3 – La Chine en révolution démographique

Yves DIMICOLI

En 2023, la Chine a enregistré son deuxième déclin démographique consécutif, sa population totale ayant diminué de 2,08 millions de personnes par rapport à 2022. Elle avait enregistré, alors, la première diminution de sa population depuis 1961 (-850 000). La rupture est franche avec le rythme effréné de croissance démographique de près de 50 % entre 1950 et 1970, ce qui était devenu insoutenable.

Les gouvernements successifs ont fait le choix d’un contrôle draconien des naissances dans les années 1970, à un point tel que, dans les années 1990, le taux de fécondité est tombé à 1,5 naissance par femme. Il est désormais estimé à 1,18 naissances par femme, bien au-dessous du taux de remplacement qui est de 2,1.

Cette dynamique, s’est poursuivie malgré l’assouplissement de la « politique de l’enfant unique », introduite en 1980 mais modifiée pour autoriser deux enfants par foyer à partir de 2016 et trois enfants à partir de 2021, malgré aussi l’adoption d’une politique plus nataliste (déductions fiscales, crèches, congés maternité…). Cela a provoqué la chute corrélative du taux de natalité.

Evolution du taux de fécondité (1950-2021)

            Source : Silver L. et C. Huang : “Key facts about China’s declining population”, 05/12/2022

                    (www.pewresearch.center).

Ce faisant, la Chine aura compté, à elle seule, plus de la moitié (51 %) des femmes « disparues »[1] dans le monde entre 1970 et 2020, en raison d’avortements sélectifs notamment.

Elle continue d’avoir un « sex-ratio » à la naissance asymétrique[2] alors qu’ en 2021 encore, elle connaissait un déséquilibre si grave, avec environ 30 millions d’hommes de plus que de femmes, que Pékin a entrepris des campagnes de sensibilisation.

Taux de natalité 2000 – 2023 ( naissances pour 1 000 habitants)

         Source : Statista .

Simultanément, le vieillissement de la population s’est accéléré : la part des personnes âgées de 60 ans et plus a atteint 21,1 % de la population totale contre 17,7 % en 2020 et 8,7 % en 1990[3]. Le ratio de la population en âge de travailler à la population ayant au moins 65 ans[4] est passé de 9,8 % en 2000 à 4,54 % en 2023.

Evolution de la pyramide des âges

                       Source : Attale I.  : “La Chine, un géant démographique aux

                                 pieds d’argile » (www.ined.fr)

Au cours de la prochaine décennie, environ 300 millions de personnes, actuellement âgées de 50 à 60 ans, devraient quitter le marché du travail chinois. Il s’agit du groupe d’âge le plus important du pays, presque équivalent à la taille de la population américaine.

Diminution de la population en âge de travailler

              Source : The Conversation, CC-BY-ND – 15/08/224 ( theconversation.com).

Selon les projections démographiques des Nations Unies le nombre des 65 ans et plus devrait plus que tripler d’ici à 2050[5]. La Chine, d’ici 2100, pourrait avoir doublé son taux de dépendance. En fait, sur la base de l’estimation intermédiaire de l’ONU, il y aurait, d’ici à 2079, plus de Chinois en dehors de la population en âge de travailler que dans celle-ci (taux de dépendance de 101,1).

Un problème particulièrement aigu concerne les retraites et leur financement[6]. Les dépenses publiques faites à ce titre sont passées de 3,3 % en 2013 à 5,4 % en 2023[7]. Mais comme la pension de base moyenne est faible, le recours à des fonds de pension privés a fortement progressé avec des actifs passés de 0,68 % du PIB en 2010 à 2,19 % en 2020[8].

Dépenses publiques de retraite en  % du PIB

(2013 – 2023)

                  Source : Statista

Les dirigeants chinois ont décidé de reculer l’âge du départ en retraite, lequel est resté inchangé depuis les années 1950, les hommes partant à 60 ans et les femmes à 50 ans (emplois de « col bleu ») ou 55 ans (emplois de « col blanc »).

Désormais, l’âge de départ pour les premiers passera à 60 ans d’ici à 2040 et à 55 et 58 ans respectivement pour les deux autres. Les cotisations salariales seront augmentées, y compris pour les 40 millions de fonctionnaires et employés du secteur public. Or, il y a de très importantes inégalités du point de vue des retraites servies. Les citadins, par exemple, perçoivent en moyenne des pensions cinquante fois supérieures à celles des ruraux[9].

