Dossier
Le projet communiste

Mettre à l’ordre du jour un projet communiste peut surprendre en un moment où, plutôt que la perspective de « jours heureux », c’est l’accumulation des menaces – guerre, péril climatique, dérèglements économiques et financiers, fascismes au pouvoir ou en marche pour le conquérir… – qui semble fermer l’horizon. Pourtant, la puissance du mouvement en cours dans notre pays pour les retraites incite fortement à une vision plus ouverte. La mobilisation populaire est bel et bien porteuse d’une nouvelle conception des âges de la vie, c’est-à-dire d’une nouvelle civilisation, obéissant à une logique radicalement opposée à celle du capital.

Les mutations qui travaillent en profondeur le monde contemporain rendent une telle perspective plus concrète qu’elle ne pouvait l’être dans les débuts du mouvement ouvrier. Avec la révolution technologique informationnelle, le développement de tous les êtres humains devient non seulement une exigence morale mais aussi la condition d’une nouvelle efficacité économique, alors que le type capitaliste de croissance de la productivité, fondé sur l’accumulation du travail mort pour exploiter toujours davantage le travail vivant, fait peser sur l’économie un fardeau de plus en plus insupportable. Avec la révolution monétaire, qui a permis aux banques centrales d’avancer des quantités inimaginables d’argent pour sauver le système financier, on mesure quel gisement d’efficacité économique se trouverait à notre portée si le pouvoir de décider de l’utilisation de cet argent passait entre les mains de 8 milliards d’êtres humains, et non de quelques dizaine de milliers de financiers et de dirigeants de multinationales. Avec l’urgence d’une révolution écologique, c’est l’humanité tout entière, comme réalité politique concrète, qui se trouve confrontée à la responsabilité d’organiser collectivement et pacifiquement sa relation avec son propre environnement naturel.

Les militants du PCF ont ainsi eu des raisons sérieuses d’affirmer, dans la préparation de leur congrès, une « ambition » où le projet communiste tient une place structurante, à la fois but d’une société émancipée de l’exploitation et des dominations caractéristiques de la civilisation contemporaine, et chemin pour y parvenir. Comme le monde a beaucoup changé depuis que ce projet a été énoncé pour la première fois de façon rigoureuse et efficace par Marx et Engels, mais aussi depuis que l’effondrement de l’Union soviétique a conduit à mettre en doute la possibilité même de concevoir un dépassement du capitalisme, on comprend également pourquoi ils ont jugé utile de travailler à une définition actuelle du projet communiste.

C’est un sujet de débat, sur lequel des points de vue différents s’expriment. Nous en publions quelques-uns dans les pages qui suivent. Denis Durand propose une lecture du projet, tel qu’il est présenté dans les textes du PCF, faisant appel à la notion d’anthroponomie et visant à dépasser l’étatisme qui a beaucoup marqué les projets de transformation sociale au siècle dernier. Évelyne Ternant expose les aspects économiques du projet, dans le prolongement de sa participation à un débat sur la « S ainte Alliance » entre l’État et le capital qui fait l’objet de son article publié dans la rubrique Analyses de ce numéro. De retour de Cuba, Frédéric Boccara présente de façon synthétique la perspective d’une nouvelle mondialisation, que le projet communiste oppose à la mondialisation capitaliste. Kevin Guillas-Cavan, exprime un point de vue nettement différent. Il envisage un socialisme conçu comme un « capitalisme monopoliste d’État réorienté à d’autres fins grâce à la prise du pouvoir d’État ». Enfin, Léo Garcia et Amado Lebaube exposent, de façon plus immédiate et plus concrète, le sens du projet communiste pour les jeunes.

Ce dossier ne clôt pas le débat, il se poursuivra, y compris dans nos colonnes.

I. économie et anthroponomie dans le projet communiste, Denis Durand  

II.  Une nouvelle logique économique et anthroponomique, Évelyne Ternant

III. Le temps est venu d’autre type de mondialisation : défis pour la théorie et les propositions, Frédéric Boccara

IV.  Socialisme et communisme (en même temps) : une question de régulation économique et de régime politique, Kevin Guillas-Cavan

VI. Le projet communiste et les jeunes au XXIe siècle, Léo Garcia et Amado Lebaube

En lien avec le sujet de ce dossier, on lira avec profit l’article de Paul Boccara : « Des ambivalences de la révolution informationnelle au projet d’une nouvelle civilisation de toute l’humanité » paru dans notre numéro 742-743  de mai-juin 2016.

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