Éditorial
Travaux pratiques

Frédéric BOCCARA
économiste, membre du comité exécutif national du PCF

Retraites, prix de l’énergie, inflation, baisse du pouvoir d’achat, pauvreté, démolition de l’emploi, diffusion du chômage, casse des services publics, réchauffement climatique, exigence d’une nouvelle industrialisation, l’heure est aux travaux pratiques.

Retraites. L’heure est aux travaux pratiques de la bataille d’idées et des mobilisations. Cela nécessite, plus que jamais, de donner du sens, de la perspective, d’associer refus des régressions et propositions alternatives précises, viables et à la hauteur. Le « pour » des propositions renforce les mobilisations, renforce le rejet des régressions, le « contre ». Car on est d’autant plus contre une mauvaise réforme des retraites qu’on voit que l’on peut faire autrement.

Car précisément la situation politique du pays conjugue un immense rejet d’Emmanuel Macron et de sa politique avec une fracture profonde entre les oppositions, un brouillage d’idées sur les enjeux et les responsabilités. L’échec des solutions simplistes keynésiennes et des renoncements sociaux-libéraux ayant conduit au néolibéralisme actuel peut aussi alimenter un désarroi et un désespoir nihiliste.

Ainsi, les deux tiers des Français sont contre l’allongement de l’âge de la retraite. Mais le principal obstacle est celui du fatalisme, del’idée qu’on ne pourrait pas faire autrement et qu’il faut seulement mener une bataille pour imposer des garde-fous et limiter la casse, ou bien qu’il faut tout rejeter en bloc et soit « casser » le système politique, soit se mettre à l’écart, soit s’en remettre à un homme ou une femme providentielle.

L’enjeu du système de retraites, c’est son sens et son financement.

Son sens : une retraite à laquelle tout le monde arrive à bout de souffle ? Une retraite qui maintient les uns juste la tête hors de l’eau contre la misère extrême, en attendant la « fin de vie », et offre aux autres le mirage de l’épargne financière ? Ou bien une retraite, nouvel âge de la vie émancipateur et qui apporte à l’ensemble de la société ? Une défense conservatrice du système actuel ne suffit pas. D’une part Emmanuel Macron et Elisabeth Borne vont opposer les situations individuelles entre elles à l’infini pour diviser et fragiliser les convictions. D’autre part, avec les réformes Touraine, mais aussi Fillon, le système est parti pour se dégrader. Le statu quo n’est pas possible. C’est une transformation sociétale de grande ampleur qu’il faut viser, concernant toutes les situations des personnes âgées. C’est un enjeu de civilisation.

Son financement : abordons cette question de façon offensive. Oui, il va falloir dépenser plus. On ne peut pas se satisfaire de la situation actuelle, même si le déficit actuel et projeté est limitéCeci d’autant plus que l’appauvrissement des retraités et des futurs retraités, ainsi que le recul de l’âge effectif de départ, sont inscrits dans les réformes régressives passées qui sont entrées en vigueur.

Sur quoi repose le financement du système de retraites ? Son cœur, c’est l’emploi : d’une part la base salaires des cotisations sociales, d’autre part la base emploi de la production de richesses. C’est pourquoi le système de financement des retraites doit se préoccuper de l’emploi. C’est, en fait, le cœur de nos propositions alternatives de financement.

Il s’agit d’emmener les entreprises vers un chemin de progrès pour les désintoxiquer de la finance, baisser les prélèvements du capital (son coût) et pour qu’elles développent l’emploi en quantité et en qualité, donc une tout autre production, sociale et écologique.

Nous proposons pour cela deux leviers principaux : créer une cotisation nouvelle sur les revenus financiers des entreprises (et élargir celle sur les revenus financiers des ménages) et pour accroître les cotisations moduler le taux de cotisation employeur à la hausse pour les entreprises qui taillent dans l’emploi, les salaires (y compris en ne pratiquant pas l’égalité femmes/hommes) et les dépenses de formation. De façon complémentaire, il faut revenir sur l’ensemble des exonérations de cotisations sociales.

Ces deux leviers permettraient de s’engager vers un chemin de progrès, à partir d’une réforme du système qui contribuerait ainsi à changer les gestions des entreprises au lieu de « laisser faire » les gestions anti-sociales qui le minent. La modulation est la façon d’augmenter les cotisations qui permet d’emmener les entreprises sur ce chemin social et qui rend efficace économiquement cet accroissement. Cette réforme serait aussi grandement appuyée, bien sûr, par un tout autre financement de l’activité en mobilisant le système de crédit et en utilisant, pour bonifier les taux, les milliards publics actuellement utilisés pour compenser les exonérations de cotisations sociales et baisser le coût du travail, ainsi que par des pouvoir nouveaux des salariés sur les entreprises et leurs décisions, visant d’autres critères que l’accumulation du capital et la rentabilité financière.

De son côté, le pouvoir macronien prétend que pour sauver le financement du système,« il faut produire plus de richesses donc travailler plus longtemps ». C’est une tromperie : il propose en réalité que, au mieux, les mêmes travaillent plus longtemps. Il ne propose donc pas de fournir globalement plus de travail (il facilite, même, les suppressions d’emploi et les bas salaires). Ceci alors qu’il y a 6 millions de chômeurs dans notre pays et d’immenses besoins insatisfaits de biens et de services (publics et privés) ! Il ne propose pas non plus un travail et un emploi de meilleure qualité ― donc plus efficace ― en développant la formation, en diminuant le temps de travail, ou en instaurant une véritable démocratie dans les entreprises et les services publics. Ce devrait pourtant être cela les priorités pour consolider et développer le système de retraites par répartition !

