5 – Au cœur des chaines mondiales d’approvisionnement – quel nouveau compromis avec les multinationales ?

Yves DIMICOLI

Le besoin impérieux d’attirer des capitaux s’est imposé à la Chine à mesure de son décollage, sous forme d’investissements directs d’abord, pour partager les résultats et les coûts de R&D, les compétences et les débouchés, puis aussi sous forme d’investissements de portefeuille, à mesure du développement de ses institutions financières de plus en plus connectées aux marchés mondiaux et d’une clientèle croissante de particuliers pour l’émission de produits financiers .

Attirés par les faibles coûts salariaux d’alors et les potentiels immenses des marchés chinois, les multinationales du monde entier, états-uniennes en tête, sont entrées dans cette équation rendant les chaines mondiales d’approvisionnement et de valeur vulnérables à une éventuelle déstabilisation financière de la Chine.

Celle-ci en est devenue un acteur majeur représentant quelque 20  % du commerce mondial des produits industriels, concentrant près de 30  % de la valeur ajoutée manufacturière de la planète avec, en tête, les voitures électriques et les batteries au lithium, sans parler des panneaux solaires. Elle contrôle une part importante des chaînes d’approvisionnement mondiales pour plusieurs minéraux critiques, que ce soit au stade de l’extraction ou de la transformation, nombre d’entre eux constituant des intrants clés dans des secteurs tels que les énergies et technologies propres, l’électronique de pointe et les soins de santé.

Un hub essentiel des chaînes d’approvisionnement

La Chine possède des ports à conteneurs très fréquentés et parmi les plus grands au monde tels que Ningbo-Zhoushan, Shanghai, Shenzhen, Qingdao ou Guangzhou. Ils relient la chaîne d’approvisionnement chinoise aux marchés mondiaux. L’initiative « Nouvelle route de la soie » ou « Belt and road initiative » (BRI), inscrite dans la Constitution chinoise depuis 2017, a beaucoup accru la connectivité maritime du pays en favorisant le commerce avec les pays d’Asie, d’Europe et d’Afrique.

Pékin a investi massivement dans l’expansion et la modernisation des réseaux ferroviaires et routiers, promu de grands aéroports internationaux plaques tournantes essentielles pour le fret et le fret international. Des infrastructures d’entreposage et de distribution automatisées ont été érigées à proximité des grandes villes et des ports en vue, notamment, de traitements ultra-rapides des commandes. Les chaînes d’assemblage robotisées se sont multipliées… .

Aujourd’hui, la Chine est devenue, en quelque sorte, un hub difficilement contournable dans les chaines mondiales d’activités et de valeur.

Cependant, les chocs ( pandémies, guerres et conflits, impacts climatiques extrêmes, catastrophes naturelles) subis par l’humanité ces quatre dernières années ont mis en évidence l’inefficacité sociale des chaînes d’approvisionnement des multinationales et les risques dus à la décomposition très poussée des processus de production à l’échelle planétaire, pour maximiser la valeur rendue aux actionnaires de contrôle.

Cela a entrainé des catastrophes rendant insoutenable un telle mondialisation tandis que s’est mis à gronder l’orage géopolitique de l’épreuve de force engagée par Washington avec Pékin.

Fin juillet 2022, dix-huit économies, dont l’Inde, les États-Unis et l’Union européenne, ont dévoilé une feuille de route pour établir « des chaînes d’approvisionnement collectives qui seraient résilientes à long terme ». Elle comprend également des mesures pour contrer les dépendances et les vulnérabilités de la chaîne d’approvisionnement[1].

Les dirigeants étatsuniens s’en sont largement prévalus pour engager un « découplage » entre leur économie et celle de la Chine, cherchant simultanément à entrainer leurs alliés dans ce qui, finalement, pourrait se traduire par une dangereuse et inefficace fragmentation du monde, au détriment de tous les peuples.

