Capitalisme monopoliste d’État social (CMES) – et dévalorisation du capital

Frédéric BOCCARA
économiste, membre du comité exécutif national du PCF


Comprendre les manifestations actuelles de la crise de civilisation, dans les entreprises comme à l’échelle de l’ensemble de la société et du monde, nécessite d’avoir présent à l’esprit ce qui caractérise le stade actuel du développement des contradiction du système capitaliste, à savoir la crise du capitalisme monopoliste d’État social.


Le CMES est le système répondant à la crise de l’entre-deux guerres, qui est entré lui-même en crise depuis le début des années 1970. Il repose sur une dévalorisation systémique du capital pour permettre au taux de profit de remonter. Dé-valorisation veut dire « moindre mise en valeur ». On peut prendre trois exemples majeurs : (a) les nationalisations industrielles, (b) la Sécurité sociale, (c) les nationalisations bancaires.


(a) La nationalisation de la production d’électricité, avec la création d’EDF, fait que le taux de profit exigé du capital produisant de l’électricité devient inférieur au taux jugé « normal » de profit par les capitalistes, ce qui remonte d’autant le taux de profit des capitaux privés, comme ceux des fabricants d’aluminium, produit qui nécessite une grande consommation d’électricité. On minore donc les exigences de profit pour une partie du capital, ainsi dit « dévalorisé » (moins mis en valeur). Dans ce cas, on « limite » le jeu du taux de profit.


(b) Dans le cas de la Sécurité sociale on fait fonctionner de l’argent selon une tout autre logique que celle du capital : une part de la valeur ajoutée ne va ni aux salaires, ni aux profits mais à des cotisations sociales, donc à des dépenses de développement humain. Ce n’est plus donc une valeur A qui cherche à récupérer sa valeur et un « plus » (A+ΔA). Dans ce cas, on instaure donc une autre logique que celle du capital devant générer du profit.


(c) Le crédit bancaire nationalisé est utilisé après-guerre pour que l’État pratique un crédit à très bas taux dans un certain nombre de cas et de projets, avec en outre des fonds de bonification publics (comme le FDES, Fonds de Développement économique et social). Cela permet d’orienter le crédit selon des critères mixtes bien qu’encore très capitalistiques : équipements matériels et exportation, mais encore une fois une partie du capital ― bancaire public ici ― ne réclame pas le même taux de profit, ce qui permet de relancer une production et une accumulation qui était à l’arrêt, ou bridée, et de remonter le taux de profit des autres capitaux.


Cela a relancé l’accumulation, mais aussi la croissance et un développement considérable de la société après 1945, bien que contradictoire (exploitation, dimension impérialiste, biais capitalistique, mais aussi santé, protection sociale et éducation). Durant les crises conjoncturelles de suraccumulation, le capital fait porter ses efforts pour relever le taux d’exploitation et étendre le système (exportations de capitaux, renforcement du financement public, diffusion du nouveau « type » technologique d’après-guerre, ce type et les luttes sociales nécessitant aussi de concéder au développement de l’éducation nationale, de l’université, de la recherche publique, de la protection sociale). Mais cela n’empêche pas la montée d’une suraccumulation structurelle. Et, à partir du tournant vers une crise structurelle, ou systémique radicale (1967-73), et surtout des années 1980, les dépenses publiques et l’intervention étatique dans l’économie ne reculent pas, mais deviennent de plus en plus pilotées directement par le capital et le privé. Le caractère « social » du CME est de moins en moins dominant (sans totalement disparaître).

Ainsi, les aides aux entreprises sont aujourd’hui considérables (près de 200 milliards d’euros, soit presque 7 % du PIB ou 50 % des profits de l’ensemble des entreprises). Mais une part très importante de ces aides, comme les exonérations de cotisations sociales, sont une incitation à pratiquer des bas salaires, donc anti-sociales. On peut aussi citer le refinancement à taux zéro des banques par la BCE… principalement pour les délocalisations, la spéculation et les suppressions d’emploi. Ce sont un certain nombre de caractéristiques majeures du CMES en crise, qui en font un CME de plus en plus « anti-S » !


Rappelons que la théorie de la suraccumulation-dévalorisation est élaborée en analysant l’intervention de l’État dans l’économie après la Seconde guerre mondiale mais aussi en généralisant, par un passage à la théorie, par une proposition théorique, la liste des « causes qui contrecarrent la loi » de la baisse tendancielle du taux de profit proposée par Marx dans chapitre 14 du le livre 3 du Capital de Marx, liste qui était encore plutôt factuelle et descriptive, correspondant à l’époque dont Marx a été le contemporain : augmentation du degré d’exploitation du travail, réduction du salaire en-dessous de sa valeur, baisse de prix des éléments du capital constant, surpopulation relative, commerce extérieur, augmentation du capital par action.