Le nouveau défi américain

[achevé de rédiger le 12 avril 2021]

L’économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), Gita Gopinath, souligne dans un avant-propos aux « Perspectives Economiques mondiales », rendues publiques le 4 avril dernier[1], que la reprise mondiale accélère, « mais dans un monde rendu de plus en plus contradictoire par des trajectoires de croissance désynchronisées, et par un creusement des inégalités ».

Elle alerte, en particulier, sur les « défis colossaux posés par des reprises qui divergent à la fois à l’intérieur des pays et entre eux, ainsi que par les dégâts persistants » engendrés par la pandémie et la profonde récession mondiale dont elle a précipité la survenance et accru la profondeur en 2020, hors la Chine notamment. Dans ce contexte, les États-Unis mettent le monde entier sous pression avec une relance sans précédent d’un nouveau type, pour dominer.

Reprise mondiale à plusieurs vitesses

Le FMI prévoit, désormais, une reprise plus forte en 2021 et 2022 que dans ses précédentes projections[2] : la croissance mondiale atteindrait 6 % en 2021 et fléchirait à 4,4 % en 2022, contre 5,5 % et 4,2 % antérieurement. Mais, à la différence de celle initiée en 2009 par une forte relance chinoise, ce sont les États-Unis qui cherchent à mener la danse.

Mais l’écho renvoyé s’annonce différent, alors même que remontent les prix du pétrole et des matières premières, tandis que surviennent des pénuries comme dans les microprocesseurs ou en matière de logistique.

Dans les régions, comme dans les différentes catégories de pays selon leur revenu, des « reprises à plusieurs vitesses » sont engagées. Cela tiendrait aux contrastes entre les programmes de vaccinations contre la Covid-19, à l’amplitude très variable des moyens de soutien économique ayant pu être mobilisés par chaque État, et à des facteurs, notamment la dépendance à des secteurs comme le tourisme.

L’ampleur du soutien monétaire et fiscal de l’activité a été sans précédent en temps de paix. Le FMI a calculé que les seules mesures fiscales adoptées par les pays du G-20 se seraient élevées à 12 700 milliards de dollars (6 % du PIB en 2021), auxquels il faudrait rajouter désormais un plan d’investissement récemment annoncé par le Président des États-Unis de 2250 milliards de dollars.

Ce soutien massif, assorti de baisses de recettes, a creusé les déficits et les dettes publics à des niveaux inédits partout. En 2020, les déficits globaux moyens ont atteint 11,7 % du PIB pour les pays riches, 9,8 % pour les pays émergents et 5,5 % pour les pays en développement à faible revenu. La dette publique moyenne atteint 97 % du PIB à l’échelle mondiale[3].

L’effort est donc colossal mais son efficacité sociale pose des questions d’autant plus lourdes qu’il va falloir le financer. Or, pour l’heure, c’est sur les marchés financiers que les États et zones régionales rivalisent pour se procurer les fonds prêtables.

La monnaie gâchée pour la finance

Les conditions financières risquent donc de se resserrer, notamment dans les pays émergents, en particulier si les pays avancés s’engagent dans un effort de « normalisation » des politiques économiques. Un contexte financier plus difficile pourrait alors engendrer des sorties massives d’investissements de portefeuille et mettre en difficulté certains pays émergents, compte tenu de leurs immenses besoins de financement cette année[4].

Cette expansion considérable pour contenir la déflation a été rendu possible par un soutien sans faille des banques centrales : elles ont réduit les taux directeurs et acheté massivement des obligations souveraines (mais aussi d’entreprises), achats sans lesquels les États n’auraient pas pu riposter à la pandémie du fait d’une envolée des taux d’intérêt à long terme. Au contraire, ils sont même devenus négatifs pour les emprunteurs les mieux notés.

Le bilan des principales banques centrales (Fed, BCE, Banque du Japon et Banque populaire de Chine) est passé de 20 000 milliards de dollars, juste avant la pandémie, à 29 000 milliards en février 2021, alors qu’il ne se montait qu’à 5 000 milliards de dollars fin 2007[5].

Mais, avant-même la pandémie, la période avait été aussi marquée par une envolée de l’endettement des grandes sociétés qui ont profité des faibles taux d’intérêts pour racheter leurs actions et accroitre les dividendes ou faire des opérations financières [6].