Plus pragmatiquement, les multinationales ont pris option pour une stratégie « Chine plus un ». Elle vise à éviter d’investir uniquement en Chine et à « diversifier » leurs activités dans d’autres économies émergentes ou en développement aux potentiels prometteurs comme le Vietnam, l’Indonésie, l’Inde, mais aussi le Mexique.

Il ne s’agit aucunement, selon ses laudateurs, de se retirer totalement de l’empire du Milieu mais d’opérer « un réalignement stratégique pour mieux gérer les risques et saisir de nouvelles opportunités ». Cependant, les mêmes reconnaissent que cela « introduit une complexité accrue en termes de coordination, de communication et de logistique », sans parler des coûts et des risques supplémentaires liés aux délocalisations-relocalisations et au choix de nouvelles routes d’approvisionnement[2].

En pratique, ces destinations « Chine plus un » fonctionneraient plus, pour le moment, comme des sauvegardes ou des extensions des chaînes d’approvisionnement chinoises que comme des substituts[3].… On ne peut pas se passer facilement de la Chine dans les relations internationales.

Compétition entre provinces chinoises pour attirer des capitaux

Avec l’élection de Xi Jinping à la présidence de la RPC un effort gargantuesque d’attraction des capitaux mondiaux a été engagé via, notamment, la multiplication de zones de libre-échange (ZLE). Celles-ci visent à appâter les investissements étrangers en rivalité avec les centres financiers occidentaux, mais aussi en compétition, chacune, avec d’autres ZLE chinoises.

Dès 2013, la première ZLE est créée à Shanghai comme « terrain d’essai pour de nouvelles règlementations ». Depuis, vingt autres ZLE ont été créées. L’exemple des six nouvelles ZLE dévoilées par le Conseil d’état chinois le 26 août 2019 est particulièrement significatif.

Des missions spécifiques leur ont été imparties. Trois sont frontalières (Heilongjiang, Guangxi, Yunnan) et devaient renforcer le commerce avec leur voisins (Russie, Vietnam, Laos, Birmanie, Thaïlande). Deux autres (Jiangsu, Shandong), provinces côtières plus riches, ont été appelées à développer les échanges avec le Japon et la Corée du sud. Le Hebei, lui, devait s’ouvrir à l’industrie pharmaceutique et au biomédical dans la zone Jing-Jin-Ji, dénomination de la mégalopole regroupant Pékin (Jing de Beijing), Tianjin (Jin) et toute la province du Hebei (Ji) qui l’entoure.

Ces ZLE ont pour objectif premier d’impulser le développement de ces provinces, tablant sur leur avantage géographique et servant les ambitions de la BRI. Elles sont inscrites dans une stratégie de développement de la région-capitale pour une « une meilleure compétitivité de la région au niveau national ».

Sont particulièrement mises au défi des régions économiques comme celle du Delta du Yangzi autour de Shanghai ou celle du Delta de la rivière des Perles autour de Canton et Hongkong. Cela a donné lieu à la création de Xiong’an, une nouvelle ZLE à égale distance de Pékin et Tianjin, dotée de l’ aéroport international de Pékin-Daxing, opérationnel depuis octobre 2019.

Pour stimuler l’attractivité des ZLE, de nouvelles mesures n’ont cessé d’être adoptées visant à simplifier les procédures d’enregistrement et réduire le nombre d’autorisations nécessaires pour opérer dans ces zones, avec y compris des entorses aux droits des salariés (Cf. Tesla ci-dessous).

Les dernières en date concernent « la liste négative des zones franches » 2024. Elle réduit sensiblement les restrictions sur les IDE dans les secteurs manufacturiers promettant « un traitement national égal pour les investissements nationaux et étrangers »[4].

Cependant, dans certains domaines clé, des restrictions s’appliquent toujours aux IDE en Chine et ils sont très significatifs[5].

