Retraites : les mensonges du gouvernement

Catherine Mills
maîtresse de conférences honoraire à l’université de Paris – Sorbonne

Faute de majorité à l’Assemblée, le gouvernement a osé recourir à la procédure de l’article 49-3 de la Constitution pour tenter d’imposer une réforme refusée par une énorme majorité du pays, alors qu’un mouvement social inédit anime la rue. Pour notre part, outre notre mobilisation contre cette réforme destructrice, nous avançons à la fois des critiques de fond de l’argumentaire du pouvoir en présentant notre contre-argumentaire et surtout des propositions alternatives pour une autre réforme.

Le pouvoir martèle que sa réforme répondrait à l’urgence de préserver notre système de retraite par répartition !

Il proclame que « laisser accumuler les déficits serait irresponsable ». Le ministre de l’économie Bruno Le Maire brandit le chiffre d’un déficit de ce régime de 13,5 milliards d’euros de déficit en 2030. Or selon le Conseil d’orientation des retraites (COR), le déficit du régime d’assurance–vieillesse varierait de 0,5 points de PIB à 0,8 en 2032, il ne valide pas l’idée d’une dynamique non contrôlée des dépenses de retraite. Il faut rappeler que c’est le gouvernement qui, dans le pacte de stabilité de juillet 2022 transmis à la Commission européenne, s’est fixé comme objectif le retour à des comptes publics normalisés, une fois la crise sanitaire passée ; aussi le déficit public devrait revenir sous le seuil de 3 % du PIB en 2027. En même temps, il maintient la suppression de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) réclamée par le patronat malgré son coût pour les finances publiques (4,3 milliards  en moins). La réforme de retraites contribuerait à la maîtrise des dépenses publiques, en réalité les économies sur nos retraites permettraient de financer les réductions des prélèvements sur les entreprises. Tandis que le pouvoir macronien déclare qu’on ne peut pas augmenter les cotisations, afin de réduire les prélèvements obligatoires et notamment les cotisations sociales des employeurs. Mais ce refus de financer nos retraites par répartition conduira les salariés qui le peuvent à souscrire des régimes de retraite par capitalisation. Les fonds de pension seront eux les grands gagnants.

Le recul de l’âge légal de départ en retraite à 64 ans prétendu indispensable, en prétendant assurer la pérennité financière du système de retraite (article 7)

Le gouvernement Macron clame que la pérennité financière du régime de retraite serait menacée par le vieillissement de la population qui fragiliserait notre système par répartition en faisant baisser le rapport entre le nombre de cotisants et le nombre de retraités. Il oublie que c’est le chômage qui le fait baisser. Il invoque même l’accroissement de l’espérance de vie, qui aurait pu être considéré comme une bonne nouvelle, mais comme le montrent les travaux des démographes, on assisterait à un ralentissement de cette progression. Et surtout il faudrait considérer les inégalités sociales considérables d’espérance de vie, particulièrement pour l’espérance de vie en bonne santé. Selon l’INSEE, les 5 % des Français les plus riches vivent bien plus longtemps que les 5 % les plus pauvres (13 % de plus pour les hommes et 8 % pour les femmes). Dans le projet Macron, l’âge légal serait relevé de 3 mois par an dès septembre 2023 pour atteindre 64 ans en 2030 contre 62 aujourd’hui. La réforme Macron inscrit dans la durée le principe d’un allongement de la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Celle-ci était relevée d’un trimestre tous les 3 ans jusqu’à 2035 pour atteindre 172 trimestres, soit 43 ans pour les générations nées en 1973 et suivantes. Le pouvoir accélère la réforme Touraine de 2014, un palier serait franchi dès 2027 pour la génération 1965. Tous les salariés vont devoir travailler davantage, même ceux qui exercent des métiers pénibles, et bénéficient de dispositifs dérogatoires comme les catégories actives de la fonction publique (agents de police, sapeurs-pompiers professionnels, contrôleurs aériens, etc.). Ils devront travailler au moins jusqu’à 59 ans contre 57 ans aujourd’hui. Déjà les réformes précédentes des retraites ont fait reculer l’âge effectif de la retraite plus vite que l’augmentation de l’espérance de vie. Ainsi les Français passent moins de temps à la retraite. Toutes ces réformes ont organisé la paupérisation de nombreux retraités. Elles ont programmé le ralentissement de la part des retraites dans le PIB, selon les scénarios du COR, en 2070, elle oscillerait entre 12,1 % et 14,7 % soit un niveau proche ou inférieur à leur part actuelle. Cette « réforme » va jouer sur le recul de l’âge légal de 62 ans à 64 ans et sur l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour avoir une retraite à taux plein. On commencerait par la génération 1961 qui ne pourrait plus partir avant 62 ans et 3 mois. Ce serait le retour aux années 1970 où la retraite était à 65 ans. Alors que la gauche au pouvoir en 1982 avait porté l’âge de la retraite à 60 ans en 1982. Trois quarts des Français s’opposent actuellement aux 64 ans.