L’arrivée des vaccins a enflammé le pari d’une reprise forte et durable des profits. Cela se traduit par des flambées boursières qui, contradictoirement[7], marchent de pair, pour l’heure, avec une remontée des taux d’intérêt et une réappréciation des risques d’inflation. Cela, alors que le chômage hypermassif, l’insuffisance des revenus salariaux et celle des services publics continuent d’entraver dangereusement la demande mondiale où la concurrence fait rage.

Les États-Unis veulent mener la danse…

Parmi les pays les plus riches, les États-Unis devraient dépasser le niveau de PIB qu’ils connaissaient avant la pandémie. Selon les projections du FMI, les États-Unis connaîtraient une croissance de 6,4 % cette année et 3,5 % en 2022. Mais beaucoup d’autres, en particulier en Europe, ne devraient retrouver leur niveau pré-Covid qu’en 2022. En zone euro, le PIB ne croitrait que de 4,4 % en 2020 et 3,8 % en 2021.

La Chine, qui avait retrouvé son niveau de PIB pré-pandémie dès 2020, enregistrerait, cette année, une croissance de 8,4 % et de 5,6 % en 2022. Mais nombre de pays émergents ou en développement n’y parviendraient pas avant le courant 2023.

On peut donc s’attendre à une accentuation des écarts de niveau de vie et d’activité entre nombre de pays européens et les États-Unis, d’une part, et entre les pays en développement et les autres, d’autre part.

Car les dégâts sont d’ores et déjà immenses. Le FMI estime que les pertes de production cumulées de 2020 et 2021, relativement aux projections pré-pandémie, représentent 20 % du PIB par habitant en 2019 dans les pays émergents et en développement (hors Chine). Dans les pays avancés, elles devraient s’établir à 11 %.

Ces disparités s’observent aussi à l’intérieur de chaque pays avec l’explosion du chômage, de la précarité et de la pauvreté touchant les travailleurs jeunes et les moins qualifiés, les femmes, sans parler des étudiants.

Rappelons que 2020 a été une année noire pour l’emploi mondial, malgré les dispositifs de chômage partiel en Europe. Selon l’OIT, 8,8 % des heures de travail dans le monde ont été perdues (par rapport au quatrième trimestre 2019), l’équivalent de 255 millions d’emplois à temps plein. Cela représente quatre fois le nombre des heures perdues pendant la crise de 2008[8].

Or, on sait que la pandémie a été l’occasion pour nombre d’entreprises d’accélérer le recours aux technologies informationnelles et au télétravail qui, sous exigence de rentabilité financière, accroissent les économies de travail au détriment de l’emploi, des masses salariales et du temps libre des salariés.

Mais, alors qu’en Europe une troisième vague de la pandémie de Covid-19 contraint les États à réintroduire des restrictions pesant sur l’activité, les marchés financiers volent de records en records, surtout aux États-Unis après les eaux basses de mars 2020[9].

Ainsi, à la différence de l’épisode de crise de 2007-200, l’actuel n’a entrainé, pour l’heure, aucune menace pour la « stabilité financière mondiale », l’inflation boursière redoublant. Et ce sont les États-Unis qui sont en pole-position, cette fois-ci, la Chine veillant à contenir tout risque de surchauffe sans rien céder de ses acquis.

…au-dessus du volcan

Le retour à la situation pré-pandémie est encore assez lointain voire illusoire. Selon le FMI, « la réaffectation des ressources pour s’adapter à la nouvelle donne pourrait être plus marquée que lors des recessions précédentes et peser sur la croissance de la productivité à l’avenir (..) malgré une croissance plus forte que prévu à mesure que l’économie mondiale se remet du choc de la Covid-19, la production mondiale devrait être inférieure aux projections d’avant la pandémie d’environ 3 % »[10] .

Autrement dit, les tensions vont s’accentuer sur le partage de la valeur ajoutée mondiale. Or, les hausses boursières, accompagnant cette fois-ci le relèvement des taux d’intérêt à long terme, malgré le contrôle des Banques centrales, et les anticipations d’inflation des prix des biens et services exigent une vive et durable hausse des profits. Et cela, en contradiction avec la nécessité absolue de se préoccuper plus, malgré tout, du facteur humain, via en particulier les enjeux de l’emploi, des services publics (santé, éducation…), des infrastructures et de l’écologie dans chaque pays comme à l’échelle mondiale.