Le cas emblématique de Tesla

La taille de la ZLE de Shanghai a été multipliée par deux en 2020 pour y inclure la zone voisine de Lingang où Elon Musk a édifié la « Gigafactory 3 » de Tesla après avoir liquidé son usine de Fremont (Californie). On avait souligné alors que Tesla, confrontée à un goulot d’étranglement des capacités de production, était en bute à de telles difficultés qu’une faillite était possible. De fait, la mise en service de la Gigafactory de Shanghai a non seulement résolu temporairement ce problème de capacités, mais elle a fait aussi s’envoler le cours de l’action Tesla.

Historique du cours en bourse de Tesla (11/01/2019 – 11/01/2024)

               Source : Macrotrends

Cette usine est entièrement détenue par Tesla Inc. et n’est pas exploitée en coentreprise avec une société chinoise, ce qui est unique chez les constructeurs automobiles étrangers en Chine[6].

E. Musk a bénéficié d’avantages significatifs ( modifications de réglementations, prêts à faible taux d’intérêt…). Fortement dépendante du marché chinois pour une grande partie de la production et des bénéfices de Tesla, son soutien à la Chine est essentiel pour sa stratégie. C’est aussi une dépendance, comme un moyen éventuel de chantage.

L ’existence de Tesla en Chine a stimulé la compétition sur le marché chinois des véhicules électriques. L’utilisation de batteries et de pièces fabriquées localement a aidé les fournisseurs locaux à développer des technologies désormais utilisées par les fabricants chinois de véhicules électriques. Le cas de BYD (Build Your Dreams) basé à Shenzhen, est l’un des plus significatifs.

Non seulement il est devenu numéro un des ventes de voitures en Chine, mais pour la première fois, au 3ème trimestre 2024, il a délogé Tesla de la place de numéro 1 mondial dans le secteur des véhicules à moteur non thermique, sans pour autant dégager une marge bénéficiaire supérieure à celle de l’Américain[7].

Depuis le début de l’année en cours, Tesla est à nouveau confronté à des difficultés sur le marché chinois. Très vivement concurrencées, sa production et ses ventes ont connu des baisses d’une année sur l’autre pendant deux trimestres consécutifs. Le rapport financier du premier trimestre indique que ses livraisons sont tombées en dessous de 400 000 véhicules, le chiffre d’affaires ayant chuté de 9  % et le bénéfice net de 55 %.

Mais cette dégringolade serait due aussi au ternissement de l’image de marque de Tesla aux yeux des salariés et consommateurs chinois. Cela pour cinq raisons au moins[8] :

  • Le groupe a annoncé « 10  % de licenciements dans le monde », mais la proportion a été nettement supérieure en Chine où elle est allée jusqu’à 50 % ;
  • Certains employés y auraient été licenciés sans préavis et sans aucune indemnité et de nombreux salariés ont dû recourir à un arbitrage ;
  • Le groupe a mis fin aux contrats de ceux des salariés les plus récemment diplômés ;
  • L’usine de Shanghai a annoncé une baisse de production de 30  % et ne tourne plus que 5 jours par semaine, contre 6,5 auparavant  ;
  • Tesla, a modifié souvent ses prix ces derniers mois, suscitant la colère de clients et leur exigence de compensations jusqu’ à 15 000 dollars[9].

Pendant ce temps, à Wall Street, l’action Tesla se vendait à découvert faisant s’effondrer ses cours en bourse.

Face à ces difficultés, il était prévu que Musk se rende en Inde le 20 avril dernier pour une visite incluant la confirmation que Tesla y construira une usine et une réunion avec le Premier ministre. Cependant Il l’a reportée sine die invoquant « les obligations très lourdes » de Tesla et assurant être « impatient » de rencontrer N. Modi « plus tard cette année » .

Or, le 28 avril, il effectue une « visite surprise » en Chine où on lui aurait signifié que l’ambition de l’Inde de concurrencer la Chine, ou de bénéficier de sa rivalité avec les États-Unis ( relocalisations, politiques de réduction des risques, de dé-sinisation, de Chine+1 de l’Occident) repose sur des bases fragiles et que l’Inde doit renoncer à concurrencer la Chine. Mais on peut inférer qu’en retour Musk aurait obtenu de nouveaux avantages pour l’heure non rendus publics.