Justice ? La chimère d’une pension minimale de 1 200 euros bruts minimum. « Quand c’est flou c’est qu’il y a un loup ». Cela concernerait seulement les carrières complètes ! (Article 10)

La réforme gouvernementale prétend revaloriser la pension des salariés, artisans et commerçants, etc. qui ont cotisé toute leur vie professionnelle au SMIC. La pension pour une carrière complète cotisée au smic ne pourra être inférieure à 85 % du Smic net (au lieu de75 % aujourd’hui) soit près de 1 200 euros par mois dès cette année. Il faudra préciser qu’il s’agit du SMIC brut, en net cela fera 1 150 euros, au-dessous du seuil de pauvreté. Cela représenterait au mieux 100 euros de plus par mois de pension par rapport à ce qu’ils perçoivent actuellement. Mais pour pouvoir en bénéficier, il faudra avoir eu une carrière complète. 70 % des personnes vivant avec moins de 1 000 euros de retraite, ont des carrières incomplètes et ne pourront pas en bénéficier. Parmi les 5,7 millions de retraités pauvres, 1,8 millions seulement pourraient avoir droit à une revalorisation, et cela serait étalé dans le temps Cette mesure serait étendue aux anciens retraités, à la demande des parlementaires LR, mais aussi de certains dans la majorité présidentielle, de nombreux syndicats. Mais le financement de cette mesure pose question. Le gouvernement estime qu’elle coûterait 1 milliard d’euros, en réalité le plan de financement n’est pas bouclé. Les employeurs verraient leur taux de cotisation vieillesse augmenter de 0,1 % ce qui rapporterait 800 millions d’euros à l’horizon 2027, en revanche leur taux de cotisation à la branche ATMP (accidents du travail et maladies professionnelles) serait réduit d’autant, ce qui est grave si on prétend s’attaquer à la pénibilité du travail. Le gouvernement prétexte que cette branche est excédentaire, ce qui résulte en réalité de la sous-déclaration des accidents du travail et de leur insuffisante couverture. Cette branche gérée paritairement subit elle-aussi la montée de l’étatisation de la Sécurité sociale qui permet au pouvoir de piocher dans cette caisse, les 800 millions qui lui sont enlevés vont manquer pour la prévention.

Le mécanisme pour parvenir aux 1200 € brut s’ajouterait au minimum contributif de la CNAV. Celui-ci ne s’applique qu’à la retraite de base et permet actuellement de l’augmenter jusqu’à 684 euros brut par mois pour ceux qui ont cotisé moins de 120 trimestres au régime général. Il atteint 747,57 euros par mois pour ceux qui ont cotisé au moins 120 trimestres, soit plus de 30 ans de travail, hors maladie, maternité ou chômage. Avec la réforme les pensionnés concernés toucheraient 25 euros de plus de la pension de base et 75 euros de la complémentaire soit en tout 100€ de plus. Mais pour ceux qui n’auraient pas toutes les annuités, le montant versé serait calculé au prorata de la durée d’assurance dans chaque régime. Or 7 pensionnés sur 10 bénéficiant aujourd’hui d’une allocation inférieure à 1000 euros ont des carrières incomplètes.