Peut-être que cette contradiction est devenue si explosive qu’elle rendrait nécessaire un certain desserrement des contraintes devenues folles de la compétition fiscale entre les États paupérisés par l’optimisation des multinationales et des grands gérants de portefeuilles. Est-ce cela que pourrait indiquer la proposition, formulée par la secrétaire américaine au Trésor, de fixer un seuil minimal de 21 % pour taxer les bénéfices réalisés en dehors des États-Unis par des firmes américaines, et par là même de taxer au moins à ce taux les bénéfices des sociétés du monde entier ? Après tout, n’est-ce pas aux États-Unis que le bâtiment qui sert de siège au pouvoir législatif, le Capitole, a été pris d’assaut par des émeutiers ?

On peut alors penser que vont grandir, dans chaque pays, les antagonismes sociaux et, entre les États, les rivalités pour la localisation de la valeur ajoutée et l’attraction des capitaux financiers.

La reprise mondiale à l’œuvre est donc extrêmement contradictoire, inégale et, de fait, dangereuse, y compris avec les risques de krach financier jusqu’ici contenus.

Le FMI alerte sur la fragilité de ces processus, le besoin de « coopération internationale » et sur le risque d’une « aggravation des troubles sociaux (…) en particulier dans les pays où les progrès sur les plans social et politique sous-jacents sont au point mort et où la crise a mis en lumière ou exacerbé des problèmes préexistants »[11].

Un « nouveau paradigme » ?

Une fois élu, le nouveau Président a annoncé deux plans engageant des masses considérables de financement sur plusieurs années qu’il a présentés comme procédant d’un « nouveau paradigme ». Il place sous pression le reste du monde.

Le premier, baptisé « plan de sauvetage américain » (American Rescue Plan) comprend des aides totalisant 1900 milliards de dollars, soit environ 9 % du PIB[12].

Les ménages, en particulier ceux à faibles revenus, en sont les premiers bénéficiaires, avec des aides totalisant plus de 900 milliards de dollars : versements directs de 1 400 dollars pour chaque personne gagnant moins de 75 000 dollars par an et les couples mariés gagnant moins de 150 000 dollars , prolongement du complément hebdomadaire d’allocation chômage de 300 dollars, crédits d’impôt liés aux enfants, aides pour la santé, pour le paiement des loyers/crédits immobiliers, aides alimentaires, etc..

On note aussi un soutien de 350 milliards de dollars aux collectivités infra-fédérales, 220 Milliards d’aides au secteur de l’éducation et 140 milliards à la lutte contre la pandémie.

En revanche, contrairement aux précédents plans de soutien, l’aide aux entreprises est plus limitée et plus ciblée (restaurateurs, transports, prêts garantis aux TPE, etc…).

Ce troisième programme de lutte contre les effets de la pandémie, après deux plans totalisant 3100 milliards de dollars adoptés sous Trump, devrait avoir un impact sur le déficit concentré sur 2021 avec des dépenses estimées à 1 100 milliards, le reste étant réparti jusqu’à 2031.

Les États-Unis, sont en effet contraints de commencer à panser dans l’urgence les profondes plaies occasionnées dans le tissus sanitaire, social, culturel, infrastructurel et écologique par les politiques conduites de Reagan à Trump, jusqu’au bord de la guerre civile. Ils sont contraints de tenter de relancer la demande interne ligotée par le chômage et la faiblesse des services publics.

Mais ils sont aussi contraints d’essayer de refaçonner l’offre monopolisée par de gigantesques groupes dont la domination devient accablante, aussi outre-Atlantique, avec le prélèvement de rentes formidables, une destruction du tissu de PME et un freinage de l’innovation. Cette offre se heurte, de plus, à des goulots d’efficacité dus à l’état déplorable des infrastructures publiques et sociales, à l’insuffisance de formation, à la dégradation de l’environnement, à l’état de l’espace public, à la criminalité…

Tout cela a contribué à faire chuter l’efficacité du capital de 0,6 % entre 2000 et 2007, de 0,4 % entre 2007 et 2019 et de 6,4 % entre 2019 et 2020. Aussi, l’an dernier, la productivité globale des facteurs a-t-elle plongé de 1,7 %, malgré une progression de 2,5 % de la productivité apparente du travail[13]. De quoi inquiéter nombre de capitalistes dans le pays le plus capitaliste du monde !

Précisément, un deuxième plan d’investissement massif, dévoilé le 31 mars dernier par J. Biden, vise à accroître la productivité globale et l’attractivité du site national de production.

