DETTE COVID : APRES LA CRISE, LA FACTURE ?

Depuis plus d’un an que notre pays connaît des périodes de confinement, de couvre-feu et des mesures plus ou moins compréhensibles de caractère administratif parfois incongru, les comptes publics se sont sensiblement détériorés.

        La dette ainsi créée affecte les comptes de l’État, ceux de la Sécurité Sociale, ceux des collectivités locales et fait plonger Pôle Emploi (et singulièrement l’assurance chômage) dans une situation inconnue.

        On parle ainsi de 17 milliards d’euros de déficit, pour une administration privée distribuant a priori entre 30 et 35 milliards d’euros d’allocations par an.

        Remarquons néanmoins que l’essentiel de ce déficit a été « pris en charge » moyennant souscription d’emprunts garantis par l’État.

        Sans parler de la situation nette comptable de certaines grandes entreprises publiques gravement affectées par le ralentissement de l’activité économique.

        Il est donc nécessaire de s’interroger sur la manière dont les choses peuvent se dérouler, une fois que se sera dispersé le brouillard des mesures d’urgence et des dispositifs dérogatoires…

QUELQUES ASSURANCES

        Ce que nous savons déjà, c’est que la « dette Covid », même déclinée entre État, Sécurité Sociale, entreprises publiques ou organismes gérant un service public, constitue une facture assez conséquente, susceptible de justifier certains choix budgétaires à venir.

        La première réponse réside dans la situation de la Sécurité Sociale qui, sans être encore tout à fait débarrassée de ses dettes antérieures, s’est retrouvée avec une Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES), lestée depuis août 2020 d’une dette potentielle de 136 milliards d’euros, représentant la somme des déficits 2020 à 2023, de la reprise de 13 Mds de dette hospitalière et d’une nouvelle affectation de dettes Sécurité Sociale encore non consolidées dans les écritures de la Caisse.

        La situation des comptes sociaux a été profondément dégradée par les mesures sanitaires prises depuis mars 2020.

        Cette dégradation doit cependant autant, sinon plus, aux pertes de recettes enregistrées par les différentes caisses de la Sécurité Sociale qu’aux dépenses nouvelles liées à la crise.

        Ainsi, ces dépenses ont été évaluées entre 11,5 et 15 milliards d’euros tandis que le déficit estimé par la Cour des Comptes s’élèverait à 44,4 milliards d’euros (au lieu de 1,9 Md en 2019).

En clair, le déficit 2020, c’est un tiers Covid et deux tiers pertes de recettes.

                Ce qui signifie clairement que le « trou de la Sécu » 2020 doit beaucoup aux pertes de recettes procédant des suppressions d’emploi, de la mise en œuvre de l’activité partielle et des reports et remises de cotisations accordés aux entreprises, singulièrement les TPE et PME, ainsi que des entreprises artisanales.

        Cette situation est appelée à se reproduire durant les années 2021, 2022 et 2023, durant la période de « remontée » du produit intérieur brut après la récession de 2020.

        Le problème c’est que la « consolidation » des déficits 2020 à 2023 ne doit pas dépasser 92 milliards d’euros, en principe, ce qui pourrait nécessiter de n’atteindre que 15 milliards d’euros de déficit par an…

        On sait déjà comment le Gouvernement entend résoudre l’affaire.

        Pour cette partie de la « dette Covid », cela passera par la prolongation de la durée de vie de la Contribution au Remboursement de la Dette Sociale jusqu’en 2033 en escomptant que le redressement relatif des comptes de la Sécurité Sociale permette d’absorber tout le passif des années 2020 à 2023.

        Pour le reste, sur mission expresse du Premier Ministre, on a constitué en décembre dernier une « commission pour l’avenir des finances publiques » dont l’objectif était de définir les voies et moyens de l’amélioration de la situation comptable de l’État d’ici 2030, commission placée sous la responsabilité d’un expert – comptable bien connu des milieux politiques, à savoir Jean Arthuis, ancien ministre, ancien rapporteur général du Budget au Sénat, ancien président de la commission des Finances de la même Assemblée, ancien maire de Château-Gontier, et défenseur acharné des intérêts des épargnants français détenteurs d’emprunts russes…

LA COMMISSION ARTHUIS, SON CONSTAT, SES IDEES

        La commission constituée autour de Jean Arthuis, par ailleurs soutien indéfectible de Macron, était paritaire, comportant autant de femmes que d’hommes.

        Mais le positif de l’affaire s’arrête là puisque, pour le reste, cette commission était constituée d’un aréopage de hauts fonctionnaires plus ou moins encore en activité (Raoul Briet, Augustin de Romanet de Beaune, Jean-Luc Tavernier par exemple), de personnes issues du milieu patronal (Laurence Parisot herself), et d’économistes bien en vue (Hélène Rey, Natacha Valla), d’anciens ministres (Marisol Touraine) et de conseillers politiques (Béatrice Weder di Mauro, Thomas Wieser).