Ce va et vient eut pour résultat de faire bondir de 12 % l’action Tesla dès le lendemain, augmentant sa valeur nette de 37,3 milliards de dollars. En seulement quatre jours de cotations, tous ceux qui, pendant des mois, ont vendu à découvert ces titres à Wall Street, spéculant ainsi indirectement contre la chaîne des véhicules électriques dominée par la Chine, ont perdu environ 5 milliards de dollars[10]

Cours boursiers récents de Tesla (TSLA-NASDAQ)

              Source : (www.google.com)

À la recherche d’un nouveau compromis Chine – multinationales

Pendant des décennies, le sentiment des multinationales vis-à-vis de la Chine était à l’optimisme, pour ne pas dire à l’euphorie . Elles ont délocalisé des masses d’activité d’occident et ont investi capitaux, technologies, savoir faire depuis sa libéralisation en 1978, redoublant en ce sens après l’entrée de la Chine dans l’OMC.

Beaucoup ont réalisé des milliards de dollars de chiffre d’affaires, et des enquêtes auprès des chambres de commerce européennes et américaines en Chine « suggèrent que les bénéfices des opérations de leurs membres en Chine ont, dans de nombreux cas, dépassé les résultats dans le pays sur d’autres marchés »[11].

Les firmes étrangères avaient l’avantage d’être les premières à importer des produits et services dans ce pays où la demande était initialement faible et où les concurrents locaux éventuels disposaient de capacités fort limitées, tant en matière technologique que de gestion.

Certes, elles furent confrontées à beaucoup de problèmes opérationnels, mais plusieurs d’entre elles avaient eu l’expérience de marchés similaires dans d’autres pays faiblement développés.

Et, pourquoi « lâcher ce morceau » quand les promesses de profits futurs sont si considérables avec une croissance qui demeure rapide et une augmentation persistante des parts de marché, même quand les entreprises chinoises ont commencé à faire irruption dans les domaines de la révolution informationnelle ?

La politique de « zéro covid » a été, certes, une épreuve, mais la perspective d’un redémarrage en trombe de l’activité économique après la levée des confinements autorisait toujours l’optimisme. Les firmes multinationales dont l’expansion a été la plus rapide entre 2010 et 2021 n’ont-elles pas encaissé des revenus progressant de 20 % par an au cours des deux dernières années, contre 16 % lors des neuf premières ?

C’était manifeste s’agissant des sociétés françaises. En 2023, la Chambre de commerce et d’industrie France-Chine avait mené une enquête sur le climat des affaires après la fin des confinements auprès de 304 d’entre elles. Elle révélait que si « plus d’un tiers des entreprises prévoient une augmentation de leurs activités en 2023, près de la moitié s’attendent à de meilleurs résultats en 2024. Ce sentiment concorde avec la confiance de 56,8  % des personnes interrogées qui restent optimistes quant aux perspectives de croissance du marché chinois dans leurs secteurs respectifs au cours de l’année, les trois prochaines années »[12].

Mais, le ralentissement plus marqué que prévu de l’économie chinoise, la montée des tensions géopolitiques, les discours de « découplage » et de « démondialisation – relocalisation » ainsi que la hausse des droits de douane étatsuniens sur les marchandises provenant de Chine ont commencé à ébranler l’optimisme.

S’y ajoutent le vieillissement de la population chinoise, le plus rapide parmi les pays émergents, la crise du marché immobilier et la concurrence de plus en plus féroce des sociétés locales. Et il faut prendre en compte aussi le durcissement de certaines règlementations internes par Pékin en riposte aux assauts de Washington.

Aujourd’hui nombre de dirigeants de multinationales s’interrogent : « Should I stay or should I leave ? » comme le chantait le groupe britannique de punk rock « The Clash » dans les années 1980.

