« Nous entrons vraiment dans une ère nouvelle », écrivait, le 15 octobre dernier, l’influent éditorialiste des Échos Jean-Marc Vittori, et ce n’est pas gai : « La croissance française ne suffit plus à augmenter le pouvoir d’achat. Il faut remonter à la crise des années 1930 pour retrouver pareil marasme. Ou au XIXe siècle… Et elle risque de ramollir encore, au risque de compliquer encore plus la tâche d’un gouvernement fragile. Ce n’est pas seulement un mauvais moment à passer. C’est la France du XXIe siècle, et il serait temps de s’en rendre compte [1] ».
Finies les promesses radieuses de la startup nation guidée par des premiers de cordée vers les cimes d’une mondialisation heureuse ! D’un seul coup, l’idéologie dominante devient celle de la résignation : la croissance est partie, elle ne reviendra pas. « Il n’y a pas d’alternative », continuent-ils de répéter, mais maintenant ce n’est plus pour la prospérité générale, c’est pour le moindre mal de ceux qui pourront s’en sortir. Ce discours peut d’autant plus peser sur les esprits que la France paraît faible et vulnérable, au moment où des craquements économiques, financiers, culturels, politiques semblent annoncer un basculement vers un monde traversé de fractures aux conséquences imprévisibles.
Par exemple, faut-il se rallier à l’idéologie crépusculaire de l’équilibre des comptes publics, accepter de donner la priorité à la réduction du déficit budgétaire, c’est-à-dire, dans la conjoncture présente, faire le choix de la récession ? Ne faut-il pas plutôt affirmer hautement que l’état de la société, l’avenir de la civilisation, exigent davantage de dépenses pour les services publics, et en tirer les conséquences en montrant de façon précise ce qui doit changer, si on veut y parvenir, dans l’utilisation de l’argent public mais aussi de celui des entreprises et des banques ? Ce débat traverse le Nouveau Front populaire et il est sain et utile qu’il ait lieu au grand jour, pour avancer ensemble.
La préparation chaotique du budget 2025 révèle en effet, plus visiblement que jamais, combien les enjeux économiques sont, de part en part, des enjeux politiques. Ne pas s’enfermer dans l’ordre économique et politique existant, mais au contraire tracer dès aujourd’hui le chemin qui ouvre la perspective d’une transformation radicale de la société : c’est vital pour donner de la force aux luttes populaires, permettre des victoires et faire reculer l’emprise de l’extrême-droite sur les esprits. Et c’est précisément ce qui doit faire l’originalité et l’importance de l’action des communistes dans la situation difficile où nous nous trouvons.
Il faut pour cela disposer d’analyses précises de la situation et des grandes tendances qui gouvernent son évolution. C’est à quoi ce dossier s’attache à contribuer.
- I. 2025, l’année des dangers Frédéric Boccara
- II. Allemagne : Récession et premiers signes de désindustrialisation Bruno Odent
- III. L’économie américaine : « atterrissage en douceur » ? et incertitudes électorales Paul Colin
[1] Jean-Marc Vittori, « Une croissance encore plus molle », Les Echos, 15 octobre 2024.