Sortir de la crise : Pour un élargissement de la Sécurité sociale

Il y a 75 ans, la création de la Sécurité sociale a été une réponse révolutionnaire à une crise structurelle du système capitaliste. La crise d’aujourd’hui remet en cause encore plus profondément la régulation capitaliste et appelle à des transformations encore plus radicales.

La Sécurité sociale : un puissant outil de sortie de crise

En 1945, la mise en place de la Sécurité sociale a permis de trouver une issue à la longue période de récession économique de l’entre-deux guerres qui correspond à une période de crise du capitalisme : la suraccumulation du capital, l’économie sur les salaires et le travail, le développement des activités spéculatives ont abouti à la crise financière de 1929. Dans ce terreau de misère s’est développé le fascisme et la Deuxième guerre mondiale. La période de l’entre-deux guerres correspond ainsi à une longue phase de crise du système capitaliste. Une nouvelle régulation est nécessaire et est rendue possible par la force des luttes sociales, avec un PCF fort, en première ligne de la résistance face aux nazis et une CGT puissante qui va elle aussi être une organisation de premier ordre dans la mise en place des caisses de Sécurité sociale. La généralisation de la cotisation sociale a été une réponse révolutionnaire contre la domination du capital. En effet, ce financement original permet d’orienter les dépenses pour les besoins sociaux contre le profit en mutualisant une partie de la valeur ajoutée dans des caisses dont le contrôle est donné aux travailleurs eux-mêmes ; en tout cas, c’est la volonté de l’esprit de 1945, mais à partir de 1967 la gestion se fait de plus en plus par le patronat et l’État. Les résultats du nouveau système de Sécurité sociale ont été considérables : réduction de la mortalité infantile, augmentation de l’espérance de vie quelles que soient les couches sociales notamment. La diminution de la préoccupation de l’assouvissement des besoins matériels, grâce à la Sécurité sociale, et une période de croissance économique qui a reposé aussi sur le développement des services publics et la planification économique, ont permis d’aspirer à de nouvelles perspectives : l’accès à la culture, aux loisirs, aux vacances. C’est le capitalisme monopoliste d’État qui s’impose, mais un CME social : le mode de régulation de l’économique prend alors en compte, poussé par les luttes, le développement de la consommation intérieure, le développement d’un nouveau type de progression de la productivité du travail et non plus par des économies sur le travail vivant.

            Nous connaissons aujourd’hui une nouvelle phase de la crise systémique du capitalisme. En effet, la Covid-19 n’est pas l’origine de la crise que nous vivons. Le virus a joué le rôle d’un révélateur d’une crise structurelle du capitalisme amorcée depuis plusieurs décennies par la mondialisation financière. Elle nous a rendu dépendants du reste du monde en matière de matériel médical et la production de masques. La suraccumulation du capital résulte et aggrave la course à la rentabilité financière. Celle-ci, devenue seule boussole de l’économie, a participé au détricotage des services publics de la santé, de l’éducation, des transports, etc. La Sécurité sociale a été elle aussi progressivement été mise à mal : les exonérations de cotisations sociales notamment ont pesé sur sa capacité de financement, tout comme le chômage massif depuis les années 1980. Nous avons alors dû nous engager dans un confinement durable qui a ralenti l’activité économique et qui s’est répété avec la deuxième vague de l’automne car notre système de santé n’est pas assez solide, car l’État, complice de la domination du capital, diminue le nombre de lits dans les hôpitaux, n’embauche pas massivement des soignants formés et est donc incapable de répondre aux besoins en termes de santé.

            Les réponses à la crise ne sont pas aujourd’hui celles de 1945 : le mouvement social peine aujourd’hui à imposer sa volonté face au type de développement du capitalisme et à la régularité de ses crises. Les réponses néolibérales à la crise sont au contraire, des réponses de soutien au capital, quitte à faire payer la crise aux salariés : chômage, augmentation du temps de travail sans augmentation de salaire, augmentation de l’âge du départ à la retraite, etc. Aucune aide à la Sécurité sociale et aux services publics n’a été faite : la Sécurité sociale enregistre un déficit de 49 milliards d’euros qui va donc dégrader nos droits en termes de remboursement des soins et des médicaments en ouvrant davantage le recours aux assurances privées, inefficaces, coûteuses et inégalitaires.