Cela met les dirigeants chinois au défi d’améliorer considérablement les services sociaux pour répondre aux demandes médicales, de soins de santé et de retraite de la population croissante de personnes âgées.

Le coût prévu des soins aux personnes âgées[10] pourrait passer de 1668,623 milliards de yuans en 2020 à 2836,754 milliards de yuans en 2035. D’ici là, le coût total des soins à domicile communautaires pour les personnes frappées de pathologies telles que « trouble de viabilité », « maladie aiguë », « trouble fonctionnel somatique » et « sous-trouble » est appelé à exploser[11]. Les coûts des soins familiaux sont environ trois fois plus élevés que ceux des aidants naturels.

La question du financement des retraites va devenir brûlante[12]. En effet, la Caisse de pension des travailleurs urbains, qui constitue l’épine dorsale du système de retraites public est menacée par ces évolutions.

Un rapport de 2019[13] du Centre International de Recherche sur la Sécurité Sociale de l’Académie des Sciences Sociales qui a lancé l’alerte au sujet de quatre problèmes sérieux à venir :

  • Le nombre de travailleurs assurés changera radicalement avec le temps. D’ici 2047, il devrait atteindre un pic de 345 millions, puis commencer à diminuer jusqu’ à 341 millions en 2050. Leur taux de dépendance devrait alors atteindre 81,8  % contre 37,7  % en 2019.
  • Mais, ce ne sont pas tous les travailleurs assurés qui cotisent. Le nombre de ceux qui le font atteindrait 290 millions d’ici 2048, puis il diminuerait jusqu’aux environs de 289 millions en 2050. Et le taux de dépendance des assuré qui auront effectivement payé une prime passerait de 47 % en 2019 à 96,3 % en 2050. Autrement dit, si deux travailleurs subvenaient aux besoins d’un retraité en 2019, il n’y en aurait plus qu’un seul en 2050.
  • De 102 millions en 2019, la population de retraités assurés devrait passer à 278 millions en 2050.
  • D’où de sérieux problèmes de financements en perspective : les recettes de la Caisse de pension passeraient de 3,9 % du PIB à quelque 6 % en 2050, tandis que les dépenses atteindraient, elles, quelque 8,9 % du PIB.

On comprend que ces conclusions aient soulevé une grande émotion dans le pays.                 

Vers un appel à la main d’œuvre étrangère ?

L’immigration étrangère pourrait contribuer à corriger ces tendances. Mais sera-t-il si facile d’introduire et de mettre en œuvre une politique d’immigration active en Chine ? La concurrence sur le marché du travail chinois en serait sans doute accrue, particulièrement vis à, vis de la main d’œuvre juvénile, ce qui peut envenimer la xénophobie.

Mais si une politique d’immigration active n’est pas mise en œuvre, d’ici le début du siècle prochain, la Chine aura la population la plus vieille du monde.

L’une des particularités de la Chine, en effet, tient dans son taux d’immigration très faible, l’exode de la main d’œuvre rurale excédentaire ayant été massif pendant des décennies.

En 2020, la Chine n’abritait qu’un million de migrants, soit environ 0,1  % de sa population.

Taux de migration nette de la Chine 1950-2024

            Source : Macrotrends

Par contre, il y a eu une émigration nette importante au début des années 1990, plus de 750 000 personnes quittant chaque année le pays. En 2021 encore, l’ émigration nette était estimée à 200 000 personnes, niveau en forte baisse cependant.

L’ONU, dans ses projections de variante moyenne, prévoit que la Chine devrait continuer de connaitre un solde net migratoire négatif jusqu’en 2100 au moins, avec des estimations oscillant autour de 310 000 départs pour l’étranger par an. Traditionnellement, le pays a connu de nombreuses vagues d’ expatriations.

Selon les données de l’Annuaire statistique 2022 du Conseil des affaires des communautés d’outre-mer de Taïwan[14], comprenant les Chinois ethniques et leurs descendants émigrés de Chine continentale, de Taïwan et de Hong Kong, ils seraient au nombre de 49,7 millions Chinois dans le monde.

