Bruno Odent
Les impérialismes de la Russie comme des États-Unis et de leurs vassaux atlantistes nourrissent une course aux armements qui assèche les investissements si cruciaux pour le développement et le climat, ne profitent qu’aux oligarques fabricants d’engins de mort de tous les pays et menacent l’humanité jusque dans son existence. Il est temps d’amplifier les résistances et le combat pour la paix, en s’appuyant opportunément sur les initiatives avancées par la Chine et le « Sud global ».
Rayonnant, la soixantaine bien en chair, il agite la cloche symbolique à l’ouverture de la bourse des valeurs de Francfort, ce 20 mars au matin. Son groupe vient de faire une entrée triomphale dans le club le plus prisé du capitalisme allemand, le Dax 30, aux côtés des Volkswagen, Siemens et autre Bayer. Armin Papperger, le patron de Rheinmetall, fabricant des chars d’assaut Leopard, d’autres véhicules blindés, des obus et munitions vendus en kit, exulte. Avec une action que s’arrachent les « investisseurs » en ce printemps 2023, une valorisation boursière du titre qui a quasiment doublé en l’espace de quelques mois à 10 milliards d’euros, et des profits 2022 en hausse de 20 %, l’oligarque allemand figure parmi les plus grands profiteurs européen de la guerre déclenchée un peu plus d’un an auparavant par Vladimir Poutine. L’envoi de ses chars Leopard 2 sur le front, à la demande insistante des plus ultras d’un camp atlantiste en pleine ascension dans les capitales européennes et au sein du monde politique allemand, l’a propulsé en haut du podium.
Côté russe, les dirigeants de Rosneft, cet immense complexe militaro-industriel, fruit d’un vaste partenariat public/privé, ont toutes les raisons, eux aussi, de célébrer l’explosion des profits réalisés grâce à la guerre et la perspective de les démultiplier. La seule issue possible étant « une victoire », théorisée, et par Moscou et par Kiev, à l’unisson avec ses puissants parrains occidentaux, dans la perspective du lancement d’hypothétiques « offensives de printemps ».
Oleg Demchenko, l’un des principaux oligarques du secteur de l’armement russe, est promis à des affaires toujours plus juteuses grâce à la production en série d’avions de combats de type Soukhoï SU-30. Le multi milliardaire possède un modeste pied à terre de vacances de quelques millions d’euros à Saint-Jean-Cap-Ferrat sur la côte d’Azur française. Il n’a jamais été inquiété jusqu’ici dans ses prérogatives de propriétaire ou d’homme d’affaires par les autorités françaises ou européennes pourtant engagés avec les États-Unis dans un programme de sanctions économiques réputé draconien contre de multiples entreprises russes.
Si les voies des saigneurs de guerre semblent parfois impénétrables, la divergence entre leurs prospérités manifestes et l’accentuation partout des souffrances populaires se laisse, elle, très facilement repérer.
La prospérité macabre des oligarques de l’armement
L’oligarque allemand, Armin Papperger, a bénéficié de tous les relais d’un consensus « pro-guerre » au sein des médias européens et des partis allemands en faveur de la fourniture d’armes lourdes à l’Ukraine. Il est devenu l’invité de marque, en février 2023, de la conférence de Munich sur la sécurité.
A l’occasion de ce grand happening destiné à mettre en scène la montée en puissance de l’Alliance atlantique dans la guerre par procuration qu’elle livre à la Russie, le patron de Rhein Metall ne s’est pas contenté de faire la promotion de ses chars et de ses équipements les plus sophistiqués. Aux côtés des dignitaires de l’OTAN, il s’est impliqué en faveur de la livraison à Kiev d’avions de combat et de missiles longue portée, capables de toucher le territoire russe en profondeur. Ce qui serait la seule clé, selon la propagande de guerre de l’Alliance et son allié ukrainien, capable d’ouvrir la voie vers une défaite écrasante de Moscou si ardemment désirée. Moyennant quoi il est fait très bon marché de la réaction d’une puissance nucléaire russe acculée à la défensive.