Combien de personnes seraient concernées par les 1200 euros ? Selon le gouvernement, la mesure d’une pension à 1 200 euros brut, 1 150 net, pour les personnes ayant « cotisé toute leur vie avec des revenus autour du SMIC », étendue aux retraités actuels, concernerait 1,8 million de personnes. Le coût de la mesure est estimé à 1,1 milliard d’euros.  La DREES, (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques) estimait en 2022, que 39 % des retraités de droit direct résidant en France bénéficiaient d’un minimum de pension, soit 6,4 millions de personnes. Ceux qui seraient concernés par la mesure ne toucheront pas tous 100 euros brut de plus sur leur pension mensuelle. Loin de là. « Vous dire que ça représente 10.000, 20.000, 30.000 personnes, je ne le sais pas », a dit le ministre du Travail Olivier Dussopt. Quelques dizaines de milliers par an mais impossible de donner un chiffre exact car il changera chaque année d’après le ministre. Pourquoi de 1,8 million de personnes, on passerait à quelques dizaines de milliers de retraités. L’étude d’impact transmise par le gouvernement en janvier apportait cette précision. « La réforme conduira à augmenter de 100 euros le montant du MICO (minimum contributif) majoré, via une hausse de 75 euros et une augmentation du MICO de base de 25 euros, de sorte à garantir une pension brute équivalente à 85 % du SMIC net aux assurés partant à la retraite à compter du 1er septembre 2023, et justifiant d’une carrière complète cotisée à temps plein au SMIC ». Ainsi seuls ceux qui reçoivent le MICO majoré, à carrière complète au salaire minimum et à temps complet, pourront bénéficier des 100 euros supplémentaires. 80.000 retraités par an ? Les bénéficiaires du MICO majoré qui n’ont pas effectué une carrière complète ne recevront pas les 100 euros, tandis que ceux qui perçoivent seulement le minimum contributif de base ne toucheront que 25 euros. Sont donc exclus de la promesse des 1200 euros brut par mois, les retraités qui ont eu une carrière hachée (qui n’ont pas les 120 trimestres de cotisation) ainsi que ceux qui ont travaillé longtemps au SMIC mais à temps partiel. Ce qui représente une large majorité de retraités concernés. Fin 2022, 4,7 millions de retraités de droit direct recevaient le MICO, majoré et non majoré, dont une majorité de femmes, selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse. D’après l’Institut des politiques publiques (IPP), seuls 32,7 % des bénéficiaires du Mico avaient cotisé plus de 30 ans en 2016. Il estime que moins de 10 % des nouveaux retraités seraient potentiellement concernés par l’augmentation maximale de 100 euros (soit environ 80.000 retraités par an) et au mieux un quart des bénéficiaires actuels du minimum contributif. Mais cette évaluation dépendrait des conditions de cotisations que le gouvernement doit définir plus tard par décret.

Le minimum contributif ne doit pas être pas confondu avec l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), connue sous le nom de « minimum vieillesse » avant 2006. La revalorisation d’environ 100 euros évoquée par le gouvernement ne concernera pas toutes les petites retraites. L’ASPA concerne les personnes ayant très peu ou pas cotisé à un régime de retraite. Depuis le 1er juillet 2022, son montant maximum attribué par mois pour une personne seule est de 961 euros. Si ce montant a été augmenté, il reste toutefois inférieur au seuil de pauvreté. Celui-ci, fixé à 60 % du niveau de vie médian, correspond à 1 102 euros par mois pour une personne seule. Fin 2020, un peu plus de 635 000 personnes étaient bénéficiaires d’une allocation ASPA.

Le projet de loi prétend que la revalorisation annoncée profiterait aux femmes, mais selon l’INSEE, en 2016, 49 % des femmes retraitées avaient une carrière complète pour 75 % des hommes. Donc cela maintiendra voire accélèrera les inégalités hommes- femmes, car parmi les basses retraites, les femmes sont loin d’avoir une carrière complète. Cela ne résoudra donc pas le problème des toutes petites pensions, c’est un miroir aux alouettes !