En plus d’encourager le retour des professionnels hautement qualifiés de la diaspora chinoise, Pékin a commencé de tenter d’ attirer des étrangers du même profil. Ainsi a été lancé le « Plan des Mille Talents » (TTP), issu de la « Stratégie des superpuissances du talent » du XVIIème congrès  du PCC en 2007. Il avait pour but de recruter des scientifiques et ingénieurs de haut niveau, notamment aux Etats-Unis où, selon le ministère de l’énergie, 92  % des Chinois y ayant obtenu un doctorat en sciences ou en technologie en 2002 y demeuraient encore en 2007[15]

Le TPP ayant été suspendu en 2018 sous la pression, notamment, de Washington, Pékin aurait relancé en 2020, selon Reuters, une nouvelle initiative dénommée « Qiming » supervisée par le ministère de l’Industrie et des Technologies de l’information.

Le besoin de recourir à une main d’œuvre étrangère pourrait aussi s’accroître à mesure que l’Inde, en plein dynamisme démographique, se hisserait au rang de concurrente régionale de la Chine.

Dynamique attendue de l’écart démographique Chine / Inde

    Population totale (million)                                                   Variation annuelle de la population (million)   

        

                          

    Source : Heissat T. : « Fron China to India, a demographic relay”, CPRAM, 07/06/2024 (cpram.com)

L’Inde a aussi connu une croissance démographique très rapide depuis le milieu du XXème siècle. Sa population a doublé depuis 1980, augmentant de 17 millions d’habitants par an. L’ONU prévoit une croissance ininterrompue jusqu’en 2055, date à laquelle elle culminerait à quelque 1,7 milliard d’habitants.

Surtout, la population de l’Inde est plutôt jeune avec un âge médian de 28 ans en 2023, contre 39 ans en Chine. Cela lui permettra donc de maintenir une population en âge de travailler très élevée, sans doute supérieure à 1 milliard d’ici 2027.

Il est clair que les multinationales évaluent l’avantage comparatif que cela pourrait leur offrir à terme et, sous l’aiguillon de la tentative de « découplage » de Washington et de quelques capitales européennes, certaines commencent déjà à essayer de déporter des capacités installées en Chine vers l’Inde ou menacent de le faire.

Mais la place prise par l’ empire du Milieu dans les chaines d’approvisionnement et de valeur mondiales est désormais si importante qu’il est peu probable que le mouvement s’intensifie brutalement sur la décennie à venir, d’autant que le niveau de vie, de culture, de qualification et d’emploi des populations indiennes demeure très bas, de même que les infrastructures et services publics.

ANNEXE

 Le régime de sécurité sociale en Chine est financé principalement par les cotisations des assurés et des employeurs, ainsi que par des subventions du gouvernement central et des gouvernements locaux.

Les taux de cotisations ainsi que les seuils et les plafonds de rémunération pris en compte pour le calcul sont fixés localement et varient selon les provinces, dans la limite d’un plafond déterminé par le gouvernement central.

Le tableau ci-dessous indique uniquement les cotisations obligatoires des provinces de Pékin et Shanghai.

                    1 Le taux est variable selon les provinces.
                    4 Dans la plupart des villes, les taux de cotisations maladie et maternité ont été fusionné.
                                 3 Au 29/09/2023, un yuan chinois (CNY) vaut 0,129 euro.

A noter : Les salariés résidant dans des zones rurales peuvent être assujettis à des taux de cotisation moins élevés et les régions appliquent des seuils différents de cotisations minimales.

L’assurance vieillesse est financée à la fois par un système par répartition et un système par capitalisation. Les cotisations versées sur le fonds de prévoyance dit assurance entreprise du 2e pilier de l’assurance vieillesse sont payées, d’une part par l’entreprise et d’autre part par les salariés. Cette assurance complémentaire est financée par les cotisations ainsi que par les rentabilités des investissements. La cotisation de l’employeur ne doit pas excéder 1/12e de la masse salariale de l’année précédente. En règle générale, la totalité des cotisations payées par l’employeur et le salarié n’excède pas 1/6 de la masse salariale de l’année précédente.

L’assurance chômage est financée par les cotisations employeurs et salariés et des subventions nationales.