Ce projet de 2 250 milliards de dollars d’investissement sur huit ans, s’intitule « The American Jobs Plan« . Il a été pensé dans le contexte d’une forte rivalité stratégique avec la Chine et face au besoin d’attirer massivement les capitaux, y compris parce que « les États-Unis doivent être leaders » en matière climatique[14]. Il comprend un volet industriel important mais également un volet social significatif[15]

Un premier volet de 620 milliards de dollars porte effectivement sur la rénovation des infrastructures publiques et sociales mais prévoit également un coup de pouce aux véhicules électriques.

Un second volet, de 650 milliards de dollars, porte sur l’amélioration des lieux de vie. Un troisième, de 580 milliards de dollars, est tourné vers l’industrie américaine. Un quatrième, enfin, est constitué d’une enveloppe de 400 milliards de dollars à destination des plus âgés et des plus vulnérables,

Fait remarquable, le financement sera assuré essentiellement par une augmentation de 21 % à 28 % du taux d’imposition des entreprises, sachant que le taux d’imposition minimal des activités à l’international passerait de 13 % à 21 %.

On peut mesurer aussi l’ambition intégratrice d’union nationale de ce plan quand on lit, parmi ses objectifs officiels, qu’il « veillera à ce que nos travailleurs soient formés pour des emplois bien rémunérés de la classe moyenne de l’avenir. Il veillera à ce que l’argent des contribuables américains profite aux familles qui travaillent et à leurs collectivités, et non aux multinationales ou aux gouvernements étrangers »[16].

Certes, il faut encore que ce plan arrive à être voté par le Congrès, ce qui n’est pas du tout assuré, tant les Républicains demeurent arrimés au modèle Reagan-Trump.

S’affiche ainsi une volonté nouvelle de tenter de transformer la façon dont le capital doit chercher à faire plus de profits en Amérique, pour continuer de dominer le monde, du fait de l’exacerbation de toutes les dimensions de la crise systémique et en écho à ce qui est devenu le défi chinois. D’où une course de vitesse dans la conjoncture.

L’Europe et le monde sous pression

L’annonce même de ces plans, se conjuguant avec une accélération des vaccinations, a donné un vif coup de fouet à la conjoncture américaine.

L’indice PMI manufacturier américain IHS Markit s’est établi à 59,1 en mars 2021, soit le deuxième plus haut taux d’activité des usines jamais enregistré[17]. L’expansion globale a été soutenue une hausse des commandes nouvelles sans précédent depuis juin 2014, y compris à l’exportation, même si la production a été freinée par des pénuries d’approvisionnement. Les attentes en matière de production se sont renforcées pour atteindre le deuxième niveau le plus haut depuis plus de six ans.

Cependant, les pressions inflationnistes se sont intensifiées, les coûts augmentant au rythme le plus rapide depuis une décennie et les entreprises les répercutant partiellement sur leurs clients avec la plus forte augmentation des frais de production depuis que l’enquête existe.

L’indice PMI des services américains IHS Markit, corrigé des variations saisonnières, s’est inscrit à 60,4 en mars, contre 59,8 en février[18]. Selon C. Williamson, économiste en chef des affaires chez IHS Markit, « la récente poussée de la croissance du secteur des services ne montre aucun signe de baisse, (..) les enquêtes PMI indiquent que l’économie a progressé à un rythme annualisé d’environ 5 % ».

Bref, la confiance semble revenir et suscite des frottements. Mais qu’en est-il de l’emploi ?

En mars, le nombre total d’emplois non agricoles a augmenté de 916 000. Mais si le taux de chômage officiel (6 %) marque une baisse notable par rapport à son sommet d’avril 2020 (14,7 %), il demeure supérieur de 2,5 points de pourcentage à ce qu’il était en février 2020.

Le nombre officiel de chômeurs (9,7 millions) a donc continué de baisser en mars, mais demeure supérieur de 4 millions à celui de février 2020. Il faut noter l’ampleur du chômage de longue durée (27 semaines ou plus) qui, à, est en hausse, lui, de 3,1 millions sur février 2020.Les chômeurs de longue durée (4,2 millions) représentaient 43,4 % du nombre total des privés d’emploi.

Le nombre d’ employé.e.s à « temps partiel subi » (5,8 millions) est supérieur de 1,4 million à celui de février 2020, tandis que les personnes non comptées comme chômeurs et qui veulent actuellement un emploi (6,9 millions) est en hausse de 1,8 million sur un mois.

C’est dire si le volant de chômage demeure considérable Outre-Atlantique, ce qui permet à nombre d’observateurs de relativiser les tensions inflationnistes à l’œuvre, du fait du poids toujours considérable de ce facteur déflationniste.

