« Si vis pacem, cole justitiam » : Conjurer la crise européenne et internationale par la conquête de nouveaux pouvoirs pour un autre ordre du monde

Vincent Boulet
Membre du comité exécutif national, responsable aux questions européennes - Parti communiste français

La guerre, les crises alimentaires, la crise climatique, la crise énergétique, les tensions commerciales, la concurrence économique et fiscale exacerbée et les explosions des inégalités dessinent les traits d’un capitalisme autoritaire et guerrier qui place l’humanité devant un défi de civilisation. Des convulsions et des crises de la mondialisation capitaliste ainsi que de la recomposition des rapports de force qui la traversent émerge une nouvelle période du capitalisme. La mondialisation capitaliste a redessiné et aggravé les logiques impérialistes de domination et de dépendance. Sa crise accentue les confrontations inter-impérialistes, avec un impérialisme central, celui les États-Unis, qui cherche les moyens de réasseoir sa puissance contestée, et des impérialismes secondaires ou périphériques. En outre, l’orientation de la politique étatsunienne à l’encontre de la Chine, qui est un phénomène majeur de la dernière décennie et de la prochaine, exacerbe les rapports de forces.

Dans ce contexte, les institutions du néolibéralisme sont frappées d’une crise profonde (c’est le cas de l’OMC) ou connaissent de profondes évolutions (Union Européenne). Une partie des bourgeoisies poussent, d’ailleurs, à leur remise en cause. La fraction des bourgeoisies américaine et britannique structurellement liée aux hedge funds, promotrices qui de Trump, qui du Brexit, en est un exemple. Par ailleurs, la crise de légitimité des institutions, marquée par la rupture entre ces dernières et les corps citoyens, nourrit l’instabilité et les crises politiques à répétition, voire l’effondrement d’États entiers. Enfin, de la vomissure du capitalisme en crise émergent les crises identitaires qui font le lit du nationalisme ethnique, de la xénophobie, du racisme, et du fascisme.

L’ensemble de ces facteurs se conjugue pour affaiblir encore davantage les institutions internationales multilatérales. L’impuissance de l’ONU face à la guerre en Ukraine en est une illustration tragique. C’est bien un nouveau désordre du monde qui est en train d’émerger. Pour le pire.

Construire un nouvel ordre du monde fondé sur la sécurité humaine et sur la sécurité collective

Pour casser cet engrenage, pour ouvrir des brèches dans la domination du capital, la question du pouvoir et des institutions est fondamentale, avec l’objectif d’ouvrir la voie d’un autre ordre du monde de nations souveraines et associées. Celui-ci doit reposer sur deux impératifs. Premièrement, celui de la sécurité humaine, telle que définie par l’ONU. La résolution 66/290 adoptée lors de la session de l’Assemblée générale de septembre 2012 précise : « la sécurité humaine a pour objet d’aider les États membres à cerner les problèmes communs et généralisés qui compromettent la survie, les moyens de subsistance et la dignité de leurs populations et à y remédier », et « appelle des réponses axées sur l’être humain, globales, adaptées au contexte et centrées sur la prévention, qui renforcent la protection et la capacité d’action individuelle et collective ». Secondement, celui de la sécurité collective, ou de l’indivisibilité de la sécurité, qui explicite le fait que la sécurité d’un peuple ou d’un État dépend de celle du voisin. Les logiques de blocs, autrement dit impérialistes, vont à l’encontre de ces deux impératifs.

Construire un nouvel ordre du monde fondé sur la sécurité humaine et sur la sécurité collective, c’est-à-dire sur des coopérations seules aptes à résoudre les défis communs de l’humanité, démocratiques, sécuritaires, alimentaires, climatiques, impose de donner de nouveaux pouvoirs aux peuples, aux cadres multilatéraux internationaux, d’en renforcer certains, d’en dissoudre d’autres et d’en créer de nouveaux.