L’assurance médicale pour les salariés est, comme l’assurance chômage, principalement financée par les cotisations des employeurs et des salariés mais également par des subventions d’Etat. Les gouvernements locaux fixent les taux de cotisation en fonction des conditions locales dans la limite de 2 % pour les salariés.

Concernant l’assurance maternité, seul l’employeur a l’obligation de verser une cotisation.

Les taux de cotisations de l’assurance accidents du travail sont fixés localement en fonction des risques présents dans l’entreprise. Selon le secteur d’activité auquel appartient l’entreprise, les taux de cotisation sont organisés en 3 catégories de risque :

  • Catégorie 1 : risque faible (secteurs finances et assurances, commercial, industrie hôtelière, poste et télécommunications, radiodiffusion, etc.), taux de cotisation standard d’environ 0,2 % de la masse salariale
  • Catégorie 2 : risque modéré (secteurs de l’agriculture, sylviculture, irrigation, fabrication, etc.) avec un taux de cotisation standard d’environ 1 % de la masse salariale
  • Catégorie 3 : risque élevé (secteurs d’exploitation de pétrole, mines, etc.) avec un taux standard de cotisation d’environ 2 % de la masse salariale.

En fonction de la fréquence des accidents, un taux de fluctuation qui change tous les 1 à 3 ans, s’applique aux employeurs qui cotisent pour les catégories 2 et 3.

Seul l’employeur cotise à l’assurance accidents du travail.

Les cotisations au Fonds de logement (Housing Provident Fundssont déposées par l’employeur, sur un compte au nom de l’assuré, géré par la « China Bank Construction« . Ces fonds sont uniquement destinés à l’achat, la construction ou la rénovation des logements des salariés. Ils sont transférables aux héritiers en cas de décès de son titulaire.

Travailleurs indépendants

Résidents urbains non-salariés et ruraux


[1] Appellation utilisée pour la première fois par Amartya Sen.

[2] 112 naissances masculines pour 100 naissances féminines en 2021, soit une légère baisse par rapport au sommet de 118 naissances masculines pour 100 naissances féminines entre 2002 et 2008 op.cit.ibid.

[3] Global.chinadaily.com 5/09/2024

[4] 982,7 millions pour le premier et 216,77 millions pour le second (ministère des Affaires civiles – 2024).

[5] Attale I. : “La Chine, un géant démographique aux pieds d’argile », www.ined.fr .

[6] Le système de retraite chinois est composé de trois piliers, dont le système de retraite de base, dirigé par l’État. Le deuxième est un régime de retraite volontaire des employeurs, et le troisième est un régime de retraite volontaire privé.

[7] Tradingeconomics.com

[8] Ibid.

[9] En 2023, les salariés urbains retraités recevaient une pension de base mensuelle moyenne de 3 326 yuans (environ 461 dollars) par personne, principalement financée par la contribution légale aux pensions versée par les employeurs.

[10] Han Y., Xu C.,  Zhang L. et al. : “Expenditure projections for community home-based care services for older adults with functional decline in China”, Int. J. Equity Health, vol.22,143 (2023), ( equityhealthj.biomedcentral.com ).

[11]Il était prévu à 1094,591 milliards, 433,855 milliards, 1256,236 milliards et 52,072 milliards de yuans, respectivement, soit 1,24, 1,58, 1,78 et 0,49 fois plus élevé que les résultats de la méthode de calcul des coûts par heure-homme.

[12] Le fonds d’assurance sociale est géré par le Conseil national du Fonds de sécurité sociale et est dédié à répondre aux besoins de la Chine en matière de sécurité sociale. Les revenus sont générés par un sous-ensemble de fonds et la majeure partie de cette somme est consacrée aux coûts liés aux pensions et à l’assurance médicale. En 2024, les recettes de ce budget devraient atteindre 11,7 billions de RMB (1,6 trillion de dollars) et les dépenses seront de 10,7 billions de RMB (1,5 trillion de dollars), ce qui se traduira par un excédent de 1,1 trillion de RMB (148,2 milliards de dollars), qui sera ajouté au capital global du fonds.

[13] Pension Fund Actuarial Report 2019 – 2050, 10/04/2019.

[14] english.ocac.gov.tw .

[15]  Finn M.G. : « Stay Rates of Foreign Doctorate Recipients from U.S. Universities, 2007”, Oak Ridge Institute for Science and Education, Janvier 2010.