Ce pourrait être là la marque d’une dévalorisation conjoncturelle de capital qui, aux États-Unis, aurait pu être plus prononcée qu’en Europe, en liaison avec une législation du travail beaucoup moins protectrice.

Cependant, le taux d’utilisation des capacités de production outre-Atlantique en mars (73,8 %) est, certes, remonté depuis le creux de juin 2020 (64,8 %), mais il a reculé par rapport à février (75,6 %) et demeure très inférieur à sa moyenne de 77,4 % enregistrée de mai 2019 à mars 2020.

Cette reprise va propulser, dans l’immédiat, les importations américaines et donc le déficit commercial, ce qui laisse ouverte la relance du protectionnisme, en tout cas vis-à-vis de la Chine, les pénalités vis-à-vis de l’Europe ayant été pour une part suspendue.

La hausse des taux d’intérêt à long terme, malgré le contrôle de la FED, et la hausse de l’inflation peuvent-elles interrompre cette reprise rapide, alors que, pour l’heure, les indices de Wall-Street engrangent des performances records ?

Tout semble se passer comme si la FED restait de marbre devant ces signaux. Le 17 mars, dans une conférence de presse, J. Powell, président du conseil des gouverneurs, a déclaré : « Si nous voyions les anticipations d’inflation dépasser nettement le seuil de 2 % nous ferions, bien sûr, en sorte de mener une politique monétaire permettant de nous assurer que cela n’arrivera pas. Nous nous sommes engagés à ancrer les anticipations d’inflation à 2 %, ni nettement au-dessus, ni au-dessous de 2 % »[19].

Beaucoup va donc dépendre des entrés nettes de capitaux à long terme aux États-Unis, alors même que, pour la première fois l’an dernier, la Chine a accueilli plus d’investissements directs étrangers que les États-Unis en 2020 (163 milliards de dollars contre 134 milliards).

Les États-Unis ont enregistré un excédent du compte de capital et financier de 106,3 milliards de dollars en janvier 2021, après 8 milliards en décembre 2020. Dans le même temps, les investissements en obligations étrangères ont diminué de 49 milliards de dollars nets en janvier, comparativement à 20,7 milliards de dollars le mois précédent[20].

Sans doute la hausse des taux d’intérêt à long terme et les anticipations de forte hausse des profits vont-elles améliorer ses performances. Mais elles demeurent prisonnières de la marge de relèvement des taux longs que peut se permettre la Fed et de la confiance des investisseurs étrangers dans la réussite des plans Biden.

On peut relever une certaine préoccupation de Washington, puisque, pour la première fois, les États-Unis, en prévision d’une réunion du G-20, se sont montrés d’emblée favorables à une nouvelle émission de 500 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux (DTS)[21], la monnaie du FMI dont ils ont toujours tenté d’entraver l’essor, y voyant un rival du dollar. Cela se fera bien sûr au nom de l’aide à apporter aux pays pauvres, mais, en pratique, cette manne monétaire viendra renforcer les réserves des pays les plus riches, à proportion des parts qu’ils détiennent dans le FMI, les États-Unis arrivant loin devant. Redistribueront-ils ensuite aux pays les plus en difficulté et lesquels ?

La Chine et la Russie freinent beaucoup leurs achats de dollar depuis 2010 et le Japon continue d’y participer périodiquement. Donc, beaucoup va dépendre de ce que va faire la Chine, deuxième détentrice de bons du Trésor US en ce domaine, mais aussi du soutien qu’accorderont les États, la BCE et les investisseurs européens.

L’Union européenne et la zone euro sont confrontées à un dilemme. La BCE est contrainte de laisser à très bas niveau ses taux directeurs et de racheter massivement des obligations d’État, alors que la croissance demeure handicapée par une troisième vague Covid, tandis que que le plan de relance de 750 milliards d’euros prévus pour y faire face demeure embourbé dans un bras de fer entre pays membres. Celui-ci, pour la première fois, va faire appel ponctuellement à des emprunts communautaires sur les marchés, en rivalité fédéraliste donc avec les besoins d’emprunt américains.

L’Europe espère pouvoir bénéficier de la croissance américaine, via les exportations. Mais cela d’accentuer l’hétérogénéité entre les pays du nord, l’Allemagne en particulier, et ceux du sud, dont la France. Et cela sans parler des divergences à l’intérieur de chacun de ces pays.

Les « alliés » européens sont directement placés sous pression par les plans Biden et les perspectives américaines de croissance, ce qui pourrait se traduire par une hausse des sorties de capitaux vers les États-Unis et le besoin d’une intervention plus forte de la BCE, y compris pour contrôler la hausse des taux longs.