Les propositions mises dans le débat public par Fabien Roussel pendant la campagne présidentielle s’articulent autour de quatre principes qui sont déclinés concrètement. Sur le plan des relations internationales, elles replacent l’ONU et ses agences comme acteur central et majeur de ce nouvel ordre du monde à l’opposé des logiques ultra-libérales, impérialistes, identitaristes et autoritaires. Tant pour le règlement diplomatique et politique des conflits que pour la mise en œuvre de la sécurité humaine, l’ONU est la seule instance internationale multilatérale légitime où l’ensemble des nations est représenté. La guerre en Ukraine illustre tragiquement les conséquences de sa crise, due à trente ans de démantèlement des cadres de régulation internationaux. Il est donc grand temps d’inverser la tendance. La mise en œuvre de « l’agenda 2030 », qui fixe dix-sept objectifs pour lutter contre la faim, la pauvreté, la généralisation des vaccins, l’éducation pour toutes et tous, les droits des travailleurs, la lutte contre la crise climatique et la défense des droits humains, est un levier à utiliser. Le gouvernement de coalition de gauche espagnol a d’ailleurs créé un secrétariat d’État spécialement dédié à leur réalisation, confié à un communiste, le secrétaire général du PCE Enrique Santiago.

Démocratiser les institutions internationales et construire de nouvelles institutions

Pour réaliser ces objectifs généraux, la démocratisation des institutions internationales, et la construction de nouvelles institutions, est indispensable. Elle peut se structurer en quatre directions, qui sont autant de moyens pour conquérir de nouveaux pouvoirs, tant sur les institutions régionales ou internationales que sur les multinationales :

