L’alternative services publics

Patrick Hallinger
Coprésident de la Convergence nationale des collectifs de défense des services publics

Dans les votes exprimés lors des dernières élections législatives, la question des services publics, des droits et de la démocratie est venue au devant de la scène. Il ne peut cependant pas y avoir de reconquête des services publics sans les budgets correspondants.

La dégradation des services publics en France comme dans tous les pays d’Europe frappe de plein fouet les plus pauvres et les plus vulnérables. Tous les services publics sont touchés, y compris les plus essentiels, comme la santé et l’école. Des luttes de résistance se sont développées ces dernières années. Les services publics sont revenus au premier plan des programmes des partis politiques lors des dernières élections législatives.

Cette dégradation est liée aux politiques libérales engagées sur une longue période et particulièrement depuis les années 1980 en France et en Europe. La régulation par le marché « libre et non faussé » ne fonctionne pas et conduit aujourd’hui à l’aggravation de la crise économique et sociale.

Le rassemblement autour de la thématique services publics participe d’une volonté de reprise en main du devenir de nos sociétés comme de la recherche d’un autre mode de développement. Mais comment concilier services publics, laminage de leur financement et mise en concurrence ?

Le détricotage des services publics est arrivé à un seuil critique doublé d’une crise d’efficacité majeure

Pour la santé, et notamment le secteur hospitalier, le temps est loin depuis le début des années 2000, où la France comptait parmi les premières nations en termes de qualité des soins. L’été 2024 est celui des records, celui de la fermeture et des accès restreints aux services d’urgence. La réforme des études médicales va se traduire en outre par la réduction de 1 500 postes d’internes avec des difficultés accrues à venir dans les hôpitaux…

Notre système, y compris la Sécurité sociale, est pris en otage par l’austérité et la libéralisation imposée par Bruxelles. Il se trouve démuni voire dépouillé par une série d’acteurs, les grandes firmes pharmaceutiques, les banques et assurances qui veulent vampiriser le secteur (assurances privées, fonds de pension…). Ce n’est pas un hasard si on trouve parmi les plus grandes fortunes des France des représentants du monde de la santé, ainsi les cofondateurs de Doctolib, le fondateur du groupe Orpéa, des gestionnaires de cliniques et d’EHPAD privées…

À l’école, on assiste au dénigrement de l’école publique (« une école où on ne remplace pas les professeurs absents », stigmatisait l’ancienne ministre de l’Éducation Amélie Oudéa-Castera. L’école publique est mise en concurrence avec l’école privée. Ce serait « le libre choix des parents » dit le président de la République). Pour les collèges, les études montrent que le privé concentre les élèves les plus favorisés, avec un financement public important, notamment à Paris et dans les grandes villes du pays. Avec l’instauration de classes par niveau et les dernières réformes, l’objectif donné à l’école publique est de moins en moins d’assurer la réussite de tous les élèves. Dans le dernier classement PISA des 38 pays de l’OCDE en 2023, la France est reléguée à la 23ème place.

Le lien est à faire avec les politiques menées, réduction des horaires d’enseignement, fermetures de classe, dégradation des conditions de travail des élèves et des enseignants…

Les autres services publics d’administration subissent les mêmes politiques avec, par exemple, le non renouvellement de postes de contractuels à la Protection Judiciaire de la Jeunesse en septembre 2024.

Dans les transports, un des aspects des politiques de mise en concurrence généralisée de la SNCF est la mise en faillite de fret SNCF. Dans plusieurs régions, des actions se mènent contre la mise en concurrence des TER, ainsi en Bourgogne – Franche-Comté, le PCF lance une pétition pour un « nouvel élan du rail dans la région », avec une gestion publique associant les usagers et sans mise en concurrence.

La détérioration du service public dans le domaine de l’énergie se traduit par une explosion des prix qui pèse sur tous les usagers.12 millions de personnes en France sont en situation de précarité énergétique alors que l’énergie devrait être un droit fondamental pour tous.

Dans ce domaine, comme dans d’autres, il faut noter l’absence de discussion démocratique sur les choix opérés alors qu’ils engagent notre pays pour les années à venir.

Les coupes brutales portées dans les budgets des services publics et des collectivités locales (15 milliards en 2024) trouvent leur justification dans le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) validé par les parlements nationaux (en France par le 49-3) visant à rentrer dans les clous des critères du traité de Maastricht d’ici 2027, (moins de 3 % de déficit public et moins de 60 % pour le ratio de dette publique sur le PIB).

Il faudrait rembourser notamment la dette Covid dont une large part a été consacrée à soutenir les entreprises privées… alors que rien n’oblige à un remboursement dans un laps de temps aussi réduit. On peut y voir la recherche d’un effet levier dans une optique néolibérale avec la recherche de nouveaux champs de profit dans le domaine des services publics.

Ce plan d’austérité a des impacts sur l’ensemble de l’économie, le logement, le commerce, l’agriculture, etc. Ce qui n’empêche pas l’envolée d’une ampleur inédite des profits boursiers des entreprises mondialisées en France et dans le monde ! Le secteur privé prend progressivement la main, avec le soutien de la puissance publique, on le voit au travers du financement de crèches privées par la Sécurité sociale, la récente intervention de la Caisse des dépôts et consignations en faveur du groupe privé ORPEA, gestionnaire d’EHPAD.

La population n’y trouve pas son compte. Elle subit la dégradation générale des conditions d’accueil dans les principaux services publics. Sur le fond, les droits fondamentaux comme les conditions d’égalité de traitement du citoyen ne sont plus respectés.

