Paul Boccara et la crise économique

Dominique Plihon
professeur honoraire d’économie à l’université Sorbonne-Paris Nord

Je voudrais commencer par dire mon admiration pour Paul Boccara qui a influencé mes réflexions sur le capitalisme, à commencer par sa thèse du capitalisme monopoliste d’Etat. Celle-ci garde une certaine actualité aujourd’hui quand on constate l’évolution récente du capitalisme dominé par des oligopoles, notamment dans des secteurs tels que le numérique ou la banque.  ATTAC et l’Observatoire des multinationales viennent de publier le mois dernier un ouvrage intitulé Le livre noir du CAC 40 dont la problématique est assez proche des analyses de Paul Boccara.

Comme le thème de notre table ronde est « la crise économique : diagnostic et enjeux d’issues », je vais essayer de montrer la pertinence et l’actualité de la pensée de Paul Boccara en me situant par rapport à l’un de ses derniers ouvrages Transformations et crise du capitalisme mondialisé – Quelle alternative ?, dont la deuxième édition a été publiée en 2015.

Je me situerai au double niveau du diagnostic de la crise du capitalisme et des propositions pour promouvoir des alternatives

I/ Diagnostic : une crise systémique, durable, et multidimensionnelle du capitalisme financiarisé et mondialisé

Le premier tome de l’ouvrage de Paul est sorti en 2007, soit l’année même où éclatait l’une des plus grandes crises du capitalisme. Or sa vision du capitalisme mondialisé et dominé par la finance proposait une grille d’analyse qui, d’une manière anticipée, permettait d’annoncer et de comprendre les causes de cette crise majeure

Paul Boccara insistait sur « la radicalité » de la crise du capitalisme monopoliste d’Etat inscrite dans un cycle de longue période, qui l’a conduit à conclure qu’il s’agit d’une crise qui dure, et dont l’issue est incertaine. Par ailleurs, Paul Boccara avait mis en avant le caractère global et multi-dimensionnel de la crise actuelle, ce qu’il appelait les « révolutions » qui amplifient les contradictions internes du capitalisme, qui perturbent le processus d’accumulation capitaliste et réduisent la rentabilité du capital : révolution informationnelle, écologique, sociale, sanitaire et monétaire (crédit)

 Paul Boccara a bien décrit les trois principales réponses apportées par les politiques néolibérales à ces contradictions internes du capitalisme contemporain :

  • l’augmentation des profits au détriment des salaires dans la valeur ajoutée,
  • la croissance à crédit,
  • la recherche de débouchés offerts par le reste du monde.

Ce qui conduit Paul Boccara à montrer que le capitalisme néolibéral est intrinsèquement associé à la montée des inégalités, au surendettement et aux déséquilibres commerciaux.

La cause principale de l’essoufflement et de la crise actuelle du capitalisme provient de ce que l’ensemble des leviers mis en place par les politiques néolibérales pour restaurer la rentabilité du capital a atteint ses limites. Diagnostic que je partage avec Paul Boccara, comme la plupart des économistes progressistes.

Ainsi en est-il du niveau devenu considérable de l’endettement des ménages et des entreprises. Le canal du crédit, qui a été un des moteurs du capitalisme financier, aujourd’hui en panne par suite de cette situation de surendettement global.

Dans ce contexte, les Etats sont intervenus massivement pour éviter l’effondrement du système productif et financier, et pour préserver la rentabilité du capital (socialisation des pertes). Mais, et c’est une contradiction majeure, ces interventions publiques ont affaibli les États (montée de la dette publique) et sont à l’origine de l’instabilité financière (création massive de liquidité et hausse des taux d’intérêt par les banques centrales).

II/ Les enjeux et scenarii de sortie de crise : les propositions de Paul Boccara

Dans son livre « Transformations et crise du capitalisme mondialisé », Paul Boccara présente un certain nombre de propositions pour une sortie de crise « progressiste »

Parmi les propositions les plus saillantes :

  • maîtrise et dépassement des quatre marchés fondamentaux : travail, monétaire et financier, production, marché mondial (réforme des organisations internationales : FMI, BM, OMC)
  • nouvelles avancées de l’appropriation sociale des moyens de production, contrôle social des entreprises
  • développement des services publics et de l’État social, à rebours des politiques néolibérales

Ces pistes de réforme correspondent très largement à celles que nous défendons dans notre ouvrage Le livre noir du CAC 40. Ainsi, la transformation radicale du capitalisme mondialisé et financiarisé passera nécessairement par le démantèlement de ces oligopoles, qu’il s’agisse des GAFAM ou des grandes banques systémiques, préalable indispensable au contrôle social. Ces alternatives dépendront très largement des rapports de force entre l’oligarchie politico-financière dominante et l’ensemble des forces politiques et sociales progressistes. L’épisode récent de la réforme macronienne des retraites en France, montre que la partie est loin d’être gagnée…

Un scénario noir, réactionnaire n’est pas à exclure… dont certains éléments sont présents aujourd’hui.

Trois obstacles majeurs à surmonter pour éviter ce scénario noir :

  • l’affaiblissement des politiques publiques et de l’Etat stratège et planificateur, indispensables à la bifurcation écologique et sociale ;
  • la régression de la démocratie : progression des gouvernements autoritaires et illibéraux
  • conflits géopolitiques entre les blocs de pays => coopération internationale difficile.