Comme une sorte de couronnement de cette implication toujours plus forte de l’OTAN, Papperger a présenté à Munich le projet d’un gros investissement en Ukraine même dans une usine, pour y fabriquer jusqu’à 400 de ses chars dernier cri, de type Panther, par an.
Illustration de ce besoin d’expansion et de destructions, comme de conquête de nouveaux territoires, d’accaparement de matières premières que porte le capitalisme, la mobilisation économique de Rhein Metall est lourde des fuites en avant guerrières les plus insensées. Elle accentue le danger que le conflit ne dégénère en une troisième guerre mondiale entre superpuissances nucléaires. Pourtant, la montée au front du géant allemand de l’armement et des chars d’assaut fut ou bien ignorée, ou bien banalisée par la plupart des médias de ce côté-ci du Rhin, très complaisants avec les surenchères des stratèges de l’OTAN.
Un scénario identique se dessine en Russie où les poids lourds du complexe militaro-industriel bénéficient, eux aussi, de toutes les complaisances. L’oligarque Oleg Demchenko, réputé très proche de Poutine, a ses entrées au Kremlin et fonctionne, de fait, comme l’un des co-pilotes de l’économie de guerre russe. La production des avions de combat Soukhoï, des chars et des munitions y afférant, s’intensifie. Elle constituait déjà, avant-guerre le second poste d’exportations russes derrière le gaz et le pétrole. Elle est devenue encore plus névralgique aujourd’hui pour l’approvisionnement d’une armée chargée de protéger ou d’étendre les zones d’influence d’un capitalisme russe en crise. Après avoir tout misé sur des logiques de rentes minières, après avoir pratiqué des méthodes de prédation de la nature et du travail humain des plus drastiques, il ne voit plus que dans une fuite en avant impérialiste le seul moyen de reconquérir la puissance nationale perdue. Mais la société souffre, le nombre de citoyens passés sous le seuil de pauvreté ne cesse de croître.
Une course aux armements record
Cette danse macabre des oligarques des économies de guerre russe et « occidentales » s’inscrit dans une funeste dynamique générale qui se paye au prix fort pour les peuples. Elle nourrit en effet une course aux armements au niveau global qui stérilise des milliers de milliards de dollars, d’euros, de yens, de yuans ou de roubles. Les investissements devenus si crucialement indispensables pour le développement des femmes et des hommes pour l’emploi, l’éducation, la formation subissent un asséchement général. Quant aux déficits des engagements pourtant cruciaux pour l’humanité, en faveur de ces biens communs que sont l’énergie, l’environnement ou le climat, ils se font de plus en plus béants.
Les dépenses d’armement ont connu une poussée globale jamais atteinte à plus de de 2 113 milliards de dollars (2 000 milliards d’euros) en 2022 selon le SIPRI (l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm). À titre de comparaison, l’organisme relève qu’au plus fort de la guerre froide, dans les années 1980, ces dépenses avoisinaient les 1 500 milliards de dollars en prix et taux de change comparables. Et une nouvelle accélération spectaculaire est en marche en 2023. Les États-Unis et leurs quelque 800 bases réparties sur le globe en alimentent la plus grande part. Responsables déjà de près de 40 % des dépenses mondiales d’armement, ils ont prévu de porter leur budget militaire à 858 milliards de dollars cette année. Soit une augmentation de 8 %.
Les « partenaires » européens de l’OTAN se sont alignés sur cette tendance à la flambée des dépenses d’armement, comblant d’aise le président Joe Biden. La Maison-Blanche a en effet clairement annoncé son intention de propulser l‘Alliance comme auxiliaire de sa politique étrangère pour défaire la Russie, et en arrière-plan, beaucoup plus sérieusement, la Chine. Devenue seconde économie mondiale, celle-ci est présentée comme un dangereux rival, « un concurrent systémique pour les démocraties » que Washington veut rassembler derrière lui. Le développement chinois et les ambitions de Pékin de faire évoluer l’ordre international vers une plus grande multipolarité, sont devenus les principales cibles stratégiques.