Pour les salariés des services publics, le point commun est la dégradation des conditions de travail et du sens même du travail qui devrait être le service de l’intérêt général. Ces éléments avec la faiblesse des rémunérations expliquent largement les difficultés de recrutement dans les services publics.

In fine, ces politiques libérales qui considèrent les services publics comme un coût entravant le marché sont à l’opposé de l’efficacité économique. Elles induisent en outre un risque d’explosion sociale, généralisée et brutale.

Le choix du service public

Dans les votes exprimés par les électeurs lors des dernières élections législatives, la question des services publics, des droits et de la démocratie est venue au devant de la scène avec le pouvoir d’achat.

Ces votes viennent en prolongement des luttes et mobilisation de ces dernières années, gilets jaunes, réformes des retraites, manifestations pour le climat, contre les accords de libre-échange… La dimension est aussi européenne avec la manifestation de Bruxelles contre l’austérité et pour les services publics du 12 décembre 2023.

Dans chaque moment important de la société, dans les crises comme la crise financière de 2008 ou la crise Covid de 2019, les services publics ont joué un rôle décisif. On peut en dire de même pour les Jeux olympiques avec la mobilisation des services publics dans le domaine de la sécurité, des transports, de la culture…

La Convergence services publics est à l’initiative d’ un appel pour un Nouvel Élan pour les Services Publics (https://www.convergence-sp.fr/wp-content/uploads/2022/08/Lure-2023-Appel-Txt.pdf) et d’une campagne pour un budget de la Sécurité sociale à la hauteur des besoins.

C’est ce qui nous amène à des propositions pour un plan d’urgence pour l’école, la santé, la fonction publique et les autres services publics. Nous voulons le remaillage des services publics dans les territoires pour l’accès et l’égalité des droits, pour des services publics de qualité et en proximité.

Au plan national comme européen, des services publics démocratiques peuvent être mis au service d’une politique de développement durable et égalitaire, répondant aux enjeux climatiques, aux besoins humains, et accessibles à la population sans discrimination (par exemple le fret ferroviaire, les transports, l’isolation des logements, les médicaments accessibles à tous, l’alimentation, l’eau…). 

Plus largement, les services essentiels comme l’eau, la santé et l’éducation doivent être mis hors du champ de la concurrence et relever des services publics. Les autorités nationales et locales ont des marges de manœuvre, elles peuvent freiner ou endiguer la privatisation des services publics, par exemple pour municipaliser des services publics : ainsi dans le domaine de l’eau avec la création de régies publiques à Bordeaux, Lyon, Paris, Est Ensemble dans la banlieue parisienne. La gestion publique, c’est placer ces services sous contrôle de collectivités territoriales garantes de la démocratie auprès des citoyens et hors champ de la concurrence.

Il ne peut cependant pas y avoir de reconquête des services publics sans les budgets correspondants.

Face aux impasses auxquelles conduit les politiques libérales, on voit fleurir les propositions et parfois des mises en œuvre pour créer des fonds européens pour l’industrie, l’armement… dont l’objectif est surtout d’assurer les financements et les profits des grandes entreprises. En France, l’argent socialisé du livret A dévolu au logement social est même ciblé pour des objectifs de financiarisation et de profit à court terme (l’industrie d’armement).

L’Alternative services publics appelle au contraire une autre logique réorientant les finances publiques au service de l’intérêt général.

Au plan européen, les créations monétaires de la Banque centrale européenne (BCE) pourraient être conditionnées à des critères économiques et sociaux au service de l’emploi, de la relocalisation d’activités et pour l’environnement. Des fonds pourraient être créés pour financer de grands programmes de développement des services publics intégrant la transition écologique et les droits fondamentaux de tous, dans les transports, l’énergie, la santé par exemple.

La même orientation pourrait prévaloir en France, par exemple dans la gestion du budget de la nation, pour les aides aux entreprises (200 milliards annuels) comme dans toutes les institutions financières publiques, la Caisse des dépôts et consignations par exemple.

Nous avons besoin de travailler à la mise en place d’un écosystème public permettant de donner une impulsion nouvelle aux initiatives dans les territoires, visant à défendre et promouvoir des services publics égalitaires et démocratiques.

Cela passe aussi par une pleine reconnaissance des services publics dans la Constitution française et les traités européens.

Le choix du service public, c’est aussi un choix pour un renouveau démocratique en assurant la participation des citoyens aux politiques publiques avec de nouveaux moyens d’intervention reconnus et en renforçant les droits des salariés dans les services publics comme dans les entreprises.

La Convergence services publics place son action dans cette volonté d’œuvrer avec toutes les forces associatives, syndicales, politiques qui veulent agir en faveur des droits humains et des solidarités. Elle a décidé à sa dernière assemblée générale de mettre en place une démarche de printemps et d’assises des services publics en 2025 pour porter ces exigences de services publics dans les territoires, ruraux comme urbains, chaque organisation partageant ces objectifs pouvant en prendre l’initiative.

« Europe et services publics », une première rencontre nationale organisée par la Convergence services publics le 16 décembre 2023. A la tribune d’un premier atelier, Jean-Claude Olivia, président de la coordination Eau-Île-de- France, Benoît Martin, secrétaire général de la CGT Paris, Simon Arambourou, de l’association Nos services publics, Pablo Sanchez de l’EPSU (branche services publics de la CES) et Claire Bornais, secrétaire nationale de la FSU qui assurait l’animation pour la Convergence.