-mère ATS et Photowatt ont invoqué « une surproduction mondiale impactant les prix et un resserrement du marché en France » suite au moratoire sur le dispositif de soutien au photovoltaïque, ainsi que la concurrence asiatique « où les fabricants produisent dans des usines de capacités au moins dix fois supérieures et bénéficient de fortes économies d’échelle ».
Une prise de contrôle par EDF sans stratégie industrielle
Entrée dans le giron d’EDF en 2012, dans le cadre du redressement judiciaire, et sur injonction du président-candidat Sarkozy, afin de « pérenniser le savoir-faire français en matière d’énergie solaire », et de préserver « l’ensemble des emplois » sur le site de Bourgoin-Jallieu, l’entreprise Photowatt n’a fait que continuer de péricliter depuis lors… Et la nième communication bruyante par Sarkozy autour de « la constitution d’une filière industrielle solaire française au-delà du sauvetage de Photowatt » a fait long feu.
Depuis sa prise de contrôle par EDF, Photowatt végète et a perdu plus de 300 emplois. En 2007, Photowatt comptait 800 salariés. Il reste aujourd’hui 170 salariés. L’atelier de fabrication de lingots de silicium a fermé, réduisant encore la capacité productive de Photowatt en la limitant à la découpe de plaquettes qui ne seront même plus made in France puisque Photowatt fera venir ces lingots de silicium d’Asie… Ainsi, après avoir été à la fin des années 1990 le numéro 3 mondial dans le domaine des cellules solaires, Photowatt se retrouve aujourd’hui laminée par les politiques capitalistes européennes et nationales de rentabilité financière de court terme et paye très cher l’absence d’ambition d’une véritable politique industrielle basée sur la coopération et la recherche.
Pour notre souveraineté, (re)construire une filière industrielle du photovoltaïque ambitieuse.
Le photovoltaïque est une industrie de haute technologie et la France dispose encore de savoir-faire pointus et d’équipements de pointe. En 2007, face à la concurrence asiatique, Photowatt, EDF, le CEA et l’INES de Chambéry (Institut National de l’Energie Solaire) ont créé PV Alliance et développé une technologie prometteuse de cellule solaire que Photowatt aurait pu industrialiser mais ça ne s’est jamais fait, faute de volonté politique… 70 millions d’argent public ont été attribués à PV Alliance avant sa dissolution en 2016. En pure perte… Et en 2023 le gouvernement a abandonné le raffineur savoyard de silicium Ferropem, repris par le suisse Ugitech pour faire du recyclage de déchets industriels.
L’absence de politique industrielle et d’ambition pour la France et l’Europe s’illustre aujourd’hui avec ce nouveau coup porté à Photowatt, à savoir un nouveau projet de cession de l’entreprise, sans perspective réelle pour une filière photovoltaïque. Et ce alors que notre pays, dont l’Isère, disposent de compétences et de connaissances importantes et variées dans le photovoltaïque, tant dans la recherche/développement que dans la production ou l’installation : le fabricant grenoblois de fours à silicium ECM, des assembleurs de panneaux photovoltaïque comme Voltec ou Recom, et bien sûr de nombreux installateurs. (1)
Les propositions des communistes
Tous ces atouts doivent être mis en cohérence dans le cadre d’une filière nationale, voire européenne, du photovoltaïque. Cela suppose de sortir de la logique du seul profit financier et de s’inscrire dans une logique de réponse aux besoins énergétiques, sociaux, économiques du pays et de ses habitants.
Les dizaines de millions d’euros dépensés par EDF pour éponger les pertes de Photowatt depuis 2012 auraient été plus utiles pour investir dans la production photovoltaïque en partenariat et coopération industrielle régionale et nationale.