Berlin aux avant-postes de la militarisation
L’Allemagne a pris les devants de ce réaménagement ultra-atlantiste désiré. Après s’être montrée réticente pendant des années aux injonctions répétées de l’OTAN ou de Washington pour qu’elle augmente ses dépenses militaires qui ne dépassaient guère 1,3 % de son PIB en 2020 (contre une norme de 2 % exigée par l’Alliance), elle a enclenché le turboréacteur du surarmement. Son chancelier Olaf Scholz a proclamé un « changement d’époque (Zeitenwende) » (1). Un budget supplémentaire exceptionnel de 100 milliards d’euros a été adoptée en 2022 pour l’armée fédérale allemande, la Bundeswehr. Et des commandes massives ont été aussitôt passées auprès des seuls fabricants états-uniens.
Oligarque de toute première catégorie parmi les oligarques du secteur, James D. Taiclet, patron de Lockheed Martin, en a tiré le gros lot. Berlin lui a acheté 35 chasseurs bombardiers furtifs F 35 pour remplacer les Tornados vieillissants de son armée et se mettre en capacité de remplir la mission dite de « partie-prenante nucléaire » (nukleare Teilhabe) qui oblige, « au cas où… » l‘armée allemande à transporter sur zone les bombes atomiques états-uniennes, entreposées en Rhénanie-Palatinat sur la base de Büchel, à quelques encablures de la Lorraine française. Dave Calhoun, le patron de Boeing, s’octroie l’autre grosse part du gâteau. L’avionneur US va livrer 60 gros hélicoptères de transport Chinook à la Bundeswehr.
Airbus et les marchands d’armes européens n’auront que des miettes. Au grand dam des champions tricolores du secteur comme du président Macron qui ambitionnait de faire de la France et de ses industries militaires l’incontournable pilier d’une « Europe de la défense ». Ce projet est présenté volontiers comme permettant d’assurer une « autonomie stratégique européenne». Ce qui le rendrait, martèle cependant l’Élysée, « mieux complémentaire de l’OTAN ». Autrement dit : il constitue une version très alignée, mais concurrente du super-atlantisme derrière lequel Berlin, qui va disposer de la plus grande force armée du Vieux continent, cherche désormais à emmener le reste de l’UE. Avec la complicité d’autres États-membres d’Europe orientale ou de la Baltique et singulièrement de Varsovie, recordman européen de la flambée des dépenses d’armement.
Quoi qu’il en soit de ces divergences européennes, Paris, qui figurait déjà parmi les meilleurs élèves de la classe atlantiste avec des dépenses militaires programmées pour atteindre les 2 % de son PIB en 2025, a donné, lui aussi, un grand coup d’accélérateur. Emmanuel Macron a annoncé en janvier 2023 que le budget de la prochaine loi de programmation militaire allant de 2024 à 2030 allait passer à 413 milliards d’euros, soit une augmentation de 30 % et de plus de 100 milliards d’euros sur la période précédente (2019-2025).
Des peuples allemand et français en résistance à l’austérité
Cette flambée des dépenses militaires dans les deux principaux pays de l’UE ne peut qu’être associée à un tour de vis supplémentaire pour les dépenses publiques et sociales. C’est dire combien le niveau de l’austérité déjà programmée par Berlin et Paris va encore s’accroître. Cette tendance heurte de plein fouet les résistances sociales en pleine ascension de part et d’autre du Rhin en ce printemps 2023. En parallèle, les mouvements français contre le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans et allemands pour des hausses de salaires de plus de 10 %, en particulier dans les services publics. Des affrontements de classe majeurs occupent ainsi le devant de la scène quand les premiers refusent d’abandonner deux ans supplémentaires de leur vie aux appétits du capital et les seconds se battent contre la diminution de leurs salaires réels amputés par l’inflation. Le président du syndicat allemand des services VerDi, Frank Verneke (2), relève la proximité de ces combats engagés de part et d’autre du Rhin contre les exigences de rentabilité de financiers pourtant largement co-responsables, avec la guerre, du surgissement l’inflation.
