Note de lecture
Jocelyne Hacquemand, Repères pour agir (Le Temps des CeRises)

Jean-Louis Durand
directeur de recherches - INRAE

Membre du conseil scientifique de l'INRA

Repères pour Agir est récemment paru aux éditions Le temps des cerises, un fort utile ouvrage pour toutes celles et tous ceux qui se mobilisent pour transformer le système agricole et alimentaire de notre pays. Et il en a besoin ! Sous la forme d’un dictionnaire, Jocelyne Hacquemand, géographe, économiste et dirigeante de la Fédération Nationale l’Agro-alimentaire et Forestière de la CGT, y pose les termes des différents enjeux complexes, et plus encore dans leur articulation les uns aux autres. Foncier, travail, énergie, eau, biodiversité, alimentation en quantité et qualité satisfaisante pour tous… Autant de thèmes indissolublement mêlés qui tous dépendent et déterminent le sort de notre agriculture, dans un contexte globalisé, largement influencé par les trusts de l’agroalimentaire américains. C’est ce contexte que veut aborder ce dictionnaire critique de ce secteur économique vital, du plus appliqué au plus fondamental. Ce sont ainsi 147 entrées qui d’accaparement à zoonose offrent au lecteur l’occasion de parcourir le paysage quasiment complètement.

Ce livre entend servir et armer les travailleurs avec des éléments de connaissance et d’analyse, appeler à leur vigilance et renforcer l’efficacité de leur engagement. Si depuis longtemps le capital a investi le secteur agricole et agro-alimentaire, la sortie de la crise de 2008 a donné une impulsion nouvelle à ce mouvement signalé par la Banque Mondiale : « capitalistes, il est temps d’investir en agriculture ! ». C’est aussi l’époque où l’industrie agroalimentaire a encore accru la pression sur les travailleurs de ce secteur, avec comme résultat une forte augmentation du rapport entre les profits des groupes et leurs effectifs de salariés. Parallèlement, les exigences toujours plus précises pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement se manifestent dans l’opinion. Sur ce front idéologique-là aussi, le capital a également déployé un vaste corpus de textes et concepts visant à donner un bon coup de peinture verte à ses pratiques, essentiellement tournées vers la maximisation des profits à court terme, stratégie profondément incompatible avec un développement acceptable pour l’environnement.

Chaque entrée du livre donne les définitions et pose les enjeux. Les thèmes de l’environnement et du bien être animal sont abordés avec le point de vue des travailleurs et non pas seulement comme trop souvent, comme s’il existait une morale immanente et sainte de la nature à laquelle nous serions contraints de nous conformer. C’est ainsi que les questions sur l’agroécologie, l’agriculture écologiquement intensive, l’agriculture bio, le bien-être animal, la biodiversité, le chlordécone, le loup etl’ours, la nature, la permaculture, les pesticides, la transition écologique, instruisent à la fois la nature réelle des problèmes environnementaux, démasquent les instrumentalisations de ces questions, et remettent au cœur du débat le véritable affrontement de classe qui anime ces sujets. Le livre aborde aussi en détail la question de la génétique et des semences dont on sait l’importance pour l’avenir et sur quoi la FNAF CGT a beaucoup travaillé. L’alimentation enfin est aussi un thème abordé en profondeur à travers d’agroalimentaire, aide alimentaire, alimentation, AMAP, budget alimentaire et inégalités, codex alimentarius, culture alimentaire, étiquetage nutritionnel, Industries agro-alimentaires, malnutrition, mangeur glocalisé, pain, peurs alimentaires ou politisation, protéines animales-protéines végétales, qualité des produits alimentaires transformés, restauration collective, sécurité alimentaire, système alimentaire mondialisé. Loin d’une simple revue de détail du point de vue du « consommateur », ce sont autant d’entrées qui invitent à analyser des sujets plus ou moins quotidiens et parfois fortement polémiques, dans la tradition de l’école de pensée marxiste. Les entrées liées au travail en agriculture et industries agro-alimentaires (prolétariat agricole, coopératives agricoles, lean, salariat agricole, salariat des industries agro-alimentaires, servage, syndicalisme ouvrier, syndicalisme professionnel, socialisation des moyens de production…) sont particulièrement riches.

Avec un style original, vif, précis comme un tract revendicatif, dans un souci constant de se faire comprendre des militants et, au-delà, d’un public vaste et curieux de ces choses, Jocelyne Hacquemand signe là un ouvrage qui manquait sur nos rayons pour mieux comprendre le monde de la sphère agro-alimentaire du point de vue du monde du travail.

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