Notes de lecture
Éric Monnet : La Banque providence ;
Jean-Marie Harribey, Esther Jeffers, Pierre Khalfa, Dominique Plihon, Nicolas Thirion : Les banques centrales, apprentis sorciers à la manœuvre

Signe des temps : deux ouvrages parus en un peu plus d’un an ont le grand mérite de s’intéresser sérieusement aux moyens concrets par lesquels les banques centrales exercent leur action sur l’économie, un sujet trop souvent négligé dans la théorie macroéconomique comme dans la littérature destinée au public non spécialisé.

Les deux livres ont en commun une description pédagogique des mécanismes de la création monétaire, des interactions entre banques commerciales et banques centrales, des instruments dont ces dernières se servent. Ils retracent de façon critique l’historique récent des principes qui ont guidé leur action : politiques « keynésiennes » de soutien à la demande au milieu du xxe siècle, conversion des banques centrales au monétarisme face à l’entrée en crise du capitalisme monopoliste d’État, impulsion donnée par la Réserve fédérale des États-Unis, en octobre 1979, au tournant néolibéral qui s’est ensuite imposé aux politiques économiques dans le monde entier, échec de ces politiques rendu manifeste par la crise des subprimes en 2007 et par la faillite de Lehman Brothers l’année suivante, recours contraint, depuis ce moment, à des politiques qualifiées de « non conventionnelles ». Seul l’ouvrage des auteurs de la Fondation Copernic pousse l’exposé jusqu’aux effets du retour de l’inflation, postérieurs à la rédaction du livre d’Éric Monnet.

Ce dernier ouvrage contient une analyse particulièrement bien documentée du fonctionnement des banques centrales conçues, dans la tradition de Karl Polanyi, comme des composantes de l’« État providence », et donc comme des services publics. On tombe d’accord avec l’auteur lorsqu’il signale que depuis dix ans, « même s’il a moins défrayé la chronique que l’achat de dette publique, l’octroi de prêts à long terme aux banques par la banque centrale est sans doute une rupture encore plus grande par rapport aux pratiques historiques ». En effet, cette pratique s’est accompagnée d’un embryon de sélectivité, les prêts en question ayant été, à partir de 2014, réservés aux banques qui font preuve d’un développement de leurs crédits aux entreprises et aux ménages.

Visant davantage une dénonciation du néolibéralisme qu’une description académique des institutions existantes, les auteurs de Copernic n’en sont pas moins attentifs, de leur côté, aux réalités institutionnelles. C’est ce qui les préserve, par exemple, d’une erreur commune dans les discours politiques, consistant à croire qu’une révision des traités européens serait le préalable obligé d’une nouvelle orientation de la politique monétaire. Ils incluent ainsi au nombre des leviers possibles le refinancement des banques publiques d’investissement par la BCE. Développer cette pratique dès aujourd’hui autorisée préfigurerait un fonds de développement économique, social et écologique européen qui financerait des projets élaborés, décidés, réalisés et contrôlés de façon décentralisée par les citoyens, pour le développement des services publics.

En revanche, les mêmes auteurs cèdent à la tentation de centrer la transformation des politiques monétaires qu’ils préconisent sur la seule introduction de critères écologiques, sans les articuler à des critères d’efficacité sociale (emploi, formation, création efficace de valeur ajoutée), sans lesquels la transformation écologique des productions est une chimère, mais qui remettent radicalement en cause la rentabilité capitaliste. On peine alors à les suivre lorsqu’ils croient possible, par exemple, de « verdir » un instrument aussi fortement porteur de cette logique de rentabilité que les achats de titres sur le marché financier (quantitative easing). Les auteurs proposent de « revoir la gouvernance de la BCE pour en assurer le contrôle social » mais leurs propositions ne vont pas au-delà d’un élargissement de ses instances de direction « aux élus et aux parties prenantes de la société ». Quels pouvoirs décentralisés des citoyens pour intervenir sur les décisions portant sur le financement de l’économie ? Avec quels critères et quelles institutions nouvelles ? Ces questions ne sont pas abordées.

Éric Monnet aborde de front la question d’une « réappropriation démocratique » des politiques monétaires. Mais ses propositions – en particulier la création d’un Conseil européen du crédit expressément inspiré « de Conseils du crédit qui ont existé en Europe dans plusieurs pays après la Seconde Guerre mondiale » ressemble davantage à un retour aux institutions d’un capitalisme monopoliste d’État idéalisé qu’à l’exploration de voies démocratiques nouvelles.

C’est précisément à cette exploration que pourrait servir la poursuite d’un dialogue auquel le grand intérêt des deux ouvrages appelle.