L’argument drapé dans la drôle de morale de la propagande de guerre, invoquant des sacrifices supplémentaires pour mieux doter les armées et fournir toujours davantage d’armes lourdes aux Ukrainiens, ne passe pas vraiment la rampe. Il est particulièrement malmené en Allemagne où demeure un mouvement pacifiste vivace, porté par Die Linke, qui refuse de se soumettre au consensus atlantiste. Dans l’analyse du conflit, ce parti n’entend gommer ni la responsabilité majeure d’un Poutine, ni celle de l’impérialisme des États-Unis. Il fait observer, à juste titre, que Washington n’a pas lésiné depuis trois décennies sur l’expansion de son champ d’influence, y compris militaire. N’agit-il pas, en flagrant délit de forfaiture au regard des engagements passés, à la chute du mur de Berlin, auprès des ex-autorités soviétiques ? Les diplomates dépêchés par Washington avaient alors, en effet, ratifié des documents où ils promettaient de ne pas étendre le périmètre de l’OTAN au-delà de l’Elbe vers les frontières russes (3).
La dévastatrice illusion d’une victoire militaire
La course à l’abîme d’un troisième conflit mondial se nourrit de l’illusion d’une possible victoire militaire sans appel, cultivée dans les mots d’ordre officiels du Kremlin comme dans ceux du camp ukraino-atlantiste. Sous la pression de Washington et de l’OTAN, les capitales européennes s’y sont ralliées, y compris Paris, même si Emmanuel Macron y met quelques nuances quand il affirme qu’il faudrait veiller à « ne pas humilier la Russie». Tout le monde s’en tient à un soutien militaire accru à Kiev et affiche sa résignation à une guerre qui dure dans l’attente d’un changement de rapport de forces militaire sur le terrain. Avec son corollaire : une désertion des efforts de médiation qui a autant pour conséquence la prolongation des souffrances du peuple ukrainien qu’une potentielle escalade vers l’apocalypse nucléaire.
La diplomatie chinoise est la seule à rompre avec la partition guerrière diffusée par Washington et Moscou. La publication en février 2023 d’un plan en 12 points définissant les principes d’un règlement du conflit constitue une initiative internationale remarquable pour les pacifistes comme pour tous ceux qui souhaitent un retour à la raison, une avancée vers un cessez-le-feu préalable à une négociation, plutôt qu’une accélération des productions de chars d’assaut et d’avions de combat.
Le plan chinois en appelle à un règlement sous égide des Nations Unies dont il rappelle, à bon escient, certains des principes fondamentaux, comme la souveraineté inviolable de ses États-membres. Il bannit tout recours à l’arme nucléaire ou même à la menace de son utilisation. Ce qui constitue autant de messages sans ambiguïté à l’égard de Poutine. Pékin refuse, en même temps, de lâcher la Russie, soucieux, d’évidence, de préserver une entente avec Moscou pour ne pas donner les moyens à Washington de profiter d’un effondrement russe qui lui permettrait de parfaire un « endiguement militaire » déjà redoutable de la République populaire (4).
Ce réveil d’une diplomatie chinoise, plutôt discrète jusqu’alors, a pu ébranler quelque peu les schémas stratégiques européens. En dépit des contrefeux bricolés, à la hâte, par Washington et ses vassaux les plus atlantistes, s’insurgeant contre de potentielles livraisons d’armes de la Chine à la Russie, avec cependant un degré de crédibilité voisin de zéro. Au lendemain d’une visite d’État à Pékin, Emmanuel Macron est allé, lui-même, jusqu’à susciter beaucoup d’émoi en prenant des distances avec un suivisme des États-Unis sur la question de Taiwan.