Une réforme essentielle pour les femmes ? En réalité, les femmes seront davantage pénalisées !

Elles sont davantage pénalisées que les hommes par le recul de l’âge de départ en retraite. Pour la génération 1980, les hommes travailleraient 4 mois supplémentaires contre 8 mois pour les femmes. Élisabeth Borne ose se féliciter du maintien de l’âge du taux plein automatique à 67 ans, notamment pour les femmes. Or aujourd’hui déjà ceux-celles qui partent à 67 ans bénéficient d’une pension à taux plein sans décote même s’il leur manque des trimestres. Les femmes sont deux fois plus nombreuses à en « bénéficier » : 19 % de la génération née en 1950 contre 10 % des hommes, en raison de parcours plus accidentés, notamment arrêts de carrière pour élever des enfants. On présente comme un progrès ce qui relève du statu quo : de nombreuses femmes devront attendre 67 ans pour pouvoir souffler… avec bien peu. Cette réforme n’est absolument pas favorable aux femmes. Nous proposons de supprimer la décote plutôt que de maintenir les inégalités de classe et de genre. Or le projet gouvernemental ne contient aucune mesure pour lutter réellement contre les inégalités de genre en matière de retraite et de travail. En moyenne, les retraites des femmes restent inférieures de 40 % aux retraites des hommes, en raison de carrières incomplètes, des inégalités sur le marché du travail.

Le texte annonce aussi la possibilité pour les femmes de bénéficier du dispositif carrières longues, celles qui ont commencé à travailler tôt, pourraient comptabiliser des trimestres supplémentaires au titre du congé parental pour partir plus tôt à la retraite. Mais cela ne devrait concerner que 3 000 femmes chaque année, moins de 1 % des femmes partant à la retraite chaque année.

Départs anticipés et carrières longues (article 8)

Le projet de loi affiche que ceux-celles qui ont commencé à travailler tôt pourraient partir plus tôt. On adapterait le dispositif pour accompagner le recul à 64 ans de l’âge légal de départ en retraite. Le mécanisme dit carrières longues créé en 2003 permet à ceux-celles qui ont cotisé suffisamment de trimestres avant leurs 16 ans ou 20 ans, de liquider leurs droits de manière anticipée, à 58 ans ou à 60 ans dans le régime actuel. Avec la réforme Macron, les personnes éligibles devront attendre 60 ans ou 62 ans, sauf pour celles qui ont commencé à travailler avant 16 ans qui pourront partir à 58 ans. Pourtant ce n’est ni juste ni plus lisible contrairement à ce que déclare Élisabeth Borne. En effet, on entérine un allongement de la durée du travail pour ceux-celles qui ont commencé à travailler tôt et exercent souvent des métiers difficiles et éprouvants. Dans le nouveau système, un ouvrier du BTP qui travaille depuis l’âge de 18 ans devra rester en emploi pendant 44 ans, davantage que la durée de cotisation désormais prévue à 43 ans de cotisation pour bénéficier d’une retraite à taux plein. Le gouvernement nuance en disant qu’aucune personne qui a commencé à travailler tôt ne sera obligée de travailler plus de 44 ans ! Une annonce prétendue adoucissante : les périodes de congé parental seront prises en compte dans le calcul des carrières longues, davantage de Français seraient concernés par le dispositif (125 000 en 2021).

Emploi des seniors : de fausses promesses. On prétend donner toute leur place aux seniors, alors que c’est la triple peine pour les seniors (article 2).