Mais Washington compte faire plier tout le monde en poussant ses partenaires et ses rivaux aux limites, à la fois par une politique beaucoup plus interventionniste à l’extérieur au nom de la défense de « l’Amérique des valeurs » et du « camp de la démocratie », et à la fois en bénéficiant du fait que pour l’heure, il n’y a pas de monnaie commune mondiale alternative au dollar. Ce qui en souligne le besoin.


[1] PEM : « Reprise : des situations divergentes à gérer », avril 2021. www.ifm.org.

[2] PEM : « Mise à jour des perspectives économiques mondiales », janvier 2021., www.ifm.org.

[3] FMI : Moniteur des finances publiques, avril 2021.

[4] FMI : « Prévenir l’accumulation de facteurs de vulnérabilité », Rapport sur la stabilité financière dans le monde, avril 2021.

[5] Yardeni E. and M. Quintana:” Central Banks: Monthly Balance Sheets”, Yardeni Research, INC., April 9, 2021,        

( www.yardeni.com ).

[6] Fin 2019 déjà, les sociétés non financières du monde entier ont dû rembourser ou refinancer une dette obligataire d’entreprise de 4 400 milliards de dollars en 3 ans. Il s’agit là d’un montant record de 32,4% de l’encours total des obligations de sociétés, contre environ 25% il y a dix ans (OCDE).

[7] Quand les taux d’intérêt montent, les indices boursiers, traditionnellement, reculent et inversement.

[8] COVID-19 : Observatoire de l’OIT – 7e édition –  www.ilo.org .

[9] Ainsi, le S&P 500, l’indice des 500 plus grandes sociétés américaines cotées, a franchi la barre des 4 000 points le 1er avril. Jamais, depuis sa création en mars 1957, il n’avait grimpé aussi haut, euphorisé par l’annonce d’un second plan de relance aux Etats-Unis et une accélération forte des vaccinations. Mais ce phénomène s’est produit aussi en Europe, en France notamment où l’abîme se creuse encore plus en réel et financier.

[10]  Das S. & P. Wingender: “Slow-Heading Sears: The Pandemic’s Legacy”, IFM Blog, 31 mars 2021, blogs.imf.org.

[11] FMI, Op.cit. p.15.

[12] Nazarova S. : « Etats-Unis : un plan de sauvetage au-delà des attentes », Perspectives, N° 21/084, 16 mars 2021.

[13] US Bureau of Labor Statistics: “Multifactor Productivity Trends – 2020” 23/03/2021, ( www.bls.gov ).

[14] Interview de J. Kerry au journal Le Monde, 14-15 mars 2021.

[15] Les Echos investir – 09/04/2021 ( investir.lesechos.fr ).

[16] The White House : American Jobs plan” ( www.whitehouse.gov).

[17] IHS Markit U.S. Sector PMI: “Output growth driven by financial services and technology in March”, 5 April 2021.

[18] IHS Markit U.S. Services PMI™:” Fastest rise in business activity since July 2014 as new order growth reaches six-year high”, 5 April 2021.

[19] Cité par De Vijlder W. : « Etats-Unis : lire dans les pensées de la réserve fédérale », Eco Week 21-11 :22 March 2021.

[20] tradingeconomics.com.

[21] Une nouvelle émission de cet actif de réserve international est similaire à l’impression par une banque centrale de monnaie, car les nouveaux DTS donnent à chaque membre du FMI plus de réserves à utiliser proportionnellement à leur participation dans le fonds

1 Comment

  1. MERCI POUR TOUT VOTRE TRAVAIL ECONOMIQUE ET POLITIQUE
    Dans
    « Le nouveau défi américain », je me permets :
    2 fautes de frappe ????….
    « …Ainsi, à la différence de l’épisode de crise de …2007-200…, l’actuel n’a entrainé, pour l’heure, aucune menace pour la « stabilité financière mondiale », l’inflation boursière redoublant. Et ce sont les États-Unis qui sont en pole-position, cette fois-ci, la Chine veillant à contenir tout risque de surchauffe sans rien céder de ses acquis…. »
    « …L’Europe espère pouvoir bénéficier de la croissance américaine, via les exportations. Mais cela …d’accentuer… l’hétérogénéité entre les pays du nord, l’Allemagne en particulier, et ceux du sud, dont la France. Et cela sans parler des divergences à l’intérieur de chacun de ces pays…. »

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