Les BRICS mobilisés pour la paix et contre l’hégémonie du dollar
Le tournant de cette fracassante entrée en scène de la Chine sur la scène diplomatique internationale a été d’autant plus efficace qu’il a bénéficié du soutien des pays dits du « Sud global ». Dès le G20 de Bali à la mi-novembre 2022, le président chinois Xi Jinping s’attira l’attention et le soutien de ses partenaires du Sud en mettant en avant le besoin d’une avancée diplomatique pour faire cesser le conflit. Les « émergents » payent en effet un tribut très lourd à une guerre en Ukraine qui a fait flamber les prix de l’énergie et des denrées alimentaires de base, dopant une inflation déjà élevée avant même le déclenchement du conflit. D’où l’aspiration à un retour au calme rapide, en particulier parmi ceux qui ne disposent d’aucune ressource en hydrocarbures.
L’intérêt des pays émergents pour la paix et leur refus de s’aligner sur les surenchères de Washington et de Moscou constituent de puissants marqueurs de l’ampleur de la crise de confiance qui s’est fait jour dans leurs relations économiques avec le Nord et singulièrement avec les États-Unis. Depuis un peu plus d’un an, les hausses de taux d’intérêt pratiquées par la Réserve fédérale, la banque centrale états-unienne, sont à l’origine d’enchaînements délétères pour tous les pays en développement : inflation de plus de 90 % en Argentine, de 55 % en Turquie, dévaluations en chaîne, surendettement, flambée des coûts du crédit qui assèche les investissements dans les domaines les plus basiques comme la santé, l’énergie, l’eau ou l’alphabétisation.
Au Brésil du président Lula, la banque centrale n’a-t-elle pas fait grimper, sous pression des hausses de taux de Washington, le loyer de l’argent à un niveau quasi dissuasif à… 13,75 % en janvier 2023 ? De quoi barrer la route à toute politique expansive du crédit, pourtant indispensable, aux yeux du chef de l’État de gauche nouvellement élu, pour redresser le pays et lutter contre une pauvreté redevenue endémique.
Et il ne doit rien au hasard que le même président brésilien ait décidé de passer à l’offensive, et sur le plan de la paix, et sur celui de la suprématie du dollar qui mine le développement du Sud.
Sur le front ukrainien, il s’est associé très démonstrativement, lors d’une longue visite à Pékin à la mi-avril, aux efforts diplomatiques chinois en appelant les principaux protagonistes, la Russie comme les États-Unis et l’Europe, à « cesser d’encourager la guerre » et à œuvrer « pour la paix dans l’intérêt du monde entier. »
Sur le roi dollar, Brasilia et Pékin dénoncent, au même moment, l’attitude du FMI qui étrangle des pays déjà en difficultés quand l’institution financière internationale sous influence de Washington « conditionne, disent-ils, comme en Argentine », ses aides financières à de funestes coupes dans les dépenses publiques et sociales.
Quant à l’émancipation du billet vert, Lula et les dirigeants chinois veulent aller vite et loin en usant d’un outil radical. Ils ont mis sur les rails le lancement concret d’un projet déjà antérieur des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud), portant sur la création d’une monnaie commune pour échapper à cette suprématie du dollar qui donne aux États- Unis le pouvoir exorbitant de siphonner l’épargne mondiale et d’influer partout à leur guise, via la Fed, sur l’orientation des politiques économiques.
La New Development Bank, la nouvelle banque de développement créée par les cinq puissances, a reçu le mandat de présenter un dossier concret sur la réalisation de cette monnaie commune d’ici le prochain sommet de l’organisation en août en Afrique du sud. À sa tête vient d’accéder l’ex-présidente brésilienne Dilma Roussef, elle-même économiste. L’attrait du projet est tel dans le « Sud global » que toute une série de pays se disent déjà prêts à rejoindre les BRICS et leur initiative monétaire. De l’Algérie à la Turquie en passant par l’Égypte et l’Indonésie jusqu’au Mexique et l’Argentine. D’obédiences politiques parfois très éloignées, ils ont un dénominateur commun : ils souffrent l’enfer aujourd’hui à cause de l’hégémonie du dollar.