C’est toute une bataille à mener. Bien sûr, « projet contre projet ». Mais pas seulement. On ne peut pas laisser planer l’illusion qu’un pouvoir « bien intentionné », à la place d’Emmanuel Macron, pourrait d’un coup et tout seul changer les choses, sans appui des luttes, sans prises de consciences et sans commencer à exercer des pouvoirs nouveaux sur les entreprises, sur l’emploi. C’est donc aussi une bataille pour des avancées de prises de conscience sur ce qu’il conviendrait de faire :

  • ambition et sens de l’objectif social, sa cohérence avec des moyens et pouvoirs nouveaux ;
  • rôle décisif des entreprises et de leur gestion à changer, ceci pour toute la société.

C’est aussi une bataille pour des avancées partielles : quand une lutte, comme celle des contrôleurs SNCF fin décembre, est victorieuse sur les salaires et sur l’emploi, elle consolide le système de retraites.

Contrairement à ce que dit le pouvoir, le problème n’est pas avant tout démographique, il est économique : on prévoit +25 % de plus de 65 ans à l’horizon 2040, mais on prévoit aussi +60 % à +100 % de PIB en volume ! Sauf que le capital est assoiffé : suraccumulé avec une valeur qui s’est accrue en moyenne de 60 % depuis 2019, il lui faut donc prélever beaucoup plus de profit sur ce PIB !Mais voyons aussi, sur le financement, ce qui avait progressé lors du mouvement de 2019-2020 dans les consciences et qui se reflétait dans les prises de positions des associations, organisations syndicales et des partis. Il ne faudrait pas reculer à partir de ce point avancé :

  • affirmation généralisée qu’il faut taxer les revenus financiers… mais en laissant un flou : seulement ceux des ménages ou bien aussi ceux des entreprises ?
  • floraison de propositions sur l’idée d’une « modulation », aussi bien à Attac, à Copernic qu’au PS, et réaffirmation de cette proposition par la CGT. Mais, hormis du côté CGT, une modulation très limitée, portant uniquement sur la pénibilité (PS) ou sur certains types de contrats (Attac ou Copernic). Donc des éléments partiels insuffisants et aisément contournables. Cela viderait la proposition de sa portée effective, avec peu de rendement et peu d’efficacité sur la politique d’emploi. Elle doit porter sur l’ensemble des dépenses d’emploi et de formation.

Il nous faut aussi montrer que derrière la retraite se situent des enjeux pour toute la société, bien au-delà des travailleurs.ses, des retraité.es et de celles et ceux qui s’identifient au monde du travail. Cela ne peut pas être délégué aux organisations syndicales même si elles apportent leur pierre à cette idée.

Au-delà des retraites, le non à l’ordre existant et le oui à un autre ordre concerne tous les enjeux de la crise qui est là et grandit. Cet autre ordre, il faut à la fois en dessiner la visée (qui est de nature communiste) et en dessiner des éléments concrets, des jalons radicaux et immédiats pour paver un chemin, au moins avec de premières pierres, mobilisatrices et concrètes. Qui permettent donc de construire des rassemblements agissants et populaires.

Dans la pensée économique dite « hétérodoxe », certaines interrogations peuvent être un point d’appui ― pas toutes. Mais à condition de mener le débat, de dialoguer et de ne pas prendre en bloc ce qui est dit. Ainsi, dans Le Monde du 30 décembre 2022, Joseph Stiglitz reconnaît que l’inflation généralisée renvoie surtout à un problème « d’offre » (c’est-à-dire de production) plutôt qu’à une surchauffe due à la demande. C’est un point très important pour avancer l’idée que la priorité doit être d’agir sur l’offre et de développer l’emploi, donc sur les gestions des entreprises. Mais, dès qu’il passe à la politique monétaire, il en reste à une vision très traditionnelle : la Fed ne doit pas monter « trop loin et trop rapidement » ses taux d’intérêt. La situation exige au contraire de mettre en œuvre immédiatement des mesures de baisse sélective des taux d’intérêt ― pour les investissements qui développent l’emploi et la formation. Il y a là un débat fondamental avec le réformisme et les différentes formes de la social-démocratie, y compris lorsqu’elle se pare de radicalité. Il faut venir sur des contenus, pas seulement préconiser de faire un peu plus, ou un peu moins, la même chose. Des contenus qui sont, en fait, des contenus de classe (emploi et dépenses humaines versus capital) mais au service de toute la société. Notre revue tâche d’y contribuer à sa mesure.

1 Comment

  1. La dernière phrase de cet éditorial dit tout de ce que doit la politique de la classe ouvrière « pour soi ». Pour soi = s’émancipant en s’instaurant comme classe dirigeante. C’est ce qui était au principe pendant la période dite de la Libération de la création de la Sécurité sociale, des Comités d’entreprise, des entreprises publiques EDF-GDF à même époque. Et de la « bataille de la production » lancée par Maurice Thorez qui lui valut de la SFIO les pires insultes sur le thème du repli nationaliste, donc de la part de ceux qui, comme tout gage d’internationalisme, allaient deux ans plus tard être les importateurs du Plan Marshall.
    Aujourd’hui, les multiples crises convergentes et impasses (désaffection du travail, par exemple) du système capitalistes imposent des solutions comme celles sui sont décrites dans cet édito. Mais elles ne viendront pas « de soi-meme » sur le devant de la scène. Seule la lutte les imposera, en bloquant s’il le faut l’appareil productif actuel.

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