Le taux d’emploi des seniors (55-64 ans) atteint selon l’OCDE 56,8 % en France contre 62,6 % dans la zone euro. La moitié des salariés ne sont plus en emploi quand ils prennent leur retraite. Les employeurs ont souvent tendance à se débarrasser des seniors considérés comme trop coûteux, pas assez malléables ou à les mettre au placard. La première ministre déclare que les freins à l’embauche et au retour à l’emploi des seniors doivent être levés. Or, le seul dispositif prévu par la réforme est la création d’un index que les entreprises rempliraient, afin de valoriser les bons élèves et à stigmatiser les autres. Les seules sanctions prévues concerneraient les entreprises qui refuseraient de publier ces indicateurs et non celles qui maquilleraient leurs chiffres ou qui se débarrasseraient des seniors. Les sanctions envisagées seraient une amende de 1 % de leur masse salariale au maximum, ce qui est ridicule. La liste des indicateurs contenue dans l’index est reportée à un décret ultérieur. Cela pourrait concerner le taux des salariés âgés dans les entreprises, des actions de formation pour les maintenir dans l’emploi.

Le gouvernement fait le pari que le recul de l’âge de la retraite augmentera mécaniquement le taux d’emploi des seniors (âgés de 53 à 69 ans), mais les seniors les plus éloignés de l’emploi ne seront pas miraculeusement embauchés après la réforme.

Première peine : deux ans de plus à travailler. Ceux qui ne sont plus en emploi verront s’allonger la période entre emploi et retraite.  Les NER : seniors ni en emploi, ni en retraite, ne perçoivent ni pension de retraite, ni revenu d’activité, ils sont 1,4 millions actuellement selon la Drees. Ils seront plus nombreux. Ce sont des travailleurs rejetés par le marché du travail, et aussi éjectés de l’assurance chômage depuis la dernière réforme de l’assurance chômage, en majorité des femmes, qui n’ont pas suffisamment cotisé pour partir à la retraite. Ils iront où ? Au RSA ? Déjà aujourd’hui, leur taux de pauvreté atteint 32 % près de 5 fois plus que les seniors en emploi ou à la retraite, cela s’aggravera avec la réforme Macron.

Deuxième peine : on prétend encourager les entreprises à faire plus de place aux seniors, sans précision. Il est vaguement déclaré que l’index avec des données chiffrées servirait à une négociation annuelle sur ce sujet. Aucune pénalité pour les entreprises sauf une pénalité ridicule pour celles qui ne publieraient pas les indicateurs. La liste de ces indicateurs est reportée à un décret.

Troisième peine. Les personnes nées entre 1961 et 1966 vont prendre de plein fouet l’accélération du calendrier de la réforme Touraine de 2014, puisqu’on va augmenter le nombre d’années cotisées à 43 annuités pour bénéficier d’une retraite à taux plein. En outre, la facilitation du cumul emploi-retraite ou la mobilisation du compte de temps universel pour aider aux transitions professionnelles, ainsi que la retraite progressive, sont la loi du travailler plus.

La reconnaissance de la pénibilité du travail en souffrance (article 9)