Une importante étude du Mc Kinsey Global Institute[13] éclaire sur les termes de ce dilemme qui a du s’accentuer depuis qu’il a été rendu public. Nous en résumons les principaux éléments ci-après.

Les multinationales vont être confrontées à six grandes questions :

  • Capital et propriété : Peuvent-elles puiser dans les capitaux chinois et mondiaux et s’autofinancer ? Doivent-elles se séparer de filiales chinoises ?
  • Chaîne d’approvisionnement : que localiser, que diversifier ?
  • Innovation : Dans quelle mesure doit-elle avoir lieu en Chine ?
  • Image de marque : Comment soutenir des marques attrayantes pour les clients locaux tout en tirant parti de la puissance de leur marque mondiale ?
  • Talents : Comment embaucher des employés issus du vivier de talents de plus en plus qualifiés de la Chine tout en bénéficiant des flux de talents mondiaux ?
  • Technologies et données : Comment localiser l’infrastructure de données et de technologies conformément à la loi chinoise, tout en se conformant aux protocoles de sécurité mondiaux ?

A partir de là, il faudra faire la balance des opportunités et des risques. Les premières sont considérables.

  • En 2020, le total des actifs des multinationales non chinoises et leur chiffre d’affaires dépassaient chacun 3000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 20 % du PIB chinois. Et elles employaient 12 millions de personnes, soit environ 3 % de la main d’œuvre urbaine chinoise.
  • Si le PIB réel de la Chine ne devait croître que de 5 % en moyenne sur la période 2021-2030, la richesse nouvelle ainsi produite équivaudrait à la somme des PIB de l’Inde, de l’Indonésie et du Japon de 2021. Même si la croissance ne s’avérait être que de 2 %, la richesse nouvelle produite serait supérieure au PIB total de l’Inde.
  • Dans les secteurs comme l’automobile, les produits de luxe et l’industrie, les multinationales non chinoises réalisent en Chine de 25 à 40 % de leur chiffre d’affaires mondial. Elles ne pourront pas faire autrement que d’y rester et faire face à la concurrence.
  • Les multinationales implantées en Chine bénéficient de plus en plus de l’effort d’innovation de ce pays dont témoigne, par exemple, les progrès de ce pays dans l’intelligence artificielle au stade de la R&D avec 60 000 publications d’articles dans les meilleures revues scientifiques, contre 26 000 seulement pour les Etats-Unis en 2021.
  • Avec leurs implantations en Chine, les multinationales étrangères sont devenues des leader dans la phase de commercialisation.
  • La Chine fait d’énormes progrès dans d’autres technologies de pointe comme la connectivité avancée en technologies spatiales.
  • La transition climatique, énorme défi en Chine, devrait offrira aussi offrir de belles opportunités. En 2021, Pékin a déclaré l’objectif d’atteindre son pic d’émissions de CO2 avant 2030 et la neutralité carbone avant 2060. Selon des calculs de la Banque mondiale, pour atteindre ce dernier objectif, il faudra investir 14 000 milliards de dollars dans les secteurs comme l’énergie et les transports… Bref, il y a beaucoup d’argent à se faire dans les principaux secteurs à forte teneur en carbone !
  • Enfin, et ce n’est pas le moindre, la Chine raffine de nombreuses ressources essentielles à la production de batteries pour les véhicules électriques tels que la graphite naturel dont ce pays raffine 100 % de l’approvisionnement mondial, le lithium (70 %) ou le cobalt (68 %). Elle possédait en 2021, selon une estimation de Mc Kinsey, 74 % de la capacité mondiale de production de composants de batteries de V.E. .

Par ailleurs, l’urbanisation continue et l’ampleur des couches moyennes font de la Chine la plus grande base de consommation au monde pour les produits biopharmaceutiques, la santé grand public, le divertissement. Les experts de Mc Kinsey considèrent que, d’ici à 2030, il y aura 90 villes représentant 40 à 50 % de la population chinoise dont le niveau de vie sera comparable à celui des pays à revenu élevé.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, les multinationales desservant les pays émergents d’Asie disposent avec leurs implantations en Chine d’atouts considérables pour saisir le boom des échanges avec l’ASEAN.