Pour un nouveau développement et un élargissement de la Sécurité sociale

            La Sécurité sociale doit être un outil à développer pour trouver une sortie de crise alternative au recours aux marchés financiers et à l’austérité qu’ils imposent. Pour cela, il s’agit non seulement de revenir sur les réformes régressives du système qui ont affaibli la capacité de la Sécurité sociale à répondre aux besoins, mais aussi d’en élargir la portée.

  • Dans un premier temps, il faut mettre fin aux exonérations des cotisations sociales et au recours à l’impôt comme mode de financement de la Sécurité sociale. Les exonérations de cotisations sociales ne permettent pas d’inciter à l’embauche, le chômage n’a pas baissé et est plus que jamais au centre des enjeux économiques actuels. C’est une mesure qui est non seulement inefficace mais néfaste car elle dégrade le financement de la Sécurité sociale et l’accès de tous à la protection sociale. C’est d’ailleurs la justification qui est prise par les gouvernements successifs dans la crise pour allonger l’âge de départ à la retraite et la durée de cotisation. De plus, l’État substitue progressivement le financement de la Sécurité sociale par l’impôt au financement par la cotisation. C’est notamment le but de l’instauration de la CSG « contribution sociale généralisée ». C’est un moyen de retirer aux travailleurs le contrôle sur les cotisations et les dépenses en termes de protection sociale. Il faut donc réaffirmer que l’impôt et la cotisation sociale ne sont pas des « prélèvements » interchangeables : la cotisation sociale finance les dépenses de la Sécurité sociale, maîtrisées en partie par les travailleurs.
  • Ensuite, il faut mettre en place une Sécurité sociale qui prend en charge 100 % des soins en diminuant progressivement la part des mutuelles et des complémentaires qui reste à la charge des ménages et est donc source d’inégalités.
  • Enfin, il faut revenir sur une gestion démocratique, dans l’esprit de 1945, c’est-à-dire avec une gestion exclusive par les représentants du monde du travail. Il faut donc sortir du « paritarisme » imposé en 1967 qui consiste à avoir autant de représentants du monde du travail que du patronat. Il faut également faire disparaître la mainmise de l’État sur la gestion.

Mais nous ne sommes plus en 1945 et nous ne pouvons nous contenter d’un « retour en arrière ». En effet, le système économique est en perpétuel changement et de nouveaux besoins apparaissent.

  • Dans l’immédiat, nous avons besoin de financer la Sécurité sociale, pour répondre à la détresse face à la crise sanitaire. Il faut ainsi élargir le financement en créant une nouvelle cotisation sur les produits financiers des entreprises, pour les mettre à contribution au lieu de les laisser hors de leurs responsabilités comme le fait actuellement le gouvernement en place. Il faut également mettre fin à la dette de la Sécurité sociale, avec un financement qui utilise la création monétaire de la BCE, à taux zéro voire négatif, des restructurations et des annulations de la dette.[1]
  • La lutte pour l’augmentation des salaires et de l’emploi permettrait d’augmenter les cotisations sociales plutôt que de ne penser qu’à les réduire comme c’est le cas actuellement. Non seulement cela permettrait de financer correctement le dispositif actuel, mais aussi de créer des cotisations sociales nouvelles pour financer les besoins nouveaux en termes de formation dans le cadre de la Sécurité d’emploi et de Formation par exemple.
  • La lutte pour le développement des services publics est également un enjeu d’accès à la protection sociale. Sans hôpitaux, sans médecins formés, sans recherche de santé, l’accès au soin est plus que compromis. L’efficacité de la Sécurité sociale dépend alors de la capacité de développement de ces services publics : pas seulement pour revenir à une situation antérieure plus favorable avant la suppression des lits d’hôpitaux, la fermeture de services entiers voire même d’hôpitaux, mais bien pour aller encore plus loin : accès à du matériel de pointe, formation exigeante du personnel, des hôpitaux de proximité partout sur le territoire, etc. Cela nécessite donc un développement de tous les services publics : l’Éducation, les transports, la formation, etc.
  • Nous devons enfin penser à une coordination des systèmes sociaux en Europe et à l’échelle du monde pour mettre fin à la concurrence internationale sur les systèmes de protection sociale qui tend actuellement à réduire les droits. Mais il faudra aller plus loin dans la perspective d’une construction du socialisme en Europe et dans le monde : créer des institutions qui permettent une Sécurité sociale à l’échelle européenne et mondiale qui permettraient d’associer tous les peuples pour construire des systèmes de santé et de protection sociale efficaces à même de combattre les pandémies, en harmonisant les droits de tous vers le haut.

