Gilles Pereyron
Le gouvernement a annoncé une hausse des prix de l’électricité pour février 2024, située entre 8,6 % et 9,8 % selon les options des consommateurs. Cela est dû à l’augmentation de la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) ancienne CSPE, passant de 1 euro/MWh à 21 euros/MWh.
C’est là un choix politique ! Malgré les dires de notre ministre des Finances Bruno Le Maire essayant de justifier cette décision, en déformant la réalité : « Je ne vais pas réussir à résoudre le problème des finances publiques avec ce rétablissement de la taxe, je ne fais qu’éviter de creuser davantage la dette et le déficit… pour continuer à investir massivement dans l’électrification de notre parc et nos capacités de production électrique ».
Et ce n’est pas leur faute mais celle de Poutine ! « Permettez-moi de rappeler au passage que si les prix de l’électricité ont flambé, c’est parce que Vladimir Poutine a attaqué l’Ukraine et a fait flamber les prix de l’électricité et du gaz ». Second mensonge : si Poutine est responsable de l’augmentation des prix du gaz, l’augmentation des prix de l’électricité est due aux mécanismes de marché européens qui lient les prix de l’électricité à ceux du gaz, alors qu’en France l’électricité est produite essentiellement avec du nucléaire et de l’hydraulique.
Mais la TICFE normalement n’a pas été créée pour cela et ce n’est pas un impôt pour boucler le budget de la France, ils ne sont pas à un mensonge près !
Au fait, de quoi parle-t-on ?
La taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE) était l’une des principales taxes sur l’électricité en France. Elle entrait dans la famille des taxes sur la consommation finale d’électricité (TCFE). Aujourd’hui, elle a été fusionnée avec la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Auparavant, elle était portée à 22,5 euros/MWh (2022). Du fait de la crise de l’énergie, le gouvernement avait décidé d’établir un « bouclier tarifaire » par une baisse de la TICFE en 2023, à 0,5 euros/MWh. La TICFE est aussi appelé « accise sur l’électricité ».
La TICFE (ex CSPE) sert à financer la transition énergétique en France. Elle finance également la lutte contre la précarité énergétique au travers du chèque énergie. Donc, le chèque énergie n’est pas un cadeau du gouvernement !
Progressivement, son taux a été augmenté pour financer des dépenses qui n’ont plus grand-chose à voir avec le service public. Depuis sa création elle n’a fait qu’augmenter, de plus de 650 % depuis sa création jusqu’en 2016, avec une CSPE à 22,5 euros/MWh en 2026 rapportant plus de 8,5 milliards euros par an.
Que finance aujourd’hui la TICFE ?
Suite à l’ouverture du marché et de la concurrence de l’électricité, l’État a assigné à EDF les obligations de service public, ce qui la conduit à supporter les charges de services public ; celles-ci sont compensées par l’État mais financées par la TICFE, ou accise sur l’électricité, auparavant appelée contribution aux charges de service public de l’électricité (CSPE). Ces prétendues « charges de service public » comprennent :
- l’obligation du rachat de l’électricité des ENR (énergies renouvelables : entre autres, photovoltaïque pour presque 5 milliards d’euros, éolien pour 2 milliards d’euros) par EDF et sur les entreprises locales de distribution ;
- les politiques de soutien au développement de sources de production vertes : électricité d’origine renouvelable et cogénération ;
- la précarité énergétique des foyers à revenus modestes ;
- le budget du médiateur national de l’énergie qui est l’instance servant à régler les litiges entre clients et fournisseurs ;
- une partie des coûts résultant de la participation des fournisseurs au fonds de solidarité pour le logement (FSL) ;
- les surcoûts de production d’électricité dans les territoires insulaires (zones non interconnectées au territoire métropolitain continental – ZNI). Dans ces zones (les îles comme la Corse, la Guadeloupe ou même la Guyane, etc.), le coût de la production d’électricité est plus élevé ; il faut en effet faire appel à des moyens de productions dont le coût marginal de production est plus onéreux qu’en métropole. À noter que sur ces ZNI il n’y a pas de concurrence et d’ouverture du marché. La production, le transport et la distribution sont assurés par EDF (entreprise intégrée).
Sur les 9 milliards de TICFE, plus de 6 milliards servent au rachat de l’électricité produite par le vent et le soleil. C’est-à-dire à garantir le prix de vente, donc les profits, des producteurs d’ENR.
Et sur cette taxe est bien sûr appliquée, comme pour les produits de luxe, une TVA de 20 % qui, elle, tombe dans l’escarcelle du gouvernement.
C’est bien une taxe liée à la marchandisation de l’électricité, à la déréglementation du secteur, elle finance donc le développement des ENR avec l’obligation de rachat de l’électricité faite par EDF (à plus de 60 %).
Qui paye cette taxe ?
Elle est acquittée par tous les usagers domestiques (même ceux en précarité énergétique ou en situation de pauvreté) et professionnels finals d’électricité (via leur facture).En 2022, pour faire face à la flambée des prix de l’énergie, le gouvernement a décidé de la faire baisser et, selon le ministre de l’Économie, au plus bas de ce qui est possible au titre des règles européennes. Le gouvernement affirme que cela été un manque à gagner de 9 milliards d’euros par an pour les finances publiques. Cela sera vrai si le gouvernement paye à EDF sa contribution au service public ; ce sera faux si le gouvernement oublie de payer cette contribution comme en 2022, année où le gouvernement n’a pas versé à EDF la totalité de sa contribution. On verra cela lors des comptes consolidés de 2023 d’EDF !
La Commission européenne affirmait en 1996, nos gouvernements successifs aussi, que la déréglementation et le marché allaient faire baisser les prix de l’électricité, que la concurrence allait innover et que les ENR apporteraient de l’électricité presque gratuite, le vent et le soleil étant gratuits. Malheureusement, depuis cette date le kWh (tarif réglementé) en France est passé d’environ 10 centimes d’euro/ kWh à 22,76 centimes/kWh. En février 2024, l’accise sur l’électricité augmentera à 21 euros/MWh alors qu’elle était à 1 euros/MWh depuis la crise énergétique. Le gouvernement a prévu une autre augmentation pour février 2025 pour qu’elle atteigne 32 euros/MWh.
Alors oui, il y a urgence à sortir l’électricité de la marchandisation. Non, l’électricité n’est pas une marchandise mais un produit vital répondant aux besoins sociaux des citoyens. Il y a urgence à nationaliser tout le secteur de l’électricité et à sortir l’électricité des griffes des sociétés privées et de ses actionnaires ou sociétaires.
Mais aujourd’hui d’autres choix sont possibles pour baisser le prix du kWh, une TVA à 5,5 % comme sur tous les produits de première de nécessité, revoir les taxes dont la TICFE (les taxes représentent plus du tiers du prix du kWh) et la politique de rachat de l’électricité, établir le prix du kWh des TRV sur les coûts de productions, transports et distribution en France et non sur le coût des centrales à gaz européennes. Cela est un vrai choix politique ! On pourrait alors revenir à un kWh autour de 17 centimes/kWh.