Mais qu’en est-il des risques du maintien d’emprises en Chine ?

  • Elle est considérée comme une rivale dangereuse par les Etats-Unis qui dénoncent le fait que Pékin aurait « l’intention, à la fois, de remodeler l’ordre international et, de plus en plus, la puissance diplomatique, militaire et technologique pour le faire ». L’UE considère la Chine aujourd’hui comme une « rivale systémique ».
  • Un risque connexe s’est fait jour et prend de l’ampleur qui tient au fait que l’opinion publique occidentale change à l’égard de la Chine, devenant en partie hostile avec la puissante aide des médias.
  • Les changements règlementaires et les tensions géopolitiques pourraient perturber l’activité des multinationales en Chine car certains segments de la chaîne de valeur technologique du pays demeurent dépendants des importations. C’est le cas pour les semi-conducteurs, la Chine étant le plus grand importateur mondial d’équipements pour les fabriquer[14]. Les mesures de restriction décidées par Washington pour les exportations en sa direction font peser une incertitude pour les chaines de valeur des multinationales.
  • Les risques climatiques vont s’accroître, comme l’ont montré diverses catastrophes liées aux inondations et le caractère de plus en plus torride des saisons estivales[15]. C’est, au demeurant, toute l’Asie qui est exposée à de graves inondations fluviales alors que sa part du stock mondial de capital est appelée à devenir considérable.

Les experts de Mc Kinsey soulignent combien la concurrence des sociétés locales vis-à-vis des multinationales étrangères implantées sur leur territoire est devenue vigoureuse, voire dangereuse.

En 2005, la part des multinationales étrangères dans les exportations de la Chine atteignait 58 %, au sommet depuis le début des années 1990. En 2021, elle n’était plus que de 34 %, les sociétés locales répondant de plus en plus à la demande mondiale adressée à leur pays. Si les multinationales étrangères se sont développées rapidement dans l’empire du Milieu, les sociétés locales l’ont fait plus rapidement encore.

Elles rattrapent leur retard en matière d’innovation en augmentant leurs dépenses de R&D plus vite que ne le font les multinationales étrangères.

          Source : Mc Kinsey .

La croissance des sociétés technologiques chinoises est vertigineuse, sur les lignes de Shenzhen et de Shanghai en particulier. Leur part de la valorisation de ses deux marchés boursiers serait passée de 19 % en 2010 à 27 % au 3ème trimestre 2022.

Le marché domestique lui-même se réoriente, les consommateurs chinois accordant de plus en plus leur préférence aux marques locales. Par exemple, en 2021, 64 % des téléphones portables achetés par des Chinois provenaient de marques nationales, contre 46 % seulement en 2013. Et, de tous les smartphones expédiés dans le monde en 2021, plus du tiers (34 %) provenaient de trois marques chinoises, contre 18 % en 2015.

Les multinationales devront aussi tenir compte du durcissement des règlementations intérieure en écho au bras de fer avec les Etats-Unis. Mais un paramètre qu’elle devront tôt ou tard prendre mieux en compte tient à l’insuffisance de la création d’emplois et aux conditions de travail qui nourrissent une frustration grandissante des Chinois, notamment chez les jeunes diplômés, tandis que nombre de jeunes travailleurs migrants regardent passer le train de l’ascension des « talents » sans jamais pouvoir y monter.

Elles devront aussi tenir compte de la consternation des couches moyennes en bute aux affres de la dévalorisation de leur logement alors qu’elles se sont beaucoup endettées pour se le procurer.

Au-delà, la société chinoise peut se crisper face aux inégalités qui perdurent et à l’enrichissement phénoménal de couches ultra-favorisées, alors que Xi leur a promis depuis 2021 de faire avancer le pays vers « la prospérité commune ».


