
Michelin, Auchan, Casino, Valéo, Arcelor Mittal… 200 plans de suppressions d’emplois recensés par la CGT, au moins 150 000 emplois menacés. C’est une atteinte aux composantes les plus stratégiques de notre système productif. Et d’autres menaces se profilent avec la récession qui s’étend en Europe. Déjà, les faillites d’entreprises battent des records historiques.
La raison la plus fondamentale de ces tragédies est l’état auquel est parvenu le capitalisme. Les groupes les plus puissants ont poussé à un degré extrême l’exploitation du travail humain et celle des ressources naturelles.
Par exemple, comme le montre l’analyse de Frédéric Boccara dans ce dossier, le groupe Renault, déjà très rentables, a réussi à augmenter de moitié la productivité apparente du travail entre 2002 et 2023. Mais pour y parvenir, le groupe a porté l’accumulation du capital matériel (moyens techniques) et financiers au degré le plus élevé, ce qui a coûté cher. L’augmentation de la productivité apparente du travail a donc eu une contrepartie : une diminution encore plus forte de l’efficacité apparente du capital.
Au total, l’augmentation de l’exploitation de la main-d’oeuvre peine à suivre l’accroissement du capital matériel et financier à rentabiliser. Marx a inauguré une façon précise d’analyser cette contradiction en parlant de suraccumulation de capital : trop de capital exigeant son taux de profit, pas assez de plus-value susceptible d’être accaparée sous forme de profits bien que l’exploitation des travailleurs soit poussée à l’extrême. Les fractions les plus puissantes du capital financier ont des moyens de regonfler leur taux de profit, en imposant une « dévalorisation » permanente d’autres fractions, publiques ou privées, du capital qu’elles peuvent soumettre à leur domination.
Tous ces efforts permettent encore à la partie dominante du capital d’afficher des profits mirifiques et de servir généreusement leurs actionnaires mais, à l’échelle de toute l’économie, ils ne suffisent pas à surmonter la suraccumulation structurelle de capital.
Le poids donné depuis quarante ans aux marchés financiers et à la globalisation capitaliste a été une tentative de réponse à cette crise systémique. Mais la contrepartie est le gonflement des avances de fonds nécessaires pour mener à bien ces opérations financières, autant de capital supplémentaire qui exige son taux de profit !
C’est cela qui nous saute à la figure aujourd’hui. La grande bourgeoisie européenne, tout inféodée qu’elle est au capital mondialisé, s’en inquiète elle-même. Mais comment pourrait-elle trouver des remèdes à des maux qui résultent de sa domination même ? Son porte-parole qualifié, Mario Draghi, ne trouve rien de mieux à proposer qu’une fuite en avant dans la dépendance envers les marchés financiers (voir les analyses consacrées à son récent rapport dans notre numéro 842-843) !
C’est que les remèdes ne peuvent être que radicaux, c’est-à-dire qu’ils doivent prendre le mal à sa racine : la domination du capital sur les choix de gestion, de production, de recherche, d’embauche, de formation, d’investissement des entreprises et des banques ; la logique de la concurrence du taux de profit qui mine de façon de plus en plus insurmontable toute efficacité sociale, écologique, et d’abord toute efficacité économique.
C’est pourquoi la réponse aux assauts du capital doit se construire dans les luttes sociales, et dans les capacités d’alternative que recèle le mouvement syndical. Ces capacités sont grandes, ce dossier en montre un aperçu.
Ce serait l’amorce de convergences plus vastes. Avec les salariées et salariés d’Europe, qui souffrent autant que nous de la précarisation des emplois et de l’indigence des services publics. Avec les peuples des pays émergents et en développement, qui sont en train de devenir assez forts pour commencer à contester l’emprise du dollar et de l’impérialisme américain sur l’économie mondiale.
La bonne nouvelle, c’est que ce n’est pas une perspective pour un avenir plus ou moins lointain. Cela commence dès aujourd’hui, dans chacune de nos entreprises, avec les luttes pour des alternatives aux stratégies patronales. Notre dossier veut y contribuer.
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