  1. La souveraineté démocratique des peuples et des nations associées. On peut ici évoquer la réforme impérative de l’ONU. La France, grâce au siège dont elle dispose au Conseil de sécurité et qu’elle entend conserver, doit s’engager en faveur de la démocratisation des Nations unies. Cela implique de renforcer le rôle de l’Assemblée générale au bénéfice des pays du Sud, ainsi que les moyens des agences et opérateurs de l’ONU. Sur le plan européen, la nécessaire nouvelle construction européenne de nations souveraines et associées rompant avec l’ordre néolibéral de l’Acte Unique et du traité de Maastricht, qui n’a fait qu’approfondir les divergences entre pays européens et les inégalités intérieures, commence par s’opposer à la réactivation des règles budgétaires européennes, même sous une forme réformée. Aujourd’hui, les bourgeoisies européennes ne sont plus en mesure d’imposer des mémorandums austéritaires aux peuples. Cela ne va peut-être pas durer. La mise en négociation d’un nouveau pacte social et démocratique entre les nations européennes, reposant sur la fin des délégations de souveraineté sans l’accord des peuples et des Parlements, sur des coopérations choisies, dont le contour des États participants peut varier d’un sujet à l’autre, que ce soit dans le domaine industriel, énergétique, écologique… et sur une clause d’alignement vers le haut des droits. Dans cette construction nouvelle, les règles européennes devront être élaborées en coopération entre le Parlement européen et les Parlements nationaux. Il faut garantir explicitement à chaque peuple qu’il ne sera jamais entraîné dans un engrenage aboutissant à un modèle de société violant ses choix démocratiques.
  2. Reprendre la main sur l’argent pour combattre l’hégémonie du dollar et l’évasion fiscale. Combattre la domination du capital et celle du dollar passe par différentes mesures institutionnelles. En premier lieu, la transformation des missions de la Banque Mondiale et du FMI afin d’avancer vers une monnaie commune internationale fondée sur les droits de tirage du FMI, apte à contrer l’influence du dollar dans les échanges commerciaux, et à répondre aux besoins de développement des peuples. Cette création monétaire, relayée par les banques centrales nationales, servira à des avances à long terme et à taux très bas pour financer des projets de développement des biens communs et de l’emploi. La régulation des échanges commerciaux implique que la France agisse pour la dissolution de l’OMC et son remplacement par une Organisation mondiale de maîtrise des échanges, des investissements et de partage des biens communs, par exemple des brevets. Au niveau européen, reprendre la main sur l’argent implique bien évidemment une réforme des missions et des statuts de la BCE, afin de la placer sous contrôle démocratique, et de changer en profondeur le fonctionnement de l’Euro. La réorientation des opérations de refinancement ciblé de la BCE vers des crédits favorables à l’emploi, à la formation, et à la transformation écologique par des prêts aux États à des taux nuls ou négatifs via un fonds placé sous contrôle démocratique des Parlements et des citoyens, est un véritable levier pour passer d’un Euro néolibéral vers une monnaie au service des peuples. Enfin, une lutte effective contre la fraude fiscale au niveau international implique que la France propose la création sous l’égide de l’ONU d’une nouvelle agence, gérée démocratiquement, chargée de coordonner le combat contre ce fléau du capitalisme.
  3. Rompre avec les logiques impérialistes et les logiques de guerre pour assurer la sécurité collective. Le désastre de l’offensive poutinienne odieuse en Ukraine et les risques flagrants d’escalade belliciste imposent de redessiner l’architecture de sécurité collective du continent européen. La logique de blocs, qui est celle de l’OTAN, et qui se renforce encore davantage actuellement, n’assure nullement la paix. Bien au contraire. Elle participe à la logique de confrontations inter-impérialistes. La résolution du conflit en Ukraine passe en premier lieu par le refus de tout engrenage supplémentaire, c’est-à-dire par le refus d’envoyer des armes ou d’encourager une adhésion de l’Ukraine à l’UE, et par un cessez-le-feu immédiat et le retrait des troupes russes. Mais il faudra bien, immédiatement après, poser la question des causes profondes de ce conflit. Depuis de nombreuses années, le PCF, avec d’autres organisations de gauche et pacifistes en Europe, défend la réunion d’une conférence pan-européenne, incluant la Russie et l’Ukraine, pour mettre à plat l’ensemble des sujets de tensions et négocier un traité de paix, de coopération et de sécurité collective, sur la base de l’acte final de la conférence d’Helsinki de 1975 et de la charte de Paris de 1990. Une maison commune de sécurité collective de l’Atlantique à l’Oural n’émergera pas du jour au lendemain. Elle implique sans doute des négociations difficiles. Mais c’est une perspective qui permet de combattre le militarisme, la course aux armements et le nationalisme, y compris le chauvinisme grand-russe de Poutine. Dans ce cadre, la dissolution de l’OTAN est une condition pour changer la logique des relations internationales. Cette institution de guerre froide, à l’intérieur de laquelle toute « autonomie stratégique » européenne est impossible du fait même de sa logique et de son fonctionnement, n’a pas sa place dans un ordre du monde fondé sur la coopération et la sécurité collective.
  4. Renforcer les cadres de régulation internationaux. Là encore, le cadre de l’ONU fournit une base internationale et multilatérale pour le renforcement des institutions existantes et la création de nouvelles institutions. La proposition d’une COP mondiale pour la justice fiscale et sociale, donnant un cadre pour une coopération permanente sur les questions fiscales, doit être défendue par la France. De même notre pays doit agir pour renforcer les prérogatives de l’Organisation internationale du Travail, de l’Organisation Mondiale de la Santé, et de la COP climatique. Leurs conventions et résolutions doivent devenir contraignantes tant pour les États, que pour les multinationales.

La campagne des élections législatives est essentielle pour conjurer la crise approfondie que traverse la France. La dimension internationale et européenne de la question est centrale, en déterminant les choix que notre pays peut et doit faire en toute souveraineté afin de peser de tout son poids, à travers son action internationale et les propositions qu’il doit porter aux autres peuples, pour contribuer à la construction d’un autre du monde fondé sur la devise de l’OIT : « si vis pacem, cole justitiam », « si tu veux la paix, cultive la justice ».

C’est urgent. Pour paraphraser Victor Serge, il est minuit moins une dans le siècle.