        Pour ceux qui ne connaissent pas très bien le dernier nommé, rappelons qu’il s’agit juste de l’économiste que la Commission Européenne a recruté pour défendre ses intérêts lors de la négociation du « plan de redressement de la Grèce ».

        Pour dire les choses clairement, Thomas Wieser est l’un des concepteurs des plans de « redressement » des comptes publics qui ont saigné à blanc le peuple grec depuis dix ans…

        Autant dire qu’avec pareil équipage, nous ne risquions pas d’avoir de chauds partisans de la réforme fiscale, de l’annulation de la dette ou du changement réel des politiques publiques.

        D’ailleurs, cela n’a pas loupé.

        Les recommandations formulées par la commission Arthuis souffrent réellement d’un manque total d’imagination.

        Pour cette commission, l’annulation de la dette publique détenue par la BCE, par le biais des banques centrales nationales adhérant au SEBC (Système européen de Banques Centrales) n’est pas une bonne idée.

        Pas plus que celle de soumettre les plus riches et les plus grandes entreprises, pas nécessairement appauvries par la crise sanitaire et économique, à une forme de contribution exceptionnelle.

        La raison ? Il y a déjà trop de prélèvements obligatoires en France, notamment en matière de Sécurité Sociale, et il n’est pas possible d’aller plus loin, ce qui « nuirait à la compétitivité de notre économie ».

        (On mesure aisément, au regard de la situation vaccinale du pays, avec Sanofi incapable de produire le moindre vaccin anti Covid, à quel point cette protection de la compétitivité est essentielle)…

        On rappellera tout de même ici que Jean Arthuis, dans une vie antérieure et notamment durant l’exercice de ses fonctions parlementaires et ministérielles, fut toujours partisan de la réduction du rendement de l’impôt sur le revenu, considéré comme « trop concentré sur les hauts revenus », de l’impôt sur les sociétés, dont « la fraude était due à son taux facial élevé », de la baisse de la fiscalité locale (entendez taxe professionnelle), de l’imposition des patrimoines et de libre circulation des capitaux sur les marchés financiers.

                Il fut aussi partisan de la substitution impôts et taxes/cotisations sociales, prônant de longue date la « TVA sociale », conçue dans son esprit comme arme décisive contre les délocalisations.

        Maintenant que le Gouvernement Macron – Castex – Le Maire l’a fait, nul doute que cela lui convient.

        Outre que la commission fait l’impasse sur la prolongation de l’existence de la CRDS jusqu’en 2033 (qui va digérer l’essentiel du déficit social constaté), elle ne recommande finalement que deux grandes solutions.

        La première, c’est de modifier les conditions de la discussion budgétaire.

        En donnant un rôle renforcé au Haut Conseil des Finances Publiques qui serait, en fait, chargé de la définition stratégique globale en matière de programmation budgétaire, en fixant pour cinq ans le volume des dépenses autorisées et des recettes attendues.

        Une programmation qui engloberait autant le budget de l’État que celui de la Sécurité Sociale, dans une conception élargie y agrégeant notamment l’assurance chômage. (Tant qu’à faire).

        Cette vision de moyen terme permettrait aussi, selon la commission, de fixer un objectif de réduction du rapport entre dette publique et PIB, aujourd’hui proche de 120 %.

        Objectif de réduction tendant, de fait, à consacrer les excédents constatés à la baisse de l’encours de la dette…

        Arthuis ose présenter son projet comme un moyen de renforcer le rôle du Parlement, en ce sens que les députés et sénateurs pourraient jouer au « petit comptable de service », en faisant de leurs Assemblées respectives une sorte d’excroissance de la Cour des Comptes.

        Puisque tout cela ne vise qu’à définir une « règle d’or », tendant à la réduction des dépenses publiques, dans le cadre d’une progression moindre que celle des recettes.

        Une règle d’or renforçant entre autres les principes de révision constante des services votés, de fongibilité asymétrique (pas de hausse des dépenses de personnel à raison des économies réalisées), de maîtrise des dépenses sociales, et de renforcement du contrôle opéré sur la gestion locale, ce que l’on appelé les « contrats de Cahors ».

        Cette politique n’est, de fait, rien d’autre qu’une construction comptable, cousine de l’austérité.

        Une austérité qui motive, au moins dans les principes, toutes les politiques publiques depuis une paire d’années et, à tout le moins, depuis 1993.

        On sait où cela nous a menés…

 LES VOIES D’AUTRES CHOIX

        La réalité de la situation des comptes publics est effectivement préoccupante et on peut d’ailleurs remarquer que c’est souvent lorsque les finances publiques sont gérées par des « donneurs de leçons » qu’elles connaissent les plus grandes difficultés…

        Mais il est évident qu’il est grand temps de se demander le bien fondé (ou non) de certaines politiques publiques.