Le défi climatique impose des investissements massifs de plusieurs dizaines de milliards dans les énergies complémentaires du nucléaire, en France et en Europe. C’est la maîtrise collective de ces investissements, par les salariés, les habitants, les élus, les entreprises, avec pour objectif la réponse aux besoins sociaux et économiques locaux, nationaux, européens, mondiaux, qui permettra de reconstruire une filière industrielle énergétique intégrant le photovoltaïque, et garantissant, avec le nucléaire, l’hydraulique et l’ensemble des ENR un accès pour tous à une énergie peu chère et décarbonée. EDF, nationalisée, dans un pôle public énergétique national devra jouer un rôle majeur dans la construction et le développement de cette filière.
La nécessité de ces investissements importants en formation, en emplois, en recherche et développement, place au cœur de ce choix l’enjeu du financement et de son utilisation. Un financement qu’un fonds adossé et abondé à taux zéro par la BCE doit permettre d’assurer sous le contrôle des salariés, de leurs représentants et de ceux de la filière, des élus, des services de l’Etat.
L’argent public d’EDF ne doit pas servir à la cession de Photowatt mais à son développement.
Si, depuis octobre 2024, les actions des salariés, de la population et des élus du NFP ont mis en échec le projet de cession de Photowatt à la start-up lyonnaise Carbon, laquelle est prétendument à la tête d’un projet d’envergure à Montpellier, la menace demeure de voir l’entreprise être liquidée ou disparaître dans un projet purement commercial (importations et assemblage de panneaux) et sans stratégie de développement industriel et technologique.
Plus grave, le fait qu’EDF, détenue à 100 % par l’Etat, se soit engagée à financer pendant 12 mois les emplois des 170 salariés de Photowatt et « à fournir des panneaux photovoltaïques à Carbon pour soutenir cette nouvelle production », atteste d’un inacceptable dévoiement de l’argent public au profit d’une start-up privée qui n’a pas été en mesure de présenter un projet industriel convaincant, sérieux et financé.
Alors que l’Etat détient depuis Juin 2023 l’intégralité du capital et des droits de vote d’EDF, cette gabegie financière à plusieurs dizaines de millions d’euros pour se débarrasser de Photowatt, se désengager du secteur stratégique de l’énergie solaire et affaiblir la capacité d’EDF à devenir un acteur majeur de la nécessaire mise en place d’une filière photovoltaïque française et européenne, est un coup porté à l’avenir énergétique du pays.
A l’heure des choix budgétaires, et alors que les cadeaux aux entreprises, sans contreparties et pour favoriser la seule rentabilité du capital, atteignent les 200 milliards d’euros sous formes de multiples exonérations ou aides directes et indirectes, il y a urgence à ce que les salariés, leurs représentants, les élus, les populations aient leur mot à dire sur les choix économiques, budgétaires et sociaux. Et ce, à travers de nouveaux droits de gestion des entreprises en lien avec des institutions nouvelles à créer de planification industrielle au cœur des territoires, seule façon de développer démocratiquement l’industrie en réponse aux besoins sociaux et écologiques.
La demande par les élus du NFP de l’Isère, auprès du Préfet, de mettre en place au plus vite un comité de pilotage réunissant les élus du territoire, les représentants syndicaux, les représentants de Photowatt, d’EDF et de la filière ainsi que les services de l’Etat, va dans le bon sens, et reste le préalable indispensable à la construction d’une perspective industrielle crédible.
Cette demande ne pourra toutefois être rendue effective qu’avec une intervention populaire de haut niveau pour exiger le financement d’une filière photovoltaïque qui ne pourra se construire qu’en s’appuyant sur les coopérations, la recherche, la formation et le développement des compétences des salariés. Dans ce cadre, les communistes, avec leurs idées et propositions originales, ont un rôle majeur à jouer dans la bataille pour une autre politique industrielle prenant en compte les enjeux de financement d’une filière, de la transition énergétique, du développement des capacités humaines et productives en vue de répondre aux besoins du pays.
- « Photowatt, ou les errements d’une non politique de transition énergétique », Sabir Ramic, Sébastien Elka, Progressistes, Juillet-Août-Septembre 2021.