Dans notre logique, les dépenses font les recettes, mais cela peut prendre du temps : par exemple on dépense pendant deux ans pour former une infirmière, la production de soin viendra ensuite donc les impôts aussi. Ainsi la gauche préconise traditionnellement des politiques « keynésiennes » de soutien de la « demande » (salaires, dépenses publiques…).
L’enjeu pour que cela marche, c’est le comportement des entreprises et des banques : (a) elles ne doivent pas délocaliser, licencier, spéculer, etc. (b) vraiment embaucher et produire.
Autrement dit, cela ne marchera pas si on baisse le coût du travail et qu’on laisse le capital gangrener l’activité économique. Notre logique, c’est aussi : baisser le coût du capital pour permettre les dépenses d’efficacité (formation, recherche, embauches, investissement efficace). C’est l’aspect « de classe » : une nouvelle offre écologique et sociale.
Il faut donc
- des pouvoirs nouveaux + des nationalisations nouvelles (banques + groupes industriels et de services) pour que cette logique de baisse du coût du capital pour une autre efficacité soit mise en œuvre dans les entreprises.
- une fiscalité nouvelle (dure pour les revenus du capital et de la finance, normale pour les revenus du travail) : diminution de la TVA, progressivité de l’impôt sur le revenu, ISF, nouvel impôt sur les sociétés, etc.
- une nouvelle logique des aides et des dépenses publiques : non seulement des conditions sur l’emploi et l’écologie, mais ces aides ne doivent pas être des aides à la baisse du coût du travail. Ce n’est pas à l’État de prendre en charge les salaires ou les cotisations, c’est au patron !
En effet, les mesures proposées pour répondre aux attentes de nos concitoyens en matière de salaires, de services publics et donc d’emplois exigent des dépenses supplémentaires pour les finances publiques comme pour les entreprises publiques et privées (augmentation du SMIC et de l’ensemble de la grille salariale, reconnaissance des qualifications, contribution au financement des services publics et de la Sécurité sociale…).
Pour ce qui concerne les seules finances publiques, on a ainsi pu estimer que les seules mesures d’urgence pour faire face à la « crise siamoise » sanitaire et économique approcheraient sur l’année 2021 100 milliards d’euros supplémentaires(embauches de personnel dans les hôpitaux, l’éducation, la recherche, la police, la justice, investissements correspondants, hausses des traitements, bonification sélective des crédits aux PME-TPE qui préservent l’emploi et augmentent les salaires…) en plus des dépenses déjà engagées par le gouvernement (chômage partiel, aides aux entreprises). Au cours de chacune des années suivantes, s’y ajouterait le financement des augmentations de traitements dans la fonction publique (estimé à 60 milliards d’euros pour une augmentation de 30 %). D’autre part, la nationalisation d’Axa, des grandes banques privées, d’EDF et d’autres entreprises stratégiques entraînerait pour les finances publiques des décaissements ponctuels. Au total, il s’agit de plusieurs centaines de milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires + un ordre de grandeur comparable pour les entreprises.
Même si, par quelque miracle, on confisquait la totalité des profits du CAC40 (quelque 60 milliards au 1er semestre 2021), on serait encore loin du compte, et il manquerait l’investissement habituel des entreprises. Heureusement, il ne s’agit pas seulement de dépenser de l’argent qu’on n’aurait qu’à prélever dans une réserve existante. Mais précisément, les nouvelles dépenses n’auront de sens que si elles s’attaquent au coût du capital, c’est-à-dire si elles viennent à l’appui d’un tout autre fonctionnement de l’économie, une tout autre croissance, écologique et sociale, touchant non seulement le secteur public mais, au premier chef, les critères qui inspirent les choix des entreprises et l’attribution des crédits bancaires.
Le but fondamental sera de faire reculer le chômage, de pourvoir les emplois qui manquent cruellement dans les services publics, de donner toute leur efficacité à ces nouveaux emplois et à ceux qui seront consolidés par le développement d’un immense effort de formation. 21 % de la population en âge de travailler est aujourd’hui en situation de chômage ou de sous-emploi. Pour donner un ordre de grandeur, si toutes ces personnes avaient la possibilité de déployer pleinement leurs capacités de création de richesses, le PIB s’en trouverait augmenté dans une proportion correspondante, soit de quelque 500 milliards d’euros.
Outre les ressources supplémentaires pour financer l’augmentation des salaires dans le privé, cette masse de richesses supplémentaires aurait pour effet une augmentation, pour une année pleine, d’environ 250 milliards des recettes de l’État, des collectivités territoriales et de la Sécurité sociale.
Ce serait là le moyen de dégager, au fil des ans, les ressources nécessaires pour financer la nouvelle politique économique. Mais il faut assortir cette conclusion de deux considérations cruciales.
La première a déjà été soulignée : l’augmentation de l’emploi et de la richesse qu’il produit n’aura rien d’automatique. Contrairement aux raisonnements qualifiés de « keynésiens » auxquels se livrent d’autres forces politiques, le redressement de l’emploi – et l’accélération de la croissance qu’on en attend – ne viendra pas automatiquement d’une augmentation de la demande. Il faudra surmonter l’obsession de la rentabilité et de la baisse du coût du travail qui domine la gestion des entreprises. La nouvelle politique économique avec ses aspects fiscaux (prélèvement dissuasif sur les revenus financiers des entreprises, augmentation et modulation de l’impôt sur les sociétés, augmentation et modulation des cotisations sociales patronales), aura donc pour objet de faire pression sur le comportement des entreprises et des banques, à l’appui d’une conquête de pouvoirs d’intervention et de décision par les travailleurs, avec des institutions nouvelles mobilisant la société tout entière (conférences régionales et conférence nationale pour l’emploi, la formation et la transformation productive et écologique, fonds régionaux et fonds national pour l’emploi et la formation, pôle financier public).
La deuxième est que l’augmentation attendue de la création de richesses ne sera pas immédiate. Elle se manifestera progressivement à mesure que la nouvelle logique économique s’affirmera contre la logique du capital mais cela prendra plusieurs années.
C’est ce qui rend indispensable, en attendant, la bataille pour que la création monétaire des banques et de la BCE procure aux agents économiques – et en particulier à l’État – les avances de fonds nécessaires aux dépenses qu’il est indispensable d’engager aujourd’hui pour rendre possible les embauches, la formation des travailleurs, les investissements matériels et immatériels qui se traduiront dans un an, cinq ans, dix ans, par l’augmentation de la création de richesses, et par les recettes. C’est en particulier à cela que servirait la création d’un fonds national et européen pour le développement des services publics.
Il s’agit bien de centaines de milliards d’euros mais ces sommes n’ont rien de démesuré en comparaison de ce que banques et banques centrales font déjà : la Banque de France a acheté, pour le compte de la BCE, 255 milliards de titres de dette publique entre mars 2020 et août 2021. Quant aux banques, leurs prêts aux entreprises ont augmenté de 107 milliards au cours de la même période.