        Quand on sait par exemple que la moitié du produit de la CRDS et de la CSG se substitue, dans les comptes sociaux, aux cotisations sociales des entreprises et qu’une part importante de la TVA vient désormais compenser celles-ci, on peut s’interroger sur l’absolue pertinence de choix d’ailleurs soutenus, lorsqu’ils furent mis en œuvre, par Jean Arthuis.

        Le fait que la France ait une part plus importante de droits perçus sur la consommation que la plupart des pays de l’OCDE ne dérange aucunement les membres de la commission Arthuis.

        Bien plus préoccupés par les prélèvements sociaux, alors que ceux-ci disposent pourtant d’une évidente transparence d’utilisation…

        Le problème, c’est que les droits de consommation constituent une ponction particulièrement élevée dans le pouvoir d’achat du plus grand nombre, surtout dans une phase de contraction de la progression des salaires du privé comme des traitements dans le secteur public.

        De manière plus générale, on notera ici que la crise sanitaire et, désormais, économique et sociale que traverse notre pays, comme quelques autres sur la planète a surtout montré l’échec cinglant des politiques d’austérité qui ont désarmé, par exemple, l’hôpital et notre système de santé et continuent de l’empêcher de faire face à la pandémie Covid 19.

        Dans une publication récente, la DREES a ainsi indiqué qu’entre 2011 et 2016, les effectifs hospitaliers ont augmenté de 2,3 %, tandis que le nombre de séjours de la patientèle progressait de 3,5 %, celui des actes sans hospitalisation de 13,1 % et celui des réceptions aux urgences de 12,6 %…

        C’est-à-dire que non seulement le Plan Juppé de 1996, la loi Bachelot ou la loi Touraine ont mis l’hôpital public en surchauffe mais encouragé le développement des déserts médicaux et le recul de la médecine générale de proximité.

        On suppose très bien, également, ce que les membres de la commission trouvent à redire aux dépenses sociales et notamment à celles produites par le régime d’assurance vieillesse.

        Il s’agit bel et bien d’amener les salariés français à consentir de se constituer une épargne retraite personnelle, pour compléter une « retraite Sécu » de plus en plus chiche.

        Et offrir ainsi, sur la longue durée, des capitaux toujours plus importants pour les gestionnaires de fonds.

        Mais on se doute aussi que Jean Arthuis et sa commission n’aiment rien moins que la réduction de la dépense publique.

        Sans doute aurait-il été bienvenu que la commission se posât quelques questions sur la ligne de partage entre dépenses budgétaires directes et dépenses fiscales.

        Les premières, pour ce qui concerne l’État, sont de longue date sur une dynamique de réduction et de contraction.

        Les secondes croissent et embellissent et génèrent de fait une bonne partie des déficits constatés.

        Au regard du rendement réel de l’impôt sur les sociétés par exemple, cela prend chaque année des dimensions importantes.

        En 2020, année de crise profonde, la différence dépasse les 30 milliards d’euros, nonobstant certaines mesures ayant à voir avec la « mécanique de l’impôt ».

        Nous savons, avec la Cour des Comptes, que les exonérations de cotisations sociales coûtent 66 milliards d’euros sans que l’on puisse définir leur utilité du point de vue de la création d’emplois…

        En décembre 2012, lors du vote de la loi instaurant le crédit d’impôt compétitivité emploi, notre pays comptait 5,6 millions de demandeurs d’emploi.

        En décembre 2020, alors que le CICE a été « pérennisé » par Macron, le nombre de privés du droit au travail est passé à 6,78 millions.

        C’est donc par une relance de la dépense publique directe, raisonnée, intelligente, à la conception partagée avec l’ensemble des corps de la société (il est grand temps de rétablir la démocratie sociale pour une Sécurité Sociale efficace) que nous en sortirons.

C’est précisément une des missions que s’assigneraient des conférences locales, régionales et nationale pour l’emploi, la formation et la transformation productive et écologique Des projets d’embauches dans les services publics et de développement de leurs moyens d’action y seraient discutés, élaborés, adoptés et contrôlés dans leur réalisation. Un fonds alimenté par la création monétaire de la BCE et des banques centrales nationale qui, avec elle, forment l’Eurosystème, apporterait les financements nécessaires à la réalisation de ces projets, sous forme de prêts à taux zéro ou d’avances non remboursables.

Baisser la part de la dette en comparaison du produit intérieur brut (si tant est qu’on accordât la moindre valeur à cette manière de faire), c’est aussi et surtout créer les conditions d’une croissance nouvelle faisant varier le paramètre production dans une acception plus écologique et plus responsable.