Une illustration de la maturité des propositions communistes
L’irruption de ce débat illustre la maturité de la proposition portée aujourd’hui par les communistes français, sur la base de la réflexion et des travaux de l’économiste Paul Boccara. Lequel fut le premier à formuler la nécessité d’instaurer une monnaie commune mondiale qui permette d’échapper aux diktats du dollar et des Etats-Unis. Fondée sur le développement et la coopération et non plus sur la loi du plus fort des marchés financiers elle permettrait de répondre aux besoins d’investissements si massifs et si globaux de l’humanité. Les dispositions existantes sur l’émission de Droits de tirages Spéciaux (DTS) du FMI pourraient appuyer une première réalisation concrète de cette nouvelle monnaie mondiale commune, appelée à évoluer sous la seule égide de l’ONU. De quoi se donner des moyens pour surmonter les défis économiques, sociaux ou environnementaux majeurs auxquels le monde est confronté et dont la résolution est devenue si cruciale pour la survie même de l’espèce (5).
Il est encore bien trop tôt pour spéculer sur le contenu que les BRICS veulent donner à leur propre projet d’union monétaire. Les écueils sur le chemin d’une telle entreprise sont nombreux : La nouvelle devise destinée à stimuler les échanges entre BRICS et au-delà va-t-elle fonctionner comme une sorte de grande zone yuan pour se prémunir d’une logique de blocs à laquelle s’emploie Washington quand il invoque le « découplage » d’une Chine décrétée ennemi public numéro un ? Les BRICS vont- ils avoir l’audace d’aller plus loin et d’avancer un projet à vocation universelle ? Rien n ‘est encore écrit mais la question promet de tarauder le débat public. Surtout si d’autres acteurs, dans l’Amérique latine progressiste qui entend lancer sa propre monnaie commune, ou en Europe, avec les communistes français, se mêlent de ce débat en montrant son lien avec les besoins de ruptures globales auxquels l’humanité est si urgemment confrontée.
Ce combat-là est complémentaire, voire indissociable, de celui pour la paix auquel les militants du PCF sont viscéralement attachés quand ils refusent l’escalade dans la guerre programmée par l’OTAN et par Moscou, quand ils proposent de quitter l’Alliance atlantique et ses surenchères militaires pour répondre vraiment au défi de l’organisation d’une sécurité collective, à l’échelle de l’Europe et de la planète. Pour que cesse la funeste prospérité financière des oligarques de l’armement de tous pays.
Le retour de la diplomatie, la proclamation d’un cessez le feu puis l’entrée dans une processus de paix en Ukraine passent par la convocation d’une conférence européenne incluant la Russie. Le salutaire précédent de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) avec la mise en œuvre de « la détente » en lieu et place de l’escalade, au summum pourtant de la guerre froide au début des années 1980, doit être prolongé et élargi dans une dimension inédite.
Il en va de cet indispensable système international de sécurité collective, comme d’une monnaie commune mondiale de coopération et de développement. Tous deux répondent aux urgences absolues auxquelles est confrontée aujourd’hui l’humanité
- Voir Bruno Odent, « Berlin en marche pour un changement d’époque ultra-atlantiste », Économie et politique n° 814-815, mai-juin 2022.
(2) in L’Humanité du 29 mars 2023.
(3) Révélations dans le Spiegel daté du 18 février 2022 d’un document d’archive où les ministres des affaires étrangères des Etats-Unis, de France, du Royaume Uni et d’Allemagne s’engageaient en 1991 auprès de leur homologue soviétique « à ne pas étendre l’OTAN au-delà de l’Elbe ».
(4) Le texte du plan chinois en 12 points est disponible sur le site de L’Humanité : https://www.humanite.fr/monde/chine/ukraine-le-plan-de-paix-avance-par-pekin-en-12-points-784188
(5) Paul Boccara, « Les perspectives ambivalentes d’une Banque et d’un Fonds des BRICS pour une autre construction de la mondialisation », Économie&Politique, n° mai-juin 2014 http://www.economie-politique.org/59512