La SEF : un projet à construire.

La Sécurité sociale et le projet de Sécurité d’emploi et de formation partagent des éléments communs et doivent ainsi se penser en articulation[2]. En effet, la SEF, ce n’est pas simplement la création d’une nouvelle cotisation pour financer la formation des travailleurs, ce projet regroupe deux dimensions qui forment un tout cohérent : mettre fin au chômage et être un levier pour agir sur les entreprises, planifier une production sociale et écologique, en développant les services publics.

            Tout d’abord, mettre fin au chômage : chacune et chacun serait soit en emploi, soit en formation, débouchant sur un emploi, meilleur que le précédent, c’est-à-dire mieux rémunéré, avec une continuité du contrat de travail et donc une sécurisation du revenu, une liberté de choix tout au long de la vie, une réduction du temps de travail, pour donner plus de temps à la vie familiale, associative, politique. La formation serait financée notamment par la création d’une nouvelle cotisation, mais aussi par des Fonds de sécurisation de l’emploi et la formation. Elle doit être un enjeu majeur de la révolution économique, sociale et écologique à laquelle nous aspirons : former des soignants, des enseignants, des ingénieurs, etc. est une priorité pour rendre le système économique efficace. Car au-delà des crises qu’il engendre, le système capitaliste est inefficace et organise un profond gâchis des ressources naturelles et humaines. La Sécurité sociale et la SEF partagent ainsi un projet commun de sécuriser les parcours individuels et collectifs en luttant contre l’insécurité face à la maladie, aux accidents, à la vieillisse, à la maternité, au chômage que met en place le capitalisme et en oeuvrant pour un système économique plus efficace. La perspective de la SEF permet néanmoins de dépasser le système de protection actuel par les allocations chômage, déjà un progrès immense en soi, mais qui n’est qu’une bouée jetée au noyé, par ailleurs bien maigre aujourd’hui quand on sait que plus de 50 % des chômeurs touchent moins de 1000 euros par mois, plutôt qu’une façon de le sortir de l’eau et d’empêcher qu’il ne replonge.

            Ensuite, mettre fin à la régulation par le seul taux de profit comme boussole de l’économie : il s’agit d’imposer une gestion de la production efficace au plan social, économique et écologique,  gérée démocratiquement en visant l’émancipation individuelle et collective. Ainsi les services publics, le bien-être de la population et de la planète deviendraient la priorité, plutôt que de laisser le chaos des marchés financiers décider. Pour cela, il faut créer des institutions à qui nous donnerions le pouvoir d’agir contre la domination du capital. Des Conférences pour l’emploi, la formation et la transformation écologique des productions permettraient à ses membres : travailleurs, associations, élus, syndicats, représentants des nouveaux services publics de l’emploi et de la formation, aux niveaux local, régional et national, de prendre des décisions sur les investissements, sur la création de formation et d’emploi, sur les décisions de recherche et surtout sur l’utilisation de l’argent. Par la maîtrise démocratique des crédits, ces institutions auraient le pouvoir de pénaliser les entreprises qui ne respectent pas les objectifs réalistes fixés : on pourrait imaginer une augmentation des taux d’intérêts voire une suppression du crédit pour les entreprises qui suppriment inutilement des emplois ou ne respectent pas les normes environnementales par exemple ou au contraire une baisse des taux pour encourager les entreprises vertueuses.

             La SEF et la Sécurité sociale ont en commun la lutte contre la domination du capital par une gestion démocratique, c’est-à-dire par le monde du travail et ses alliés, des décisions de financement, d’emplois, de formation, du développement des services publics. Le projet de la Sécurité d’emploi et de formation comme la Sécurité sociale doivent s’articuler pour œuvrer dans un même but : la réponse aux besoins et l’émancipation individuelle et collective.


[1]https://www.economie-et-politique.org/2020/11/13/faire-vivre-et-prolonger-la-securite-sociale/

[2]Pour plus de détail sur le projet de la Sécurité d’emploi et de formation, voire le numéro d’Economie et Politique consacré : « Face au tsunami du chômage : sécuriser l’emploi et la formation »