[1] « Joint statement on cooperation on global supply chains » 22/07/2022 (www.commerce.gov) . On y lit notamment : « Nous visons à promouvoir la diversification et à accroître les capacités mondiales pour des sources multiples, fiables et durables de matériaux et d’intrants, de biens intermédiaires et de produits finis dans les secteurs prioritaires, ainsi que les capacités des infrastructures logistiques, en augmentant la résilience des chaînes d’approvisionnement pour rendre nos économies moins vulnérables aux perturbations et aux chocs ». 

[2] “The “China plus one” strategy : a liberated supply chain, delivered” (blogistics.fr).

[3] Zhang M.Y. : Pivoting away from China s manufacturing powerhouse threatens global supply chains , 13/11/2023 (www.uts.edu.au).

14 Ibid.

 15 La BRI comprend deux volets principaux : la Ceinture économique de la Route de la soie et la Route de la soie maritime du XXIe siècle. La Ceinture économique de la Route de la soie vise à renforcer les infrastructures terrestres, notamment les routes, les voies ferrées et les pipelines, pour faciliter les échanges commerciaux. La Route de la soie maritime du XXIe siècle se concentre sur le développement des infrastructures portuaires et maritimes pour faciliter le commerce maritime.

[4] cms.law .

[5] L’exploration, l’exploitation minière et l’enrichissement des terres rares, des minéraux radioactifs et du tungstène; les agences de presse; l’édition, la publication et la production de livres, de journaux, de périodiques, de produits audiovisuels et de publications électroniques; les stations de radiodiffusion et de télévision, leurs chaînes et fréquences, leurs réseaux de transmission et l’engagement dans leur vidéo à la demande; la production et l’exploitation d’émissions de radio et de télévision; les sociétés de production cinématographique, les sociétés de distribution, les sociétés de cinéma et l’introduction de films demeurent interdites. S’y ajoutent les IDE dans des secteurs tels que le transport maritime intérieur, le transport aérien public, l’aviation générale; les entreprises de télécommunications et les services de télécommunications à valeur ajoutée; la construction ou l’exploitation de centrales nucléaires; la construction et l’exploitation d’aéroports civils; les études de marché; les établissements préscolaires, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur; les institutions médicales et la sélection de nouvelles variétés et semences de blé et de maïs la production demeurent limitées.

[6] Tesla, cependant, n’est pas propriétaire des terrains sur lesquels a été édifiée cette usine et ne dispose que de droits d’utilisation de 50 ans.

[7] www.msn.com.

[8] Ghosal Singh A.: “ Musk’s China visit: A win for Musk and China and a snub for India? “,Observer Research Foundation, 17/05/2024 ( www.orfonline.org).

[9] S’agissant, précisément, des variations de prix et des délais de livraison du constructeur on peut se reporter à Zhang P. : « Tesla cuts prices across its entire lineup in China », 21/04/2024 (cnevpost.com)

[10] Ibid.

[11]  Schütte H. : “For MNCs, big decisions about China are on ice”, 15/03/2023, INSEAD Knowledge (knoledge.insead.edu).

[12] Les entreprises françaises en Chine – Enquête de climat des affaires au troisième trimestre, 19/07/2024 (www.ccifrance-international.org).

[13] Woetzel J, Nga J. et alii : “The China imperative for multinational companies – Reconfiguring to opportunity and risk”, Discussion paper, 01/2023 (www.mckinsey.com) .

[14] La valeur des importations chinoises d’équipements pour la fabrication de semi-conducteurs a augmenté de 227% entre 2015 et 2021, passant de 13 milliards de dollars à 41 milliards de dollars (Mc Kinsey)

[15] En Chine, selon la télévision publique CCTV, juillet 2024 a été le mois le plus torride jamais enregistré depuis le début des relevés complets de températures en 1961. La température moyenne au niveau national a été de 23,21°C, contre 23,17°C lors du précédent record qui datait de 2017, d’après CCTV.