Le parcours du combattant sera allongé de deux ans, on ose dire que ce serait « un projet de justice qui protège de l’usure professionnelle ». On déclare améliorer le C2P (compte professionnel de prévention) en prétendant ouvrir la possibilité de partir plus tôt à la retraite à des salariés au maximum 2 ans avant l’âge légal, à condition qu’ils aient suffisamment de points, attribués en fonction de leur exposition aux différents facteurs de pénibilité. Mais ce dispositif a été torpillé sous le premier quinquennat Macron en 2017, qui a supprimé 4 critères sur les 10 (exposition aux agents chimiques dangereux, manutention de charges, postures pénibles et vibrations mécaniques) sur demande du patronat. Au lieu de les réintroduire, la réforme Macron propose seulement d’abaisser les seuils d’exposition au travail de nuit et au travail en équipes successives alternantes. On prétend permettre à 60 000 salariés de bénéficier du C2P tous les ans. Mais le chiffre est dérisoire au regard du nombre de travailleurs exposés à la pénibilité soit 2,9 millions selon la DARES, dont seulement 1,9 million bénéficiaires du C2P. On exclut notamment les salariés qui souffrent de troubles musculosquelettiques (86 % des salariés). Dans la réforme Macron, les plus exposés pourraient faire valoir leurs droits à 62 ans au lieu de 60 ans aujourd’hui. En outre, les critères de pénibilité demeurent individualisés, donc difficiles à faire valoir. Certes, le gouvernement envisage de réintroduire dans le C2P, 2 des 4 critères qu’Edouard Philippe avait supprimés en 2017 : port des charges lourdes et postures pénibles, après consultation médicale. L’exposition aux vibrations mécaniques et aux agents chimiques dangereux reste exclue. Certes, pour le travail de nuit, on réduirait la reconnaissance de la pénibilité de 120 à 100 nuits travaillées. On promet des améliorations du C2P pour qu’il permette la reconversion professionnelle, via un congé formation. Un Fonds d’un milliard d’euros sur le quinquennat actuel, soit seulement 250 millions par an, financerait avec les employeurs, des actions de prévention (sensibilisation, aménagement de poste, reconversion). Ces améliorations affichent faciliter le financement de la prévention de l’usure professionnelle, mais ce serait à négocier à l’échelle des branches. Elles devraient aussi concerner de façon préventive ceux qui sont actuellement exclus du C2P, dont nous proposons qu’il soit étendu. Il faudra s’assurer que ces mesures permettent effectivement une augmentation du taux de recours. La pénibilité n’est pas une question individuelle : selon la CGT, 2,7 millions de salariés sont exposés à l’un des agents chimiques cancérigènes, 10,7 millions subissent des contraintes physiques marquées, 4,8 millions connaissent des rythmes de travail atypiques, près de 1 sur 10 doit travailler de nuit. Soit 13,5 millions de salariés exposés à au moins un de ces critères. En réalité les seuils d’exposition fixés sont tellement élevés qu’à peine plus d’1,5 million de salariés ont un C2P et que 2 000 à 3 000 personnes seulement peuvent faire valoir leurs droits à la retraite anticipée chaque année pour 20000 éligibles.

Mise à mort des régimes spéciaux

Après la réforme de la SNCF, le gouvernement s’attaque aux nouveaux embauchés à la RATP, à la branche électrique et gazière (IEG), à la Banque de France, au CESE, aux clercs et employés de notaire. Ces salariés seront affiliés au RG pour la retraite, en affichant tenir compte de leurs spécificités, sans précision. Ces régimes seront fermés pour les agents recrutés à compter du 1er septembre 2023. Pour les autres, notamment les salariés actuels des régimes spéciaux, le décalage progressif de 2 ans de l’âge légal et l’accélération de la réforme Touraine s’appliqueront. Ces systèmes, qualifiés d’archaïques selon le ministre du travail Olivier Dussopt, sont les seuls à reconnaitre la pénibilité, avec des anticipations de départ à 57 ans et demi et des bonifications pour travaux pénibles. Mais le nombre d’agents partant aujourd’hui plus tôt que l’âge légal est plus faible qu’on ne le dit : 23 % dans les IEG. La reconnaissance de la pénibilité varie suivant les métiers (travail de nuit, exposition dangereuse). De plus, un agent cotise 13 % de son salaire contre 10 % pour les salariés du privé. La fin de ces régimes pourrait entrainer une perte d’attractivité, au moment où ces secteurs ont du mal à recruter. En outre pour les énergéticiens, l’équilibre est atteint, pour la Banque de France, les comptes sont excédentaires, la caisse de réserves enregistre une provision de 15 milliards d’euros. Ces annonces sont un coup dur pour les salariés jusqu’ici alignés sur le régime de la fonction publique. La réforme aura pour effet de baisser fortement leurs pensions. L’objectif est de niveler par le bas tous les régimes de retraite. (Article 1).

En conclusion,

si Élisabeth Borne affiche que sa réforme serait démocratique car menée dans la concertation, qui aurait permis, selon elle, des améliorations du texte, il s’agit pour l’essentiel d’un discours unilatéral, les prétendues améliorations sont tellement maigres que cette dite réforme aboutit à une intersyndicale et un mouvement social inédit